S’il est un pays qui tient une place à part dans l’imaginaire français, c’est bien le Japon. Avec sa culture pluri-centenaire raffinée, ses syncrétismes religieux et sa pop-culture acidulée, le pays du soleil levant a conquis un vaste public qui s’est empressé de collectionner, dès son ouverture forcée au XIXe siècle, toutes sortes d’objets artistiques et artisanaux représentatifs, mais aussi du merchandising toujours plus nombreux. C'est cet intérêt pour les collectionnables japonais du XIXe siècle à nos jours que questionne le Musée de la céramique de Rouen dans l’exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas, jusqu’au 22 septembre 2024, dans le cadre de Normandie Impressionniste.

Utagawa Toyokuni II (1777-1835) La courtisane Wakana de la maison Wakanaya - Époque Edo (1603-1868), fin des années 1820 Estampe polychrome nishiki-e © Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

La permanence du goût

Sous le commissariat de Marie–Lise Lahaye, l’exposition suit un parcours chronologique découpé en trois périodes : de la seconde moitié du XIXe siècle au début du XXIe siècle, du début du XXe siècle aux années 1990 puis des années 1970 à nos jours avec un axe orienté pop-culture (oui ça se chevauche un peu mais la thématique l'explique). Cette chronologie permet d’exposer des objets hétéroclites qui ont tous en commun d’avoir ou de toujours appartenir à des collectionneurs privés français, à l’image du couple rouennais Jules et Valentine Adeline qui, dès les années 1880, collectionnent des autels portatifs de tailles variées, des estampes, une armure de samouraï, des objets d’art en lien avec le théâtre kabuki et les traditions populaires. Les voyages au Japon sont alors encore longs et difficiles, mais, à l’image d'Emile Guimet ou de Henri Cernuschi, des collectionneurs français se prennent de passion pour l’histoire et les traditions japonaises. L’importation massive d’objets japonais en Europe et en France permet l’éclosion du courant esthétique qui a influencé nombre d’artistes de différents courants du XIXe siècle, dont les impressionnistes, les tenants de l’art nouveau, les nabi etc. Les estampes à bas prix se collectionnent et se retrouvent chez tous les artistes, de Van Gogh à Camille Moreau-Nélaton en passant par Monet, et influencent le sens de la composition, du cadrage, de la couleur.

Plat à la carpe dans un filet et cerisiers en fleur Camille Moreau-Nélaton (1840-1897) 1883, Faïence, décor polychrome Musée de la Céramique de Rouen © Yohann Deslandes / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

Si, au XIXe siècle, les collectionneurs s’entichent d’objets relativement récents, le XXe siècle suit le même mouvement avec une différence de taille, il est beaucoup plus aisé de voyager au Japon et de choisir sur place de quoi compléter sa collection. Si les œuvres du XIXe siècle ont toujours la côte auprès des collectionneurs avertis et aisés, de plus petits objets facilement transportables, comme des poupées ou des éventails, font le bonheur des voyageurs.

Vitrine participative avec les goodies de la salle 3

La troisième section explore le goût pour les goodies et autres produits dérivés issus de licences populaires d’animes et de mangas que la France découvre avec la diffusion de Goldorak et dont l’intérêt ne s’est plus jamais démenti depuis, faisant de l’hexagone le second consommateur de mangas au monde … après le Japon. Cette troisième salle réunit des objets de collections privées collectés après un appel aux prêts diffusés à destination des habitants de la métropole rouennaise. En ce sens, cette exposition est participative.

Théière à décor de poissons nageant parmi les vagues, Miyagama (Makuzu) Kōzan (1842-1916), Japon, 2e moitié du 19e siècle, Porcelaine, décor polychrome, Musée de la Céramique de Rouen © Yoann Groslambert / Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

Art, artisanat et production d’exportation

Les premiers objets collectionnés par les amateurs français étaient de vraies œuvres d’art ou d’artisanat mêlant sculptures du bois, laques, estampes colorées, céramiques destinées au marché intérieur japonais aussi bien populaire que pour les temples ou les seigneurs locaux. Rapidement, devant la demande des exportateurs puis des voyageurs, se développe une production de masse destinée à couvrir ce nouveau marché. Objets souvenirs et publicitaires se sont multipliés de même que la production artisanale destinée directement à l’export et qui reflète une adaptation réelle ou supposée aux goûts des occidentaux.

Ensemble de netsuke dans une des vitrines de la salle 2

Il faut savoir qu’au sortir de la seconde Guerre Mondiale jusqu’aux années 1970, le Japon produisait en masse des objets manufacturés d’une qualité moyenne et d’un coût relativement modique. A partir des années 1970, les industries du pays entament leur transition vers le haut de gamme et renouent avec une qualité manufacturière qui fait aujourd’hui leur réputation. Cependant, avec l’explosion des animes et des mangas au niveau international, c’est toute une nouvelle industrie du produit dérivé qui s’est mise en place avec cette fois une véritable optique de collection, à savoir la conception de collections de cartes, figurines et autres goodies, parfois en édition limitée, pour émoustiller la convoitise des collectionneurs. Il faut également prendre en compte que le succès de ces objets a donné lieu à des contrefaçons, ce à quoi l’artisanat traditionnel était moins exposé.

Impression grand format d'une page du manga Radiant de Tony Valente chez Ankama

Instrument du rayonnement japonais en France

Dès leur découverte en Europe, les pièces japonaises ont créé un véritable engouement pour le Japon qui s’est diffusé dans toutes les couches de la société et s’est retrouvé aussi bien dans la production artistique nouvelle, comme le montre le plat de Camille Moreau-Nélaton, que dans les très françaises industries de la mode et de la parfumerie (Mitsuko). Le japonisme révolutionne durablement l’art et le design en Europe et, si le goût du Japon n’a jamais vraiment disparu, la diffusion massive d’animés et de mangas est aujourd’hui un ressort essentiel du soft power japonais. Ce pan de la culture japonaise a imprégné durablement l’imaginaire et la technique de nouvelles générations d’artistes, dont Tony Valente qui est le premier auteur de manga français dont l’œuvre Radiant est adaptée en animé pour la télévision publique japonaise (NHK éducation). Est-ce que la boucle est bouclée ?

D’un point de vue scénographique, l’exposition parvient à tirer profit de son espace d’exposition. La remarquable salle des boiseries du musée de la Céramique est transformée en magasin d‘antiquités du XIXe siècle à l’ambiance feutrée.

La seconde salle, plus vaste, met en relation des estampes, des céramiques et des petits objets souvenirs plus un espace dédié aux enfants avec des coloriages et des mangas. La dernière salle reprend une décoration beaucoup plus pop-culture avec des espaces pour se prendre en photo et des couleurs plus acidulées. Il est à noter que l’ensemble des mobiliers et des cartels sont abaissés pour rendre l’exposition plus accessible, en particulier aux enfants. Une jolie mascotte (elle serait super en autocollants) sert également de fil rouge à la visite pour les plus jeunes.

Marie–Lise Lahaye devant la vitrine participative

Bien que relativement petite par sa surface, l’exposition passion Japon, des netsukes aux mangas permet d’embrasser un vaste champ de l’intérêt sans cesse renouvelé pour l’art, l’artisanat et la culture japonaise avec des œuvres variées, et propose une démarche originale en impliquant les habitants de la métropole.

Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
Exposition Passion Japon, des Netsukes aux mangas Musée de la céramique : deux siècles de collectionnisme japonophile
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