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LUMINAIS Evariste Vital (1822-­1896), Les Enervés De Jumièges, 1880, Huile sur toile, 1,97 × 1,76m, Rouen, Musée des Beaux Arts, n°912,1, Photographie Didier Tragin / Catherine Lancien

Nombreux sont les témoignages à propos de ce tableau. En effet, ce qui frappe le spectateur au premier abord, c'est le contraste titre-tableau "des énervés, ces pauvres jeunes hommes avachis dans cette barque!!" et pourtant. Cette oeuvre d'Evariste Vital Luminais relate une légende fort ancienne (la première mention daterait du XIIe siècle)  répandue et qui a repris littéralement les termes de l'histoire.

La légende 

Clovis II étant parti en croisade, ses deux fils en profitent pour mener une rébellion. Le roi en étant informé revient en toute hâte mater la rébellion, capture ses fils et doit se résoudre à les châtier. La peine pour trahison est généralement la mort.

Mais les suppliques de leur mère Bathilde (pourtant réputée pour sa fermeté et son intransigeance) le font "fléchir", il est donc proposé de les "énerver", c'est à dire de brûler ou couper les nerfs des jambes et dans les cas graves, les bras aussi, rendant le supplicié totalement invalide. Après ce cruel châtiment, les deux jeunes hommes sont placés sur une barque à la dérive sur la Seine, les parents priant pour que le Seigneur leur accorde sa bénédiction. Les suppliciés, voués à une mort certaine, accostent finalement, certains diront miraculeusement, près de l'abbaye de Jumièges qui les accueille en son sein.

première esquice pour les enervés-1880-Luminais    étude énnervés de jumièges-evariste vital luminais

Cette histoire frappante a longtemps été perçue comme véridique, ce qui explique qu'un peintre historiciste comme Luminais en ait eu connaissance.

Réinterprétant partiellement la source, Luminais décide de peindre la dérive des deux jeunes princes juste après l'exécution de la sentence. Ils sont isolés sur cette immensité où l'eau et le ciel se mélangent, gisants, impuissants (un serviteur est présent dans les sources et une des esquisses mais à disparu par la suite).

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Dans ce paysage glauque, les deux princes, amorphes, sont chaudement enveloppés d'une couverture aux ornements de types germaniques (svastika, cavaliers, animaux, formes géométriques, ...) et enfoncés dans des coussins. À la proue de la barque, une petite niche contenant une statue religieuse est entourée d'une couronne de roses et d'une bougie indique la protection divine. D'autre part, l'aube lumineuse du fond du tableau est généralement perçue comme le symbole d'espoir.

Une fois recueillis et soignés par les moines de Jumièges, ils entrent dans les ordres. Leurs parents, apprenant la nouvelle, font des donations à l'abbaye.

Aussi intéressante que soit cette histoire, les chercheurs ont prouvé depuis son inexactitude. En effet, il n'y a aucune trace d'une quelconque croisade de Clovis II. De plus, à la mort de ce dernier au jeune âge de 22 ans (635-657), ses fils étaient bien trop jeunes pour se rebeller.

Evariste-Vital Luminais - Les fils de Clovis II-1880-sydney

LUMINAIS Evariste Vital (1822-­1896), Les Enervés De Jumièges, 1880, Huile sur toile, Sydney.

Le tableau de Rouen est la réplique autographe de la première version de l'oeuvre exposée au Salon de 1880, et aussitôt achetée par le musée de Sydney. La version de Rouen a été acquise après le décès du peintre qui semble avoir voulu conserver un exemplaire d'une oeuvre si marquante. On souligne toutefois quelques différences.

On peut supposer que cette légende a été largement diffusée par l'abbaye (fondée en 654) qui y voyait un moyen de se mettre en avant en prouvant ses liens de longue date avec la monarchie française. C'est en effet à partir de la seconde moitié du Moyen Âge que se développent les pèlerinages et que les grandes fondations entrent en concurrence pour cette manne.

Dernièrement l'on m'a fait part d'une autre hypothèse : "L'abbaye de Jumièges fut certainement la plus riche abbaye de Normandie. Lors de sa seconde consécration, en 1067, Guillaume le Conquérant la dote richement, et surtout lui donne accès aux richesses de l'Eglise anglaise. Plus tard, il en sera de même, avec notamment Charles VII, puisque sa maîtresse, Agnès Sorel va y mourir, après son accouchement. (On peut visiter le Manoir d'Agnes Sorel à côté des ruines de l'abbaye. ) Du fait de ces riches protecteurs, je penche pour une récupération politique du royaume de France par rapport au royaume d'Angleterre."

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