Grandeur Nature le premier parcours d’art contemporain dans les jardins anglais du Château de Fontainebleau à voir du 14 mai au 17 septembre
02 juin 2023Pour la première fois, les jardins anglais du Château de Fontainebleau accueillent une exposition d'art contemporain en plein air. Ce programme comprenant 40 œuvres réalisées par 18 artistes a été réalisé en partenariat avec le Musée de la Chasse et de la Nature et la fondation François-Sommer.
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Le jardin anglais
Conçu sous le premier Empire par Maximilien-Joseph Hurtault, le jardin anglais de Fontainebleau couvre 12 hectares comprenant un lac et une rivière anglaise enjambée de petits ponts. Ses vastes pelouses verdoyantes répondent à des bosquets fleuris et des arbres centenaires entre lesquels courent de petits chemins sinueux.
Ce jardin paysager fait la part belle à la déambulation contemplative et aux surprises comme les sources et bassins, mais aussi les points de vue bucoliques. Son agencement permet de bénéficier d’une belle fraîcheur même pendant les périodes les plus chaudes.
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Une exposition pleine de surprises et de poésie
Profitant de la disposition du jardin anglais, les commissaires d'exposition Christine Germain-Donnat et Jean-Marc Dimanche ont conçu une véritable chasse au trésor. Placées au détour d’un chemin, émergeant des buissons fleuris, habillant une grotte, détournant les sculptures historiques ou encore voguant gaiement sur le lac, les quarante œuvres sélectionnées s’insèrent harmonieusement dans ce jardin historique favorisant la contemplation et la rêverie. Souvent poétiques, parfois drôles, les œuvres y trouvent naturellement leur place.
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L’œuvre-boîte de Gilles Barbier prend place sur une jolie pelouse d’un vert tendre. Si de loin elle s’apparente à des ailerons de requins émergeant des herbages de la prairie, de près (car il est possible pour une fois de fouler les pelouses) elle prend tout son sens. Son association avec Point de vue de Philippe Ramette est plus que bienvenue. Cette chaise d’observation toute en hauteur rappelle les vigies des sauveteurs en mer qui sont souvent les premiers à voir les requins s’approcher des baigneurs.
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Dans un tout autre registre, Dwarff ! Dwarff ! du collectif Présence Panchounette, présente un nain de jardin de près de deux mètres, en tenue estivale, qui expose avec fierté son château de sable à l’ombre d’un grand séquoia, le plus grand arbre du parc, pour un jeu d’échelle entre les deux, mais aussi un questionnement sur la place du kitch dans la nature, et plus largement sur la question du beau et du kitsch.
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Nature permanente de Céline Cléron évoque avec humour un saule pleureur qui s’apprête. Renvoyant à un souvenir d’enfance où sa grand-mère avait l’habitude de longue date de se poser des bigoudis dans les cheveux, l’artiste montre comment cette étape pas très sexy est devenue un rituel de beauté au regard de l’élégance naturelle et romantique du saule pleureur. C’est comme si l’arbre était surpris en pleine préparation avant la venue des promeneurs. Appliqués à la nature, ces bigoudis géants rappellent que la main de l’Homme est partout dans la nature, pour planter des essences, tailler des arbres, redessiner des cours d’eau.
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La Baraque à frites de Philémon Vanorlé est un clin d’œil à la culture culinaire emblématique de la Belgique : la baraque à frites ! Mais celle-ci est conçue pour résister au changement climatique, que ce soit la montée des eaux, problématique dans un pays côtier, ou encore munie de panneaux photovoltaïques pour actionner ses friteuses, la Baraque à frites est prête à résister à tous les chamboulements. Cette œuvre est d’autant plus emblématique que, sous couvert d’humour, elle parle de réchauffement climatique. Mais elle renvoie également au pays invité cette année par le festival d’Histoire de l’art : la Belgique bien évidemment.
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Dancing Stone de Gerard Kuijpers est une œuvre à la fois poétique et ludique. Ces pierres de plusieurs kilogrammes semblent suspendues, résistantes aux lois de la gravité universelle. Issues de carrières européennes en activité et spécialement sélectionnées par l’artiste, il réussit à trouver leur point d’équilibre parfait. Ainsi, raisonnablement stimulées, les pierres ondulent plusieurs secondes sur le fin filin métallique qui les supporte.
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Les Hybrides de Jean-François Fourtou est une œuvre insolite où une famille très britannique avec ses habits de tweed profite des belles journées pour pique-niquer dans le jardin devant la salle du manège où <,s'entraînent les chevaux. Mais cette famille est un peu particulière puisque, sous ses beaux atours, elle est intégralement composée d’éléments végétaux dont l’exubérance est contenue par le costume humain un poil guindé.
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Enfin, Pigeonner de Julien Berthilier apporte une note d’humour et d'inattendu sur les sculptures classiques du jardin. De bronze ou de marbre, les coulombs sont fièrement posés aux endroits les plus naturels sur les sculptures hôtes. De loin, ils sont à peine distinguables et de près, ils sont si bien intégrés qu’ils semblent toujours avoir été là. Il est amusant de voir les pigeons, souvent considérés comme des parasites et des nuisances qui dégradent les statues, en devenir à leur tour. Et puis il faut reconnaître qu’ils ont un port fier !
Les œuvres présentées dans cette belle exposition en plein air ont également une portée symbolique puisqu’elles sont nombreuses à évoquer l'environnement et le bouleversement climatique.
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Cette notion est bien présente dans les œuvres Baraque à frites et l'œuvre boite, mais elle prend une dimension spirituelle avec Gaïa et Lug ainsi que Cernunnos de Christophe Charbonnel. Les divinités antiques, sous la forme d’êtres hybrides, veillent sur les sources du jardin, rappelant les anciennes croyances païennes. Incarnation de la Nature, ces œuvres en bronze à la belle patine ont une stature qui semble immuable bien que lacunaire, comme si elles se dissolvaient lentement, comme si la Nature laissait place au vide insondable et irréversible de nos erreurs climatiques passées et présentes.
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A tous vents de Carole Chebron n’est pas qu’une œuvre à voir, c’est aussi une œuvre à entendre. Composée de 300 moulins à vent en plastique blanc disposés sur le rocher d’une cascade artificielle du XIXe siècle à l’arrêt, ils attirent l’attention sur le bruissement du vent auquel peu portent attention et sont un échos du bruissement de l’eau qui jadis perlait sur cette surface. D’un point de vue climatique, l'énergie du vent est un atout si elle est bien canalisée, rappelant que les jeux d’enfants portent peut-être une solution d’avenir.
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L’Immortelle porte un paradoxe, cette sculpture en aluminium de Martine Feipel et Jean Bechameil porte le nom d’une fleur délicate qui malgré son nom est aujourd’hui en voie de disparition. Celle-ci, immortalisée de manière monumentale et brillante de mille feux sous le soleil printanier trouve sa place dans un écrin de verdure. C’est le changement climatique et le bouleversement des cycles naturels qui mettent l’espèce en danger. En espérant que cette sculpture ne soit pas la pierre tombale symbolique de cette espèce végétale endémique du littoral français.
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Embruns d’Elsa Guillaume est une évocation des fonds marins ravagés par le chalutage. Cette destruction des écosystèmes, loin de nos regards et pourtant essentiels, met plusieurs décennies à se reconstituer quand cela est possible. C’est une des causes de la désertification des fonds marins et une perte inéluctable pour la biodiversité marine pourtant essentielle à l’équilibre de la planète.
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Fragment of memory de Katarzyna Kot semble simple au premier abord. Mais c’est en approchant de ces grands poteaux de chênes que l'œuvre se dévoile avec ses incrustations de fragments de nature dans l’acrylique. Adepte du Land Art, l’artiste interroge sur la nature comme ressource. Est-elle inépuisable ou est-elle vouée à finir dans un musée, figée dans l’ambre comme les fragments du paléolithique le sont ? L’homme doit se positionner dans son rapport à la Nature et apprendre à en tirer le juste minimum avec respect.
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Rhinocéros n’est pas une référence à l’ouvrage subversif de Ionesco mais des rhinocéros topiaires conçus en inox par François-Xavier Lalanne. Ces deux structures métalliques particulièrement détaillées offrent un support pour les plantes grimpantes comme le chèvrefeuille, tout en apportant une touche de fantaisie au jardin. L’art topiaire originaire d’Italie au XVIe siècle est une composante majeure du jardin ordonné ou “à la française” en proposant une vision maîtrisée de la nature. Déjà à la Renaissance, le rhinocéros est un animal quasi mythique que ses contemporains peinent à imaginer. Aujourd’hui, le rhinocéros est un animal parfaitement identifié mais reste associé à l’exubérance et l’exotisme digne d’un parc impérial. D’autant qu’avec son emplacement devant la grille de la sortie secrète, il évoque un zoo, mais cette fois, le visiteur est avec les animaux.
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Abeille, aigle, cerf et dauphin de Laurent Le Deunff sont des sculptures en béton qui occupent une partie des socles vides du jardin remplaçant des marbres et des bronzes disparus, ces sculptures en matériau non noble évoquent pourtant les animaux liés aux grands personnages qui ont habité les lieux : l’abeille et l’aigle de l’empereur Napoléon Ier quand le cerf et le dauphin évoquent le fils aîné du roi de France et le sport favori de la noblesse : la chasse.
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Monocoque Cistude de Yoshikazu Goulven Le Maître est une carapace géante de tortue. Tout en aluminium, elle évoque le matériau mais également la structure d’un habitacle de voiture. Deux visions du déplacement antinomique puisque la tortue est identifiée à la lenteur alors que la voiture est un moyen de déplacement particulièrement rapide. Proche du mouvement de l’arte povera, Yoshikazu Goulven Le Maître est adepte de recyclage et d’upcycling avec une volonté de toujours réduire l’usage énergétique. Il nous questionne sur la valorisation des déchets et la notion même de déchets.
Le jardin anglais de Fontainebleau est un écrin d’une rare élégance qui permet au Musée de la Chasse et de la Nature d’explorer le côté plus nature justement.
Cette première exposition Grandeur Nature est une réussite tant dans le choix des œuvres que pour leur scénographie. La surprise est à l'œuvre à chaque détour, emportant les visiteurs dans un monde merveilleux, côtoyant l’enfance, les mythes et l’histoire du lieu. Mais ces œuvres d’art ne sont pas que drôles, elles portent un message sur le lien de l’Homme à la Nature : la Nature libre ou domestiquée, mais également la Nature mystique et divine ou comme vulgaire ressource. Le changement climatique nous met à l’épreuve tout autant que la nature, mais qui sera le plus résiliant et le plus apte à s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. Nous aurions beaucoup à apprendre de la nature et intérêt à nous rapprocher d’elle dans de nombreux secteurs et pas seulement économiques.
Si comme moi vous n’êtes pas revenu au château de Fontainebleau depuis quelques années (2 ans dans mon cas) vous aurez le plaisir de découvrir l’escalier en fer à cheval entièrement restauré, le restaurant du château qui propose des plats élaborés à partir de produits locaux et de saison ainsi qu’une nouvelle boutique de centre des monuments nationaux avec un lustre des plus surprenants. Prochaine étape pour le château : la restauration de la porte d’or.