Le Merveilleux Restaurant des souvenirs de Yuta Takahashi
31 mai 2025Les éditions Hauteville lancent une nouvelle collection consacrée à la littérature japonaise et coréenne dans ce qu’elle a de plus délicate et bienfaisante. Le Merveilleux Restaurant des souvenirs de Yuta Takahashi est l’un des trois ouvrages de lancement.
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Dans la préfecture côtière de Chiba se trouve un singulier restaurant qui permet de soigner les âmes endeuillées le temps d’un repas fumant : le chibineko. Un jour Kotoko pousse la porte du petit restaurant sur la recommandation d’une connaissance de son frère. A peine le repas servi, la magie opère.
Le deuil réparateur
Sentiment universel, le deuil est l’élément central du livre. Étape obligée, éminemment intime, chacun le vit différemment à l’image de sa relation au défunt et des conditions du décès.
Pour Kotoko, le deuil a la saveur particulière de la perte de son frère et de la culpabilité. Elle adorait son grand frère, figure lumineuse qui réussissait tout ce qu’il entreprenait. Elle se sent coupable de sa mort puisqu’il est venu à son secours. Cette culpabilité est doublée par la douleur incommensurable de ses parents.
La disparition de son frère a été si rapide et imprévisible que Kotoko ne peut trouver l’apaisement. C’est alors qu’elle entend parler du chibineko, un restaurant un peu spécial où les défunts peuvent apparaître une seule et unique fois le temps d’un repas. L’occasion unique d’une dernière rencontre, d’échanger des paroles d’amour et de réconfort, de crever l'abcès si besoin. De quoi apaiser aussi bien les morts que les vivants et dissiper les regrets et les pensées morbides. Le tout sous le regard d’un charmant chaton dont on pourrait penser qu’avec ses neuf vies, il forme un lien avec l’autre monde tel un psychopompe.
Rencontre
Mais le restaurant est également l’occasion de rencontres lorsque l’on s’y rend, mais également lorsque l’on en parle autour de soi. Pour Kotoko, la découverte de ce lieu change sa vie pour le mieux. Elle sort de l’ombre écrasante et réconfortante de son frère pour prendre son envol et aller vers les autres. Et ces rencontres la font grandir mais touchent également ceux qu’elle côtoie.
Repas du souvenir
La nourriture, par ses couleurs, sa texture, ses saveurs, ses senteurs et même sa sonorité est un grand vecteur d’émotions directement liées à la mémoire. Proust l’avait bien compris avec ses madeleines. Ici la nourriture a une vocation singulière puisqu'elle fait partie intégrante du rituel du deuil. Le repas du souvenir proposé au chibineko ne s’inscrit cependant pas dans la tradition bouddhique. Ici, il s’agit d’un repas spécifique préparé spécialement pour évoquer le souvenir du défunt recherché. A titre personnel, je trouve cette idée du repas du souvenir très intéressante.
Cet ouvrage de 187 pages est autant une ôde à la vie qu’à la cuisine. Chaque chapitre est accompagné de recettes typiquement japonaises (mais pas vraiment végétariennes). C’est une invitation à l’apaisement. Doucement mélancolique mais joyeux, l'écriture est fluide et la lecture facile. Le Merveilleux Restaurant des souvenirs évoque le rêve de nombreuses personnes qui ont perdu un proche et qui vivent avec les regrets d’un “au revoir” manqué. Ici, la résilience ne vient pas d’une force intérieure mais du pouvoir des rencontres et de la douce caresse des souvenirs heureux.
Avec Le Merveilleux Restaurant des souvenirs, Yuta Takahashi invite à prendre le temps et à s’ouvrir aux autres, ce qui est paradoxal dans une société japonaise où les sous-entendus sont maîtres. La “feelgood” littérature est un genre en pleine expansion en Asie et il faut reconnaître que par l'habileté d’un bon traducteur, ici Déborah Pierret-Watanabe, ce genre de titre fait un bien fou, comme un encart méditatif dans une vie qui ne prend pas le temps. Car le temps est aussi nécessaire aux vivants qu’aux souvenirs défunts qu’il faut savoir exorciser ou chérir.
Yuta Takahashi
Déborah Pierret Watanabe (Traducteur)
EAN : 9782381226729
192 pages
Hauteville (05/03/2025)