Visite de Yokota Syuzo une distillerie de saké multi-récompensée à Gyoda
01 juin 2020Lors de mon séjour à Gyoda, j’ai eu la chance et l’honneur, avec mon groupe, de visiter la brasserie de nihonshu (alcool japonais) Yokota avec son dirigeant, un homme passionné et pédagogue. Outre le fait que visiter une brasserie de saké, boisson sacrée entre toutes au Japon, est en soi très intéressant, le saké Nihonbashi Daiginjo produit ici est très réputé et a reçu de nombreux prix, aussi je vous conseille vivement d’en goûter si vous en avez l’occasion.
La théorie
La visite commence comme dans une salle de classe avec de grands bancs de bois alignés dans une pièce où se lit l’histoire et les réussites de la maison. L’on trouve une ancienne enseigne, différents types de riz, une carte de la région, des photos des étapes de la fabrication du spiritueux, les très nombreux prix reçus par la brasserie au cours de son histoire et même d’anciens carnets de commandes somptueux mais difficilement déchiffrables. Monsieur Mori nous explique l’histoire de la maison débutée il y a près de 200 ans en 1805, quand le marchand Omi Shoemon Yokota s’est installé à Gyoda. Auparavant, il a travaillé chez un négociant de saké à Edo. Monsieur Mori explique également le choix des riz comme le Yamada Nishiki provenant de Hyogo et le Miyama Nishiki de Nagano. Des riz de première qualité soigneusement retravaillés par les employés.
Notre interlocuteur est ravi de nous montrer tous les trophées remportés aux fils des ans, mais également les photographies des nombreuses classes venues visiter les lieux. Il espérait sincèrement par ce biais créer des vocations afin de perpétuer l’entreprise. L’on a également pu admirer une vaste collection de sculptures de chouettes que monsieur Mori apprécie tout particulièrement et qui lui sont offertes par ses clients satisfaits.
La pratique
Ensuite, nous commençons la visite à proprement parler. Première étape, un petit sanctuaire dédié à la déesse Inari avec ses tori et ses kistune. Inari étant la déesse des moissons, rien de plus normal que de trouver un petit sanctuaire ici pour souhaiter de bonnes récoltes de riz. L’espace est également parsemé de tanuki de tailles variées qui apportent un charme pittoresque au lieu. Ensuite, nous avons pu voir le puits privé de l’entreprise, vraiment très profond. Celui-ci procure une eau très pure provenant de la source Chichibu de la rivière Ara[kawa]. Nous nous rendons ensuite près des cuves. En ce début du mois de novembre, la saison est presque terminée et les brasseurs attendent les premiers froids pour relancer la production. C’est dans une bâtisse en bois avec des interrupteurs en faïence (vraiment anciens) que se trouvent les différentes cuves. Certaines sont semi-enterrées quand d’autres, flambant neuves sont situées dans le fond, bien alignées. Devant chaque cuve, notre guide nous explique les différentes étapes depuis la réception du riz jusqu’à la mise en bouteille du saké :
Ainsi, le riz complet arrive, puis il est poli. A la fin du processus, il ne reste que 40% du riz de départ, aussi sur le saké peut-on lire 4/10 car pour 100 balles de riz de départ, il n’en reste que 40 après traitement ! C’est le signe que le saké est particulièrement luxueux.
Le riz est lavé, puis cuit à la vapeur avant de recevoir les moisissures de koji. Il est ensuite soigneusement empaqueté puis placé dans une pièce chaude et humide plusieurs jours. Là, il est retourné régulièrement pour que le koji se répartisse uniformément. Ensuite, les levures sont ajoutées, il s’agit de levure Hayajo Moto.
Enfin, la préparation nommée Moromi est transférée dans une cuve et à ce moment là débute la double fermentation, d’un côté le koji transforme l’amidon du riz cuit en sucre et de l'autre la levure transforme le sucre en alcool. Il s’agit d’un processus unique au monde, spécifique à la production de saké !
Pour le saké Daiginjo, le moromi est remué matin et soir à la pagaie pendant au moins un mois. A la fin de cette période, le moromi est pressé pour obtenir un saké cru non filtré ou Murokan Magenshu. Comme il reste du saké dans le Moromi pressé,il est suspendu dans une nouvelle cuve et là, les gouttes de saké tombent naturellement. Il est aussi possible de re-presser mécaniquement pour le saké ordinaire.
Vient le travail de filtration pour enlever les dernières particules en suspension.
Une fois filtré, le saké est chauffé à 65-70°C à la fois pour stopper l’action enzymatique et pour stériliser le saké. La brasserie exécute deux stérilisations avant le vieillissement et la mise en bouteille.
Pour le vieillissement, le saké est mis soit en cuve, soit en bouteille dans une pièce à la température contrôlée n'excédant pas 20°C. Si le vieillissement se fait en bouteille, il est même possible de laisser le saké mûrir dans une pièce dont la température approche 0°C. C’est à ce moment que le saké prend tout son arôme et développe ses caractéristiques visuelles et gustatives.
Lors de la mise en bouteille, le taux d’alcool peut être ajusté avec un ajout d’eau pure, mais le saké cru, lui, n’est pas dilué, son taux d’alcool est donc plus proche de 20° quand un saké classique en contient 13° à 16°.
Un lieu unique pour un saké spécial
La brasserie Yokota bénéficie d’un emplacement adéquat et d’un savoir faire ancestral qui permet à son saké Nihonbashi Daiginjo de remporter de nombreux prix au niveau local comme national. La ville de Gyoda possède une source d’eau abondante avec les rivières Ara et Tone, et de bonne qualité, idéale pour le brassage du saké.
La brasserie Yokota propose également un saké nommé Ukijo en hommage au château de la ville qui est parvenu à résister au siège de Mitsunari Ishida, un vassal de Hideyoshi Toyotomi.
Parmi les anecdotes de la visite, notre guide nous a expliqué pourquoi il y avait des grosses boules végétales accrochées à l’entrée des brasseries de saké. Il s’agit d’une tradition fort pratique puisqu’au début du processus de brassage, on accroche une boule bien verte et une fois qu’elle a séché, normalement le saké est prêt ! C’est donc une décoration indicative pour les brasseurs et les clients.
Autre anecdote savoureuse, pour les saké prestigieux, lors de la longue distillation, il y a une forte évaporation qui peut dépasser la moitié de la contenance de la cuve. Une jolie part de l’ange je vous dis.
Cette visite s’est révélée passionnante et surprenante à la fois. Ne connaissant rien au saké et à son vocabulaire, la visite à parfois été un peu compliquée, mais le traducteur nous a expliqué du mieux qu’il pouvait Nous avons eu de la chance car le maître des levures était présent ce jour là. J’espère donc avoir bien compris les explications. Si j’ai fait des erreurs, n’hésitez pas à me les signaler (gentiment) pour que je fasse les corrections. A la fin de la visite, nous avons eu le droit à une dégustation. Je dois dire que j’ai bien apprécié le saké Nihonbashi Daiginjo qui se révèle moelleux avec un petit goût de pomme et de poire. Comme nous avons été attentives et enthousiastes, nous avons même eu droit à un petit cadeau : un mazu et un choko (petite coupelle en faïence) avec le sigle de la brasserie. Si vous passez par Gyoda et que vous parlez japonais (le traducteur était avec mon groupe), n’hésitez pas à demander une visite de la brasserie.
NB : Pour les saké plus rugueux, j’utilise généralement un mazu, un gobelet cubique en bois. Ainsi, lorsque le saké entre en contact avec le bois, certaines fragrances du bois lui sont transférées, ce qui permet de l’adoucir et de le parfumer davantage. Mais il n’est pas toujours évident de boire avec un mazu. En chauffant le saké, son taux d’alcool descend et ses arômes se développent, changeant radicalement le goût du spiritueux.
NB2 : en France, l’on appelle saké de manière abusive (délibérée ou non) une grande variété d’alcools asiatiques dont la composition et le mode de fabrication par distillation cette fois varie beaucoup par rapport au saké. Aussi, je pense que jusqu’à présent, je n’avais pas goûté de vrai saké et je leur trouvais un goût “savonneux”. Et je concède que certains saké ne sont pas très bons, à l’image de tous les vins français qui ne se valent pas. Le mieux est encore de goûter pour trouver celui qui vous convient le mieux.