Si le Musée du Louvre conserve une écrasante majorité d’oeuvres datant d’avant 1848, il est quelques rares exceptions, comme les énigmatiques Danaé et Hortus Conclusus d’Alselm Kiefer. 

Une oeuvre osée ?

Créées en 2007, Danaé et Hortus Conclusus se regardent comme dans un miroir. 
D’un côté, une sculpture inspirée de la mythologie grecque, on la retrouve ainsi dans les  Métamorphoses d’Ovide. Selon le mythe ancien, Danaé, jeune princesse à la grande beauté, fille d'Acrisios le roi d'Argos et d'Eurydice (fille de Lacédémon) est enfermée dans une tour gardée par des chiens, sous le regard de sa vieille nourrice. En effet, un oracle a prédit au roi qu’il serait tué par son petit-fils. Toutes ces précautions ne suffisent pas et Zeus, qui s’éprend de la jeune fille, décide de lui rendre visite sous la forme d’une pluie d’or. Sous cette forme anodine mais miraculeuse, il glisse sur la peau de sa nouvelle conquête (qui ne lui a rien demandé) et l’enveloppe entièrement. Mais cette étreinte charnelle, dont la jeune femme ne semble pas être consciente, n’est pas anodine. Zeus, sous sa forme de gouttelettes, chemine dans les replis de chair rose, plongeant littéralement dans sa partenaire, au plus profond de son intimité, et finit par la féconder ! 
La pauvre a bien du mal à expliquer cette grossesse non désirée, et la suite de l’histoire est effrayante. Elle donne naissance à Persée, demi-dieu futur pourfendeur de la Méduse entre autres. Acrisios décide de les enfermer dans un somptueux coffre et de les faire jeter à la mer. Ils dérivent ainsi un long moment avant d’être sauvés par des pêcheurs Sérifos. Des années plus tard, Persée finit par tuer accidentellement son grand père, accomplissant la prophétie et rappelant que nul ne peut changer son destin. 
La sculpture évoquant Danaé est d'apparence simple. C’est une évocation pudique mais riche de sens. Une tige et un cœur de tournesol fané sur une pile de livres anciens. Personnellement ça m’a toujours fait penser à une douche … Sur le socle, des graines de tournesol dorées évoquent la pluie d’or. 

En face se dresse Hortus Conclusus. Sous ce nom latin signifiant littéralement “Jardin clos”  et désignant dans l’Ancien Testament le jardin de Dieu où règne la paix éternelle, se cache, à mon sens, la Vierge Marie, mère du Christ. La Vierge est un jardin clos dont nul homme n’a poussé la porte (voir article J’entre en mon jardin). Marie a été choisie entre toutes les femmes pour porter l’enfant de Dieu. C’est l’archange Gabriel qui vient lui annoncer sans qu’elle aussi ait l’opportunité de décliner l’offre. D’ailleurs, lors de l’Annonciation, elle est déjà enceinte. Comme vous le savez, son fils a eu un destin exceptionnel et tragique. 
L’Hortus Conclusus se présente sous la forme de 12 tiges et cœurs de tournesols plantés sur un socle en forme de butte. L’on y voit bien la représentation du jardin médiéval et son usage de la métonymie. 

Dans la forme, on retrouve le tournesol, si cher à l’artiste depuis les années 1970, incarnant le renouveau et, dans une certaine mesure, la fertilité. 

Les deux histoires se font face et entrent en résonance : 

  • Une conception sans union charnelle
  • Un enfant divin au destin incomparable
  • Une fin tragique 
  • Une postérité inaltérable

Elles montrent que les frontières entre les religions sont parfois ténues et qu’il n’est pas rare de voir des similitudes entre d’anciens mythes et des religions. C’est une théorie de Claude Lévi-Strauss que j’ai déjà abordée dans l’article sur la pièce Le Lièvre blanc d’Inaba

La place de l’oeuvre dans le musée ? 

La place de cette oeuvre est bien particulière dans le Musée du Louvre. Située dans l’escalier conçu par les architectes Percier et Fontaine au XIXe siècle au nord de la Colonnade de Perrault, dans deux alcôves qui se font face, séparées par des colonnes de pierre, comme dans un temple accueillant des images sacrées. 
Il s’agit d’une commande publique de grande ampleur (d’un coût d’environ 800 000€) au côté du plafond de Cy Tombely et des vitraux de François Morellet. C’est une première depuis le plafond de Braque en 1953. 

Danaé et Hortus Conclusus se trouvent à une frontière entre différents espaces : entre le Rez-de-Chaussée et le premier étage, mais également entre le district de l’Egypte ancienne et l’époque de Louis XVI. Elles s’inscrivent dans un passé lointain, aux fondements de la culture Occidentale gréco-latine et Chrétienne. L’on connaît la passion de l’artiste pour le passage et les frontières. 

Quetzal Coatl, Athanor de Anselm Kiefer, Louvre, Flickr

Une troisième oeuvre d’Anselm Kiefer est exposée dans la même salle. Nommée Athanor comme le four alchimique, matrice secrète servant à la transmutation de la matière, il s’agit d’un sombre tableau de plus de 11 m de haut aux matériaux composites. L’on y voit un homme couché sur le dos, d’où s'échappe une étincelle qui monte vers un ciel étoilé. “Ces deux motifs, celui de l’homme couché, et celui du ciel étoilé sont des thèmes essentiels et récurrents dans l’œuvre d’Anselm Kiefer. L’homme nu est un autoportrait de l’artiste, motif qui est apparu dès les premières œuvres photographiques et peintes des années 70.”
En bas se trouve une ligne de plomb, au milieu une ligne d’argent et en haut une ligne d’or. A la même hauteur, l’on trouve les mots (difficilement lisibles) « nigredo », « albedo », « rubedo ». Ils désignent des couleurs en alchimie : noir, blanc et rouge qui renvoient aux changements de la matière selon les différentes étapes du plomb en argent puis en or. 
Cette oeuvre m’a toujours fait penser à la séparation de l’âme et du corps, ancienne représentation de la mort, mais en fait pas vraiment. “Un dessin de 1971 (Homme étendu avec une branche) montrait déjà un corps couché avec un arbre surgissant du ventre. Cet élément végétal poussant des entrailles est une image alchimique exprimant la renaissance après la mort, le flux vital qui unit le corps à l’univers.”
Bien qu’Athanor tranche avec les deux autres œuvres moins figuratives, ce tableau représente également la métamorphose d’un état à un autre.   

Il s’agit une nouvelle fois d’une oeuvre d’art plutôt abstraite, mais à l’interprétation riche, trop souvent négligée par les visiteurs. Je suis certaine que maintenant vous verrez cette oeuvre sous un nouveau jour ! 

Visuels : sauf mention contraire (c) Sandra B.

Retour à l'accueil