[Exposition] En Garde! à découvrir jusqu’ au 10 novembre 2024 à la bibliothèque humaniste de Sélestat dans le Bas Rhin.
28 juin 2024La Bibliothèque humaniste de Sélestat, dont le fond est inscrit au Registre “Mémoire du monde” de l' UNESCO, propose pour sa saison estivale 2024, une exposition à la croisée des chemins. 2024 est en effet la grande année de l'olympisme en France avec la tenue des Jeux Olympiques. Mais c'est également l'année où Strasbourg est désignée, d'avril 2024 à avril 2025, capitale mondiale du livre.
A la surprise générale, la Bibliothèque humaniste de Sélestat a mis en valeur un de ses ouvrages méconnus : le traité d' escrime de Joachim Meyer, imprimé à Strasbourg en 1570.
Véritable point de départ de la réflexion de la commissaire de l'exposition Chloé Carre, cet ouvrage présente l'art de l'escrime suivant la tradition allemande. De la pratique guerrière à la littérature, en passant par les arts populaires, l'escrime est bien plus qu'une discipline olympique, c'est un héritage qui transcende les époques et les frontières pour nourrir nos connaissances passées et notre imaginaire.
L’art de l'escrime
Dérivée de la pratique militaire, l'escrime s'inscrit à la fois dans son époque, son aire culturelle et sa portée sociale. Initialement, seule la noblesse portait l'épée et était formée à la guerre. Le maniement d'une épée faisait partie des connaissances de base de chaque chevalier. L'enseignement de l'escrime passait aussi bien par une pratique très régulière auprès de maîtres d'armes que par la lecture d'ouvrages rédigés par ces derniers.
Dans son ouvrage, Joachim Meyer affiche une double volonté : transmettre avec pédagogie son art à ses élèves, mais également s'extraire de sa condition sociale d'artisan.
Cette première section de l'exposition montre l'escrime sous le prisme de la pédagogie avec une épée d'entraînement, mais aussi des illustrations par Tobias Stimmer, de cours et de mouvements des bottes plus ou moins secrètes pour différentes armes : la hallebarde, l’épée à deux mains très courante dans les traditions allemandes, le dussack ou épée courte, la rapière qui va rapidement s'imposer et le combat au corps à corps.
De la sueur, du sang et des armes
Le temps passant et les pratiques militaires évoluant, les escrimeurs se sont de moins en moins affrontés sur les champs de bataille. La noblesse d'épée désœuvrée s'est alors tournée vers les duels pour l'honneur hérités des duels de justice médiévaux. Bien qu'interdits par les arrêtés royaux, les duels étaient une pratique courante jouissant paradoxalement d'une certaine renommée. Ces duels étaient très codifiés suivaient un cérémoniel avec des témoins pour confirmer la conformité du duel et en faire la publicité à postériori et des armes spécifiques. S'ils étaient interdits, ce n'est pas pour rien, cette pratique avait tendance à décimer la noblesse à cause des nombreux décès et infirmités qui en résultaient. Pourtant, malgré quelques exceptions, la justice se montrait souvent laxiste à l'encontre des duellistes issus des mêmes classes sociales.
Les duels avaient parfois des origines minimes, comme le montre la rencontre entre le jeune D'Artagnan et ses futurs compères dans le fameux récit d'Alexandre Dumas. Ici, il s'agit certes de fiction, mais la réalité a montré que nombre de duels d'honneur ont débuté sur une peccadille insignifiante. Outre une recherche de vengeance ou de rétablissement de son honneur, il y a aussi, très vraisemblablement, une recherche de notoriété.
Un temps réservé à la noblesse, le port de l'épée se diffuse progressivement dans les classes aisées de la population, et les gentilshommes de la bourgeoisie se piquent de porter l'épée qui devient un élément essentiel du costume d'un homme de qualité. Certains vont même se ruiner dans l'achat d'une épée d’apparat.
De l’ardeur des combats aux feux de la rampe
Chorégraphies savantes, gestes amples, costumes de prix chatoyants, marqueurs d'un rang social élevé, et mythe du duel rentrent peu à peu dans l'imaginaire collectif pour créer un héros valeureux et assuré qui triomphe des traîtres par la pointe de son épée et la souplesse de son poignet.
Ainsi, la littérature du XIXe siècle regorge de récits de capes et d'épées : Les Trois mousquetaires, Cyrano de Bergerac, Le Capitaine fracasse, Le bossu, qui mettent en scènes des bretteurs impétueux mais toujours courageux au service de la juste cause, surtout si la dame est avenante. Le duel est alors devenu le point d'orgue de récits littéraires, mais aussi des films et maintenant des jeux vidéo.
Ce passage dans la culture populaire a complètement enlevé la fonction première des épées sur les champs de bataille pour n'en conserver que l'aspect artistique. Aujourd'hui encore, même dans la pratique sportive de haut niveau comme aux jeux olympiques, c'est la qualité technique du geste qui est appréciée plus que sa qualité offensive.
L’exposition est complétée par deux zones en libre accès : l’auditorium, qui diffuse quelques extraits de films célèbres, et un espace dédié aux jeux vidéo où tout un chacun peut tester ses aptitudes à l’escrime via deux petits jeux.
Ainsi, l'exposition En Garde parvient non seulement à lier deux actualités, littéraire et sportive de l’année 2024, mais également à retracer, au travers d'une trentaine de livres et d’œuvres, la manière dont l'escrime a évolué ainsi que sa perception au fil du temps, de l'art militaire à la pratique nobiliaire jusqu'à un paradigme(modèle ou engouement) de l'art populaire encore fortement ancré dans les imaginaires