Très grand pianiste d’origine roumaine établi en France, Andreï Vieru l’interprète fantastique des grandes œuvres de Bach est aussi Vieru l’écrivain et mathématicien. Il  parle avec aisance, autant de la musique, que des mathématiques, de la philosophie, de la littérature, des arts plastiques et de la psychanalyse. Cet attrait multidisciplinaire a pu être vérifié dès son premier livre le Gai Ecclésiaste (Seuil 2007), qui se présente sous la forme d’une collection d’essais rigoureusement orchestrée autour de la question d’un regard fragmenté sur l’art.

Vieru vient de publier Éloge de la vanité (Grasset 2013) un nouveau livre un tantinet provocateur sur les conditions de vie et de travail de l’artiste à notre époque. Avec une élégance subversive, la question « La vanité est-elle un mal ? » se découvre tout au long de l’ouvrage qui se compose de 77 courts chapitres.

Véritable porte-étendard humoristique de la création en territoire hostile, le livre n’oublie pas de mentionner le public et de se questionner sur le rôle de celui-ci dans la création « Le public, aujourd’hui, est plus omnivore, plus content de tout et plus myope que jamais… la Joconde ? un chef-d’œuvre. La carte postale qui en contient l’image, aussi». Il attaque avec ironie le système de mécénat « A présent, un « mécène » veut avant tout qu’un artiste sache se vendre (…) pour qu’un mécène daigne offrir ses services, il faut que les conditions soient réunies afin que lui, le mécène, ne serve à rien ». Il compare avec cynisme la création à la politique : « En reposant les pieds sur terre, je me dis qu’un chef-d’œuvre politique devrait plutôt s’appeler miracle. Qui peut compter sur eux ? ». Dans cet élan burlesque il profile également, non sans poésie, ses idées sur la vanité : « quand je perçois « la vanité des vanités », quand je me sens imprégné de ce sentiment, même le sens de l’honneur et sa défense me semblent n’être qu’une poursuite du vent ».

Vieru est un remarquable metteur en scène de pensée critique et rhétorique autour de cette question de la vanité. Il allie avec force des idées, les non-dits profonds, en s’appuyant sur ses expériences personnelles, mais également celles de ses pairs. Ainsi de Cioran à Rostropovitch, de Mozart à Salieri, de Bach à Prokofiev, de Pouchkine à Dali, il parcourt l’évolution de ce sentiment de vanité propre à chacun de nous, mais qui s’exprime d’avantage chez les artistes.

Auteur moraliste qui se lit avec un plaisir libérateur, Vieru propose ici des textes d’une réalité surprenante par son indépendance réflexive. Reposant sur la question de la vanité, c’est bien des interrogations de « l’artiste » face au monde dont il est question. Un livre à découvrir pour ceux qui n’ont pas peur de regarder leur âme d’artiste vaniteuse en face.

 

Andreï Vieru, Eloge de la vanité, ed, Grasset.

Visuel : couverture du livre

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