The Deer King : L’élu est en route
06 nov. 2021Le Japon est l’un des leaders de l’animation mondiale et compte bien le rappeler au monde entier à chaque édition du Festival International du film d’animation d’Annecy. Cette fois-ci, parmi les films en compétition, The Deer King, avec sa mystérieuse affiche, était très attendu et a fait sensation. Il est réalisé par Masashi Ando, que beaucoup considèrent comme le meilleur animateur du Japon grâce à son travail comme directeur de l'animation sur de nombreuses productions du Studio Ghibli dont Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro, puis sur deux œuvres phares de Satoshi Kon : Paprika et Paranoia Agent avant de rejoindre les studios de CoMix Wave Films pour travailler aux côtés de Makoto Shinkai pour son film phénomène Your Name. Les droits ont été acquis pour la France par AllTheAnime et le film devrait arriver en salle le 10 novembre.
The Deer King est à la fois l’histoire touchante de deux êtres brisés qui se soutiennent mutuellement et tissent des liens malgré leur situation précaire, mais également de complots politiques et de jeux de pouvoirs.
Van, aussi fort que taiseux, est esclave dans une mine de sel. Un jour qu’une meute de loups attaque la mine, il sauve une petite fille d’une mort certaine alors que lui-même a été grièvement mordu. Les loups étant porteurs du Mittsual, sorte de peste foudroyante, gardes et esclaves sont décimés en quelques heures. Van et sa jeune protégée, qui ne semblent pas être affectés par le mal, bien au contraire, peuvent alors s’enfuir dans la forêt proche. Mais les deux survivants sont loin de se douter qu’ils se retrouvent au cœur d’un complot politique et que les traqueurs sont déjà en route, alors que la mystérieuse maladie continue de se propager.
A la poursuite de l’élu
Le Mittsual, qui avait déjà fait trembler l’Empire de Zol plusieurs décennies auparavant lors de la tentative de conquête de ce royaume reculé, est de retour après plus de 10 ans d'accalmie. En effet, un traité de paix a conclu que ce royaume, passé sous la tutelle de l’Empire de Zol, conserve cependant une certaine autonomie. Mais, sous des serments de fidélité à l’empereur, ses dirigeants fomentent en secret une rébellion dont le Mittsual est la clef puisqu’il n’affecte que les ressortissants de Zol. Aussi, la découverte de deux survivants inquiète au plus haut point les autorités du royaume qui craignent que, si l’Empire les découvre, un remède puisse être trouvé, ce qui permettrait à Zol de totalement étendre son emprise sur ces territoires. C’est Saé, une traqueuse aux grands pouvoirs de perception qui déteste par-dessus tout l’Empire, qui doit retrouver et éliminer les survivants.
Dans le même temps, Hohsalle Yuguraul, un médecin indépendant mais proche du jeune gouverneur de Zol se lance, en compagnie de son garde du corps, à la recherche de Van dans l’espoir qu’en étudiant son sang il puisse trouver un remède.
Mais ce que tous ignorent, c’est que Van est non seulement un ancien militaire d’élite, mais surtout que son contact avec la maladie lui a conféré de nouvelles capacités hors du commun tant pour la perception que pour la défense.
Cette poursuite s’étale sur plusieurs mois, offrant un répit à Van et Yuna qui peuvent ainsi tisser des liens familiaux. Mais ce repos n’est, bien entendu, que de courte durée.
L’espoir au fond de l'abîme
Pour Van, valeureux guerrier qui a perdu sa famille et son village une dizaine d’années plus tôt pendant la dernière guerre, la vie n’était qu’une succession de malheurs et de noirceur. Après des années d’enfermement et de mauvais traitements, il n’avait plus d’humain que l’apparence. Mais sa rencontre avec Yuna rallume peu à peu la lueur dans ses yeux. La petite orpheline aussi attachante qu’espiègle devient pour lui un phare dans la nuit qui lui permet de retrouver son humanité, un peu à l’image du forçat Jean Valjean devenu le père adoptif aimant de Cosette dans Les Misérables de Victor Hugo. Van aspire à une vie paisible et veut voir grandir Yuna sans encombre dans un petit village au milieu des forêts et des pyukas, des cervidés pouvant rappeler Yakuru (Princesse Mononoke). Aussi, quand la petite se retrouve en danger, Van n’hésite pas une seconde à reprendre les armes et à se jeter dans la mêlée. Van est un homme taiseux et d’apparence rude qui fait pourtant régulièrement preuve d’une grande bonté envers ceux qu’il croise. Bien qu’ancien soldat, il préfère éviter le combat quand cela est possible. Son caractère entier lui refuse de se laisser instrumentaliser par qui que ce soit.
Du côté de Yuna, Van est une figure paternelle exemplaire, à la fois droit et courageux. Elle qui n’avait connu que la mine froide et obscure, son évasion avec Van lui permet de voir les beautés du monde, il la guide et la protège. Peu à peu, elle prend confiance en elle et s’ouvre autant aux autres qu'à la nature, retrouvant le sourire et la joie de vivre typique des enfants. Jamais on ne l’entend se plaindre et elle voue une admiration sans bornes à son père adoptif, se passionnant pour tout ce qu’il entreprend. Yuna est particulièrement proche de la nature et semble dotée d’un instinct affûté.
Maladie et politique
L’un des principaux ressorts de l’intrigue, outre le lien particulièrement fort qui se noue entre Van et Yuna, est l’usage politique que le petit royaume fait de la maladie. Sachant que le Mittsual ne touche que les ressortissants de l’Empire et non ses propres habitants, que son origine est mystérieuse et que nul remède n’est connu, à chaque nouvelle épidémie dans une ville ou un village, la peur gagne du terrain. Ainsi, la tension monte d’autant plus que l’empereur doit bientôt visiter la province. Trouver un remède au mal permettrait au jeune prince gouvernant la province de briller aux yeux de son père.
Du côté du royaume, deux factions se font face, celle qui, à la tête du pays, fait mine de s’allier à l’empire dans l’espoir de conserver ses privilèges tout en attendant le retour du Mittsual et les rebelles qui, de leur côté, savent très bien comment propager la maladie et en usent pour retrouver leur souveraineté pleine et entière. La caste dirigeante souhaite voir Van mort quand les rebelles veulent le rallier à leur cause. Au milieu de ce conflit, le peuple est partagé entre partisans d’un retour à la situation d’avant la guerre qui s’est terminée dix ans auparavant dans la rancœur et ceux qui ont accepté la nouvelle société. Mais, quoi qu’il arrive, c’est toujours le peuple qui paye le plus lourd tribut à ce conflit larvé, plus proche de la guérilla que d’une véritable guerre. D’autant que, contre toute attente, le Mittsual semble avoir évolué défavorablement et ne plus faire de distinction dans les populations, ce qui intrigue au plus haut point le docteur Hohsalle. La maladie, et surtout son contrôle, est donc un enjeu politique majeur, mais pas du point de vue de la santé publique.
D’un point de vue technique, il n’y a rien à redire, l’animation réalisée par le studio I.G. production est d’une qualité exceptionnelle, en particulier dans les scènes d’action. De même, le design des personnages principaux et certains décors sont très réussis et permettent de retrouver les influences des divers projets sur lesquels Ando a travaillé au fil des dernières décennies, au premier rang desquels Princesse Mononoke, tout en s’en détachant du côté animiste au profit de relations plus humaines et politiques.
Du côté du rythme, l’ensemble est cohérent mais un petit passage à vide se fait sentir à la fin de la première partie du film, avec le changement des saisons dans le petit village, motif si cher aux Japonais. Quelques scènes supplémentaires, ou tout du moins des explications plus poussées, auraient également été utiles pour comprendre davantage certains éléments sous-entendus. Ainsi, seul un regard attentif permet de bien comprendre l’histoire dès le premier visionnage, mais il reste tout de même quelques zones d’ombres.
The Deer King est l’un des rares films en compétition à proposer une intrigue de fantaisie pure, mais dont certains éléments trouvent une résonance particulière en cette période de pandémie, bien que le projet du film ait débuté bien avant l'apparition du COVID-19. Adapté du roman Shika no O de la romancière Nahoko Uehashi et largement récompensé au Japon, The Deer king propose une histoire riche dont les nombreuses intrigues et les jeux de pouvoirs imbriqués permettent de créer un univers dense, parfois trop, où les personnages évoluent au gré des péripéties jusqu’à la révélation finale.