L'enfant roi...
28 nov. 2010Albert MAIGNAN(1845-1908), Hommage à Clovis II, 1883, H/T, 1,09 x 1,40m, Rouen MBA
Lorsque je regarde ce tableau, je ressens une impression étrange, quelque chose ne va pas... un décor somptueux, des personnages plein de déférence, un digne soldat et, au milieu de cet imposant trône .. un enfant dépassé par la situation. Ce petit garçon (et oui !) n'est autre que le jeune Clovis II qui vient d'acceder au pouvoir à seulement trois ans.
C'est le moment où les grands du royaume lui prêtent serment à tour de rôle.
Le garçonnet, assis sur un trône trop grand pour lui, semble perdu. Il ne réalise pas qu'il est le nouveau roi, et le spectateur se demande comment de si frèles épaules vont supporter une si lourde charge. Et c'est bien là le ressort du tableau.
Réalisé sous la IIIe République, cette oeuvre est clairement anti-monarchique. C'est une critique à peine masquée de la royauté héréditaire qui peut confier le destin d'un peuple et d'un pays à un enfant trop jeune pour faire quoi que ce soit.
Outre l'enfant, un guerrier franc se tient à sa droite, surveillant le déroulement des hommages, la main sur le pommeau de son épée. Une fois n'est pas coutume, il n'est pas affublé d'un casque à ailettes. Les autres personnages semblent être des écclésiastiques.
Le personnage à l'arrière plan à gauche du jeune roi porte l'ancienne mître des évêques (connus par d'anciens sceaux).
Les détails sont incroyablement représentés, Maignant s'est vraisemblablement bien documenté. Le trône en premier lieu, deux têtes de lions en cristal ressemblant fortement à ceux conservés au musée national de Cluny. Il en va de même pour les sculptures des accoudoirs qui sont à rapprochér de la statuette d'Ariane, également conservée à Cluny. Enfin, la couronne, visible au premier plan, a été identifiée par des spécialistes comme étant celle du roi Receswinthe, présente au musée archéologique national de Madrid (provient du Trésor wisigoth de Guarrazar dont quelques couronnes sont exposées au Musée de Cluny).
Cependant, quelques petites erreurs se sont glissées dans ce tableau. Au premier plan... ce sont les sceaux, encore eux, on va finir par croire que c'est une obsession! Bref, ces sceaux ne correspondent absolument pas à ce qui se faisait à l'époque mérovingienne. Les sceaux appendus sur lac de soie ne sont pas apparus avant le XIe-XIIe siècle. De même, la différenciation des cires pour les sceaux et très postérieure à la période représentée.
Il s'agit d'un tableau que j'apprécie rééllement. Il est détaillé, lumineux, documenté. Le petit garçon apeuré est plutôt émouvant. Et surtout, le tableau est subtil dans son discours. Ce n'est pas une critique frontale, mais il porte à réflexion, dans une société où la République était encore jeune (à peine 13 ans après la défaite de Napoléon III à Sedan).