Le grand sceau de l’abbaye de Sainte-Geneviève une image très parlante !
27 avr. 2020Souvent méconnus, les sceaux ont souvent beaucoup de choses à nous dire. Aussi, aujourd’hui je vais vous parler du grand sceau de l’abbaye de Sainte-Geneviève.
La sigillographie
La sigillographie (du latin sigillum « signer ») ou Sphragistique (du grec σφραγιζω : sphragizô, « je scelle ») est l'étude des sceaux et des bulles. La définition la plus convenable du sceau selon Pastoureau est celle d’Auguste Coulon : « Le sceau est l'empreinte sur une matière plastique, généralement la cire, d'images ou de caractères gravés sur un corps dur (métal ou pierre) plus spécialement désigné sous le nom de matrice, et généralement employé comme signe personnel d'autorité et de propriété ».
La sigillographie fait partie des sciences auxiliaires de l'histoire au même titre que la numismatique ou l'héraldique, elle demeure néanmoins plus méconnue du grand public malgré sa profusion et ses ressources inépuisables. Les dimensions réduites, la monochromie et la complexité du message que les sceaux transmettent ainsi que leur fragilité inhérente aux matériaux peuvent expliquer la méconnaissance des historiens et du public à propos de la sigillographie. L'étude des sceaux est pourtant fondamentale dans de nombreux domaines tels que l'histoire du costume, de l'héraldique et la diplomatique grâce à des détails précis sur l'architecture, les vêtements, les objets, les écus et la technique. Elle permet également de révéler la situation politique comme des revendications politiques ou territoriales ainsi que des stratégies matrimoniales. De la même manière que la numismatique, la sigillographie permet l'étude de grandes séries régulières et relativement bien datées. De plus, en tant que représentant du sigillant, le sceau est fabriqué avec soin : les informations qui y sont portées (noms, titres, fonctions, armoiries) ont été vérifiées avec une rigueur qui n'est pas celle des autres documents figurés de l'époque médiévale, et qui sont exactes au moment où la matrice est réalisée. C'est également un objet daté avec précision par l'acte auquel il est fixé ou appendu : bien que la date de l'empreinte ne soit pas celle de la confection de la matrice, la différence entre les deux dates est souvent faible, les dignitaires et les nobles changeant de sceaux deux à trois fois dans leur vie, suivant leur changement de statut.
Le sceau étudié et son contre sceau proviennent de l'abbaye royale Sainte-Geneviève de Paris. Le sceau en lui même n'est connu que par deux chartes émanant de l'abbaye datées de 1224 et de 1276. Un contre sceau accompagne la seconde empreinte. Les moulages des archives nationales sont conservés sous le numéro D 8330 et D 8330bis. Il s'agit d'un sceau rond appendu mesurant environ 60 mm de diamètre et environ 25 mm pour le contre-sceau. Il est reconnu comme étant le grand sceau de l'abbaye. Ils font partie de l'inventaire réalisé par Douët d'Arcq dans son catalogue Collection de sceaux en 3 volumes, publié à Paris de 1863-1868.
Le grand sceau de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève de Paris est original tant sur la forme que dans son message, mais il se rapproche d’autres sceaux d'abbayes de cette époque par certains aspects.
Description formelle
Le sceau étudié est rond appendu d'environ 60 mm. Il est bordé d'une légende entre deux filets. Son centre est occupé par un personnage féminin, assis de face (trônant) sur un siège en curule décoré de têtes d'animaux (lions, dragons, …) et couvert d'un tissu.
Le personnage porte une couronne à trois fleurons sur la tête au dessus d'un voile/guimpe (coiffure de veuve au XIIIe s), une tunique fendue sur le devant à partir de la taille jusqu'aux pieds, avec des manches amples, et une longue robe plissée plus fine. Elle ne semble pas porter de manteau. Sa main droite est ouverte paume vers l'avant, sa main gauche tient un bâton, peut-être un sceptre. La légende indique -légende avers : +SIGILLU(m). S(an)C(t)I. PETRI ET S(an)C(t)I GENOVEFE VIRG(inis) (sceau de saint Pierre et de sainte-Geneviève). Le champ ne semble pas avoir reçu de décor.
Le contre sceau circulaire, beaucoup plus petit que le sceau, environ 2,5 cm, compote également une légende entre deux filets indiquant : + SANCTE(?) GENOVEFE (sainte Geneviève). Au centre et occupant presque toute la surface, un buste de femme de ¾ face. Elle porte un voile jusqu'aux épaules et est nimbée. Du haut de son vêtement on ne distingue que peu de détails.
Considération générale sur les sceaux
De Charlemagne à la fin du Xe siècle, le droit de sceller un document était un droit régalien. À la fin du Xe siècle, les hauts prélats de l'empire se sont arrogés le droit de disposer d'un sceau. Au XIe siècle, les grands seigneurs ont fait de même et au siècle suivant, les institutions religieuses (abbayes, chapitres, universités, hôpitaux, …).
Le premier sceau de majesté est celui du roi anglais Edouard le confesseur (mort en 1066). Le sceau de majesté est un insigne de pouvoir légitime ou usurpé. Selon le vocabulaire international de la sigillographie : « le type de majesté offre l'effigie du souverain siégeant sur le trône, la tête couronnée, et tenant les insignes de la souveraineté (sceptre, globe, ...). La représentation en majesté implique l'idée d'une magistrature suprême. Dans ce type de sceau, c'est le rôle de justicier du roi qui est mis en avant par rapport à son rôle de guerrier. Théoriquement réservé aux souverains dont le pouvoir est légitimement et unanimement reconnu, ce type de sceau est également utilisé par des grands seigneurs locaux qui affirment ainsi leur prétention à l'autonomie, comme les ducs de Bretagne.
Au Moyen Âge, le sceau est utilisé en premier lieu pour authentifier les actes. Il a cependant pu conserver, comme dans l'Antiquité, deux autres fonctions : fermer des lettres, des documents, mais aussi des lieux, des meubles, des récipients pour garantir l'intégrité de leur contenu ; manifester la propriété d'un objet ou d'un animal (chien, faucon, ...), attester la provenance ou la qualité d'un produit, voire confirmer le paiement de douane. Dès avant le XIIe siècle, le sceau est plus qu'un témoin d'authenticité, c'est un représentant du sigillant. Si l'acte perd son sceau, il peut être déclaré nul, ce qui peut avoir de fâcheuses répercussions lorsqu'il s'agit de terres ou de perception de taxes.
Avec la diffusion et la diversification des sceaux, plusieurs catégories de sceaux voient le jour : le grand sceau, le sceau secret, le petit sceau, ...
L'utilisation du grand sceau indique un acte officiel. Il est apposé très solennellement devant témoins. Le grand sceau était utilisé pour les actes importants. A l'abbaye, il devait être appendu à une charte portant sur les droits de la congrégation devant tous les moines réunis pour que son authenticité ne soit pas sujette à caution.
En effet, au XIIIe siècle, les membres du chapitre ont chacun leur sceau. Pour les actes courants, il existe aussi un petit sceau moins officiel. Dans les abbayes, c'est le sigillifer qui est chargé de conserver le grand sceau.
On date la généralisation du contre sceau vers le XIIe siècle, ils servent à affirmer des nouvelles dignités, pour apporter des précisions (héraldique, continuation de la légende de l'avers, seconde dignité du sigillant (contre sceau de Louis VII en duc d'Aquitaine), compliquer la tâche des faussaires...
Mais que nous dit ce grand sceau de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève ?
Le grand sceau de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève est original car les sceaux d'abbayes représentent en général le saint patron de la congrégation en adéquation avec la légende inscrite, ce qui ne semble pas être le cas ici. Cette figuration indique que le propriétaire et dirigeant de la congrégation est le saint et les moines sont ses serviteurs, l'abbé n'étant que son intermédiaire sur terre. L'avers devrait donc représenter les saints Pierre et Geneviève, or ce n'est pas le cas bien que la légende les mentionne explicitement. La légende de l'avers fait référence à Pierre car l'église construite par Clotilde était placée sous le vocable des apôtres Pierre et Paul, les fondateurs de l'Église d'Occident comme c'était la coutume. On a pu penser à un moment que la femme représentée sur l'avers était peut-être sainte Geneviève or, les deux femmes ne présentent pas le même aspect.
Il s'agit certainement de la fondatrice de l'abbaye, la reine Clotilde. Cette supposition concorde avec le personnage féminin en majesté de l'avers. Dans L'abbaye de Sainte-Geneviève et la Congrégation de France précédées de la Vie de la patronne de Paris d'après des documents inédits de FERET Pierre (1830-1911) édité par Champion à Paris en 1883 Paris : Champion, 1883 2 vol. (X-365, 419 p.), l'auteur fait référence au grand sceau de l'abbaye dans les annexes du second tome en parlant d'un sceau en majesté représentant un roi non identifié. Il est vrai que la pose et les vêtements sont assez inhabituels pour une reine.
Le fait de représenter un personnage en majesté sur son grand sceau pourrait indiquer que l'abbaye revendique son autonomie en ce qui concerne sa souveraineté sur ses terres. En effet, l'abbaye de Sainte-Geneviève de Paris, comme de nombreuses autres grandes abbayes médiévales, dispose d'un riche patrimoine foncier : l'abbaye possédait des terres de la Beauce au sud jusqu'à la Seine, au nord de la marne, à luxembourg, monceau, etc... et y exerçait des droits régaliens comme la justice ou le prélèvement des taxes. De plus, la bulle pontificale de Pascal II en 1104 place l'abbaye directement sous les ordres du saint siège.
Cependant, il est avéré que l'abbaye entretenait d'excellentes relations avec la royauté. L'église et l'abbaye de Sainte-Geneviève étant les premiers édifices religieux édifiés par un roi de France, Clovis Ier et sa seconde épouse Clotilde, elles disposaient donc d'une aura certaine, d'autant plus que sainte Geneviève y avait été enterrée en 502, de même que Clovis en 512, Clotilde en 545, et plusieurs membres de la famille royale, dont une de leur fille également nommée Clotilde et leurs deux petits fils exécutés par un de leurs oncles. Philippe Auguste (1180-1223), entretenaient également une amitié très forte avec l'abbé de l'époque qui fut même choisi comme parrain du dauphin. Les rois n'ayant pas protesté quant à l'utilisation d'un sceau de type de majesté, on peut en conclure que ce n'est pas une revendication qui a présidé au choix de ce type de sceau.
Le fait de représenter une reine sur le grand sceau de cette abbaye est avantageux à la fois pour l'abbaye qui rappelle ainsi ses liens privilégiés avec la monarchie, de même que sa fondation prestigieuse. La monarchie aussi y voit quelques avantages, car avoir la première reine de France présentée à l'égal des saints du lieu (la patronne de Paris et l'un des apôtres) est extrêmement prestigieux pour la couronne.
Le choix de la reine Clotilde pour l'avers du sceau rappelle qu'elle a co-fondé l'abbaye (dirigeant les travaux après la mort de son époux), qu'elle a fait de riches donations et qu'elle est également inhumée à l'abbaye. De plus, elle jouissait d'une réputation de sainteté dès l'époque des invasions normandes du IXe siècle, puisque la châsse contenant ses reliques a suivi celle de sainte Geneviève. Elle était vénérée en tant que modèle de piété, modèle des veuves et des reines de France, et également comme sainte patronne de la monarchie pour sa participation active à l'évangélisation des Francs faisant du royaume de France le premier royaume catholique. Son culte s'est développé dans plusieurs régions du royaume, notamment aux Andelys (Normandie) où l’église de Notre-Dame conserve une de ses côtes.
Au contraire, sainte Geneviève, reconnaissable à son nimbe et son « voile de vierge », dont le culte était localisé à Paris et dans sa région, ne disposait pas de la même aura dans le reste du royaume. Ce qui explique qu'elle n'occupe que le contre-sceau. Quant à l'apôtre, il ne figure plus que dans la légende de l'avers, ce qui n'est guère étonnant car le culte de sainte Geneviève s'est substitué à celui des apôtres en 1130, suite à la guérison miraculeuse par la sainte d'une centaine de personnes atteintes par le mal des ardents. L'identification est d'autant plus aisée que son nom est donné par la légende.
À propos de la légende, on peut remarquer qu'elle ne comporte pas la mention contrasigillum, on peut alors se demander s'il s'agit vraiment d'un contre sceau ou bien du petit sceau de l'abbaye. Le fait qu'il n'apparaisse pas sur l'empreinte de 1224 peut suggérer qu'il est plus récent que le grand sceau. En effet, l'essor du contre sceau est légèrement postérieur à celui du sceau. Avant, en lieu et place de contre-sceau, il était fréquent d'apposer une empreinte ou des poils de barbe au revers du sceau.
Bibliographie :
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VINCENT-PETIT Flavie, Les images et le culte de Clotilde 1200-1500, Mémoire sous la direction de Mme Colette BEAUNE, Université Paris X Nanterre, 1996-1997, chapitre II, page 31 et suivantes