C’est aux éditions komikku que nous devons la superbe découverte du jour : Ritournelle d’Aoi Ikebe, un épais one-shot manga qui explore tout en délicatesse les sentiments féminins de l’amour et du devoir. 

Dans un couvent, de jeunes nonnes s’occupent de petites filles et leur inculquent l’amour de Dieu et la retenue face à la gent masculine. Dans cet univers feutré coupé du monde, les cœurs vacillent face aux sentiments. Dehors, la petite ville bouillonne au rythme des passants mais, là encore, les femmes ne sont pas sereines. Quels sont donc ces sentiments qui les troublent ? Et les hommes dans tout ça ? 

Amour divin et amours profanes

Dans Ritournelle, les sœurs, et principalement sœur Marwena qui s’occupe de la novice Amilah, répètent aux jeunes dont elles ont la garde, comme il est important de se dévouer au Seigneur et que chaque acte, même les sacrifices, doit être vécu comme une grâce. Ces femmes qui ont consacré leur corps et leur âme au service de Dieu se défient des hommes qui vivent au dehors. Elles chantent pour Dieu, accomplissent les travaux ménagers pour Dieu. 
Mais voilà, le cœur a ses raisons et lorsque les regards se tournent vers les fenêtres, il arrive qu’ils croisent d’autres yeux et que le doute naisse. Qu’un feu ardent s'éveille et instille le doute. 
Les sœurs sont très maternelles avec les petites, souvent orphelines ou issues de familles pauvres, qui leur sont confiées. La relation de sœur Marwena et de la petite Amiliah est particulière. Marwena est extrêmement exigeante avec l’enfant mais, en même temps, elle se consacre à son éducation avec calme, sans jamais montrer de lassitude ou d’humeur particulière. Cette relation remonte à l’époque ou Amiliah, bébé abandonné sous la pluie, est entrée dans le couvent. 
De même, Marwena est comme une sœur aînée pour sœur Vie. Cette dernière la considère comme une grande sœur, un modèle et une confidente. Elles qui ont grandi ensemble peuvent tout se dire ou presque, et sœur Vie est la première à ressentir les inclinaisons dangereuses (à son sens) de sœur Marwena. 

Au dehors, les femmes n’ont pas une vie plus calme. Les maris volages courent les nombreuses maisons de tolérance de la ville et les prostituées sont lasses.  

Les femmes encloses 

Ritournelle est avant tout une histoire de femmes. Mais aucune de ces femmes n’est vraiment libre. Celles qui sont au couvent sont totalement coupées du monde et seule la mère supérieure reçoit les marchands extérieurs. Les sœurs ne peuvent sortir avec les novices qu’une fois tous les sept ans pour la grande procession religieuse. Les vierges consacrées, ne connaissant rien du monde extérieur, n’ont ainsi d’autre choix que de servir Dieu sans se poser de questions. 

Leurs pendants sont assurément les femmes réduites à la prostitution dans des maisons, elles aussi closes. Ces femmes qui n’ont d’autre choix de vie que de servir les hommes de passage sans pouvoir écouter leurs sentiments, ne voyant le monde extérieur que par des fenêtres grillagées et n’espérant finalement aucun des bonheurs terrestres. 

Enfin, les femmes mariées, ces honnêtes femmes comme on les appelle, qui prennent soin de leur époux, de leurs enfants et de leur maison sont, elles aussi, enfermées dans leur rôle. 

Si Marwena finit par faire son choix, celui-ci bouleverse de nombreuses vies, et elle-même ne peut finalement s’empêcher de douter de son choix et de se faire des reproches quand bien même elle a écouté son cœur et trouvé son bonheur. 

Graphiquement, le titre est somptueux avec des planches grands formats qui permettent d’admirer les graphismes simples pour ne pas dire dépouillés, mais qui vont à l’essentiel. Les visages, et en particulier les yeux, sont très expressifs. Ce sont les gestes, les expressions et les attitudes des personnages qui font le plus avancer le texte plutôt avare en parole. Car ces femmes vivent intérieurement, et la parole est assez rare finalement. Tout en couleurs dans des tons pastels, l’on remarque le code couleur imposé aux femmes. Le blanc immaculé pour les sœurs, le bleu roi pour les fillettes, moins salissant certes, mais aussi la couleur divine par excellence. Et enfin, le rouge pour les femmes du village, avec un rouge particulièrement vif pour les prostituées. Le rouge, couleur de la vie et des Hommes, mais aussi de la passion charnelle. Les hommes, pour leur part, portent des couleurs ternes, parfois rehaussées de rouge. 

Dans Ritournelle, Aoi Ikebe montre les tempêtes qui agitent le cœur des femmes dont les choix de vie sont dictés par les autres. Peu d’entre elles peuvent faire de véritable choix et inévitablement les doutes s’installent, tout comme la lassitude. Ces femmes, quelque soit leur condition, sont attachantes pour les lectrices. L’on y voit une partie du poids de la société et les rôles très stricts imposés aux femmes de manière traditionnelle. Aoi Ikebe propose de manière intelligente une véritable méditation sur les femmes, mais sans revendication. C’est plus une lecture qui laisse en germe des réflexions que chacun est libre de s'approprier ou pas. Mais je trouve que c’est une lecture indispensable avec une profondeur et plusieurs niveaux de lecture !

Titre VO: かごめかごめ
Titre traduit: Kagome Kagome
Dessin :: IKEBE Aoi
Scénario :: IKEBE Aoi
Editeur VF: Komikku Editions
Collection: Horizon
Type: Josei
Genre: Tranche-de-vie, Historique
Editeur VO: Akita Shoten
Prépublication: Champion Tap!
Illustration: n&b
Origine: Japon - 2013

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