[Exposition] Les arts en France sous Charles VII (1422-1461) à découvrir au Musée de Cluny jusqu’au 16 juin 2024
16 mars 2024Plus connue comme période charnière lors de la guerre de 100 ans et la célèbre figure de Jeanne d’Arc, le règne de Charles VII est également riche d’une production artistique chatoyante trop souvent négligée ou éclipsée par les périodes précédentes (règne de Charles V) ou suivantes avec la pré-Renaissance qui a suivi les guerres d’Italie. C’est pour corriger cette regrettable impression que le Musée de Cluny propose, jusqu’au 16 juin 2024, une très belle exposition sur les arts des différentes cours à cette période.
La légitimité du roi par les arts
S’il est une chose que les rois de France et les grands seigneurs avaient bien comprise, c’est l’importance de se mettre en scène dans ses représentations. Charles VII ne déroge pas à cette règle et n’hésite pas à faire appel aux plus grands artistes de son temps, dont le fameux peintre Nicolas Fouquet qui livre un portrait du roi qui renouvelle le genre et ouvre la porte aux portraits monarchiques des siècles suivants. Car Nicolas Fouquet est un artiste particulièrement moderne. Il met en scène le roi dans une tenue onéreuse mais pas tape à l’œil, avec un grand chapeau ouvragé qui lui tient lieu de couronne. Il se détache sur un fond neutre et est entouré de deux rideaux particulièrement sobres, ce qui fait particulièrement ressortir la carnation et les traits de son visage. On est face à un portrait presque psychologique tant le roi y paraît songeur et détaché, mais en même temps hors du monde, lui qui n’est pas un être comme les autres.
Charles VII et ses proches usent également de représentations symboliques à l’image des petites enseignes en plomb représentant un dauphin qui était un signe de ralliement que les partisans du jeune prétendant au trône de France arboraient sur leurs costumes.
Plus encore, une grande tapisserie représente deux cerfs ailés dans un jardin clos, cernés par des lions. Ici, les cerfs ailés semblent représenter le Roi Charles VII (ils sont un de ses symboles favoris), le jardin clos serait alors le royaume de France et les lions tout autour, les anglais qui lorgnent sur le beau jardin.
Des foyers artistiques nombreux et variés
Aux côtés du grand centre artistique qu’est Paris, comme en témoigne le tableau La trinité aux chanoines, de nouveaux centres artistiques émergent sous l’impulsion de grands seigneurs, en particulier dans les régions les plus éloignées des conflits entre les rois de France et d’Angleterre. La Bretagne, qui est alors un duché indépendant, jouit d’une paix relative tout comme les duchés d’Anjou et du Bourbonnais. Du côté de la riche région de la Champagne et de la Touraine, ce sont les grands bourgeois, enrichis par le commerce, qui peuvent passer des commandes prestigieuses. Les édifices religieux ne sont pas en reste avec, ici présentés, deux vitraux de la rose de la cathédrale d’Angers. En partie restaurés au XIXe siècle, ils présentent toujours de spectaculaires compositions datées du règne de Charles VII.
Le foisonnement artistique est dû non seulement à la pacification progressive du royaume, mais également aux déplacements des artistes d’un foyer à l’autre. C’est ainsi que des artistes originaires des Pays-Bas ou d’Italie commencent à arriver dans certaines régions prospères, emportant avec eux les germes d’un art nouveau.
Reconstruction du royaume et innovations formelles
Des décennies de guerres entrecoupées de fragiles périodes de paix ont totalement ravagé les parties du royaume de France. Le Nord, la Normandie mais aussi l’Aquitaine sont à reconstruire ! Une occasion en or pour tester de nouvelles approches et laisser sa patte dans l’architecture. Qu’ils soient religieux, nobiliaires ou bourgeois, l’art et l’architecture affichent de nouvelles ambitions et avancent avec leur temps. La mode féminine s’affiche sur des tapisseries et des sculptures, mais aussi des vitraux civils dont Les joueurs d’échecs. Nicolas Fouquet (encore lui) se pique même de l’audace de représenter son portrait sur un médaillon en vitrail.
L’architecture s’affiche dans les tableaux et les manuscrits jusque dans les scènes du Nouveau Testament dont Sainte Anne et ses filles, une miniature issue des Heures d’Etienne Chevalier et peinte par Nicolas Fouquet (quel artiste polyvalent). Il y figure la sainte et ses trois filles devant un paysage parisien contemporain de la réalisation de l’œuvre. Outre sa qualité plastique, c’est aussi un fabuleux témoignage de la physionomie parisienne au milieu du XVe siècle.
Grâce à de très beaux prêts de la BNF, un nombre impressionnant de manuscrits vient ponctuer l’exposition. S’ils surprennent tous par leur état de conservation impeccable et la richesse de leurs enluminures, le plus original, tant sur le fond que sur la forme, est sans nul doute le Livre des tournois de Barthélemy d’Eyck. Une mise en page innovante de tournois où foisonnent les personnages et les détails, peints à l’aquarelle sur papier ! Totalement disruptif !
Servie par une scénographie classique mais maîtrisée, chaque œuvre est mise en valeur aussi bien en tant qu'objet artistique que pour sa valeur historique.
L'exposition les Arts au temps de Charles VII permet de combler les lacunes sur une époque souvent vue comme uniquement militaire et peu foisonnante sur le plan créatif, coincée entre un art médiéval florissant autour de l'école de Paris et la flamboyante Renaissance italienne dont on voit ici les prémices. Un long travail de recherche a permis de réunir des ensembles qui sont parfois conservés dans des institutions différentes. Le choix pointu des œuvres offre ainsi un panorama édifiant de la création artistique dans le royaume et les grands duchés malgré les troubles de la guerre. Elle montre aussi que l'art porte alors un message fort au service des puissants et que les influences, tant italiennes que néerlandaises, ont profondément influencé les artistes participant à l'émergence de nouveaux motifs.