Le 60e festival international du film d’animation d’Annecy inaugure en beauté la saison des festivals de 2021
30 juin 2021Après une édition en ligne en 2020 et de longs mois d’incertitudes, la 60e édition du Festival international du film d’Animation d’Annecy a débuté sous un soleil radieux et lève le rideau sur la saison 2021 des festivals. Retour sur une édition riche en découvertes, en coups de cœur et en déceptions.
Cette année, il n’y avait pas moins de 12 films en compétition, un record ! Mais, suite à un événement aussi rare qu’imprévu, ce sont finalement 11 films qui ont concouru et comme je les ai tous vus, je vous donne mes impressions :
Honneur aux trois films récompensés, à commencer par Flee qui a reçu à juste titre le cristal du long métrage 2021 mais également le Prix Sacem de la musique originale et le Prix Fondation Gan à la diffusion. Ce film franco-danois de Jonas Poher Rasmussen, de par son sujet, s'apparente à un documentaire. Basé sur des faits réels (les noms et les lieux ont été changés pour garantir la sécurité des personnes), il relate les difficultés et la violence physique et morale endurées par une famille de migrants afghans dans les années 1990. Mêlant animation et images d’archives, l’histoire suit le récit d’Amin, qui a quitté l'Afghanistan avec sa famille lors de la prise de pouvoir des talibans. Son enfance est marquée par la peur de l’expulsion de Russie, les rackets et la violence de la police soviétique après la chute du bloc communiste. Il raconte la peur lors des voyages avec les passeurs, le sacrifice de ses frères pour lui assurer, à lui et ses deux sœurs, un passage vers l’Europe. Ce récit qui pourrait être glauque et larmoyant brille au contraire par sa retenue. Le narrateur a pris de la distance avec les faits, même si la blessure de cette enfance brisée et des mensonges qui en ont découlé continuent de le tourmenter. Aujourd’hui, c'est un universitaire brillant et un homme comblé par son mariage prochain avec Kasper avec qui il partage sa vie depuis longtemps. Il est temps pour lui d’affronter ses démons pour se tourner vers l’avenir. Plusieurs entreprises françaises ont participé à la production du film et deux studios français ont été impliqués dans sa réalisation. Flee a été sélectionné au festival de Cannes 2020, il a reçu le prix du festival Sundance au début de l’année.
Ma Famille afghane, film franco-tchèque de Michaela Pavlátová a reçu le prix du jury 2021. Basé sur une nouvelle, il suit le quotidien d’Herra, une jeune femme Tchèque sans attache qui tombe follement amoureuse de Nazir, un jeune afghan rencontré à l’université. Quelques mois après leur rencontre, elle le suit en Afghanistan où elle l’épouse dès son arrivée. Cette jeune femme européenne doit alors apprendre de nouvelles coutumes et une manière de vivre totalement différente. Heureusement, sa belle famille est accueillante et progressiste, mais cela ne la protège pas des aprioris des hommes du cru. Elle assiste aux bouleversements qui touchent son pays d’adoption avec l’arrivée des occidentaux, et qui ont des répercussions directes sur sa famille et son quotidien. Heureusement, son sombre quotidien est illuminé par l'arrivée de Maad, un petit garçon pétillant et intelligent. Si ce film a des qualités indéniables, je dois dire qu’il ne m’a pas réellement ému et que si Maad et le grand père sont attachants, l’héroïne ne m‘a rien inspiré d’autre que de l’irritation devant tant de soumission alors que les autres femmes luttaient à leur manière. Elle m’a fait penser à une jeune femme paumée en manque de repères qui trouve un certain confort et une certaine facilité à vivre dans un carcan imposé par d’autres sans avoir elle-même à réfléchir. Tant qu’on est relativement gentil avec elle, elle est contente de son sort, sourde à la détresse de ses consœurs et ne réagissant que quand le malheur touche directement ses proches…
Enfin, La traversée, film français de Florence Miailhe, a reçu une mention spéciale du jury pour un long métrage. Il reprend la technique de la peinture animée chère à la réalisatrice. La traversée suit la fuite de Kyona et de son jeune frère Adriel à travers des pays en guerre après la destruction de leur village natal. Devenus enfants des rues apatrides, ils doivent survivre au quotidien sans attirer l’attention des chasseurs de migrants et autres passeurs sans scrupules. Au fil de nombreux rebondissements, ils passent de l’enfance à l’âge adulte, avançant toujours davantage vers un pays rêvé. Passons sur la technique, extrêmement difficile à mettre en œuvre, pour nous concentrer sur le fond : Kyona est horripilante et passe son temps à geindre et à faire le minimum d’efforts. Les épreuves ne semblent pas la faire grandir et malgré les malheurs et les dangers, elle reste très centrée sur elle-même et son ressenti, tout le contraire de la Calamity couronnée l’année dernière. Son seul intérêt est son attachement viscéral à son jeune frère qui, lui, montre une réelle évolution. Il est tout de même fâcheux que ce film écrit et réalisé par des femmes ne propose pas une héroïne à la hauteur des aspirations de notre temps. D’autant plus que la fin montre qu’il est un hommage à une autre femme forte qui a traversé l’Europe troublée du début du XXe siècle… Vous l’aurez compris, ce film ne m’a pas touchée et ne m'inspire qu’un BOF blasé.
Passons au reste de la sélection avec les films pour jeune public que sont Poupelle of Chimney Town et The Ape star.
Poupelle of Chimney Town est un film d’animation japonais réalisé par Yusuke Hirota au sein du Studio 4°C que l’on ne présente plus. Il est basé sur un livre pour enfants de Nishino Akihiro qui est également scénariste et producteur du long métrage. Le soir d’Halloween, un être constitué de déchets prend vie et se mêle aux habitants, mais dès qu’ils découvrent sa nature, ils le rejettent et appellent l’inquisition. Il n’est sauvé que par sa rencontre avec Lubicchi, un petit garçon solitaire qui, passé la surprise de cette rencontre, décide de devenir ami avec l’être étrange qui baptise Poupelle. Cette amitié dérange les autres enfants et l’inquisition qui continue de pourchasser Poupelle. Au fil de leurs aventures, le duo découvre les mystères qui entourent la ville et la vérité sur la disparition du père du garçonnet. Ce qui frappe avant tout, c’est l’esthétique du film à mi-chemin entre Professeur Layton et L’étrange noël de Monsieur Jack. L’ensemble propose de très jolis décors et une animation généralement fluide bien que parfois mécanique. De son côté, le design des personnages colle bien à l’ambiance générale. L’histoire est mignonne et relativement originale. Elle aborde de nombreux thèmes comme la différence ou l’amitié, mais d’autres plus surprenants sur le dévoiement d’une utopie sociale qui parlera davantage aux grands. Je trouve qu’une sortie vers la période d’Halloween serait bien indiquée.
Ma mère est un gorille (et alors ?) (The Ape Star) de Linda Hambäck d’après un livre pour enfants de Frida Nilsson propose une histoire attendrissante entre une orpheline et une femelle gorille. Jonna vit à l'orphelinat depuis sa plus tendre enfance. Aussi, la surprise est générale quand elle accepte d’être adoptée par Gorilla, une femelle gorille adepte de lecture qui parle et qui conduit. Après un début de cohabitation difficile, Jonna s’attache à cette mère de substitution non conventionnelle et commence à goûter aux joies d’avoir une famille. Mais cette situation est loin d’être acceptée par les habitants de la bourgade et les autorités, y trouvant leur intérêt, se mêlent de l’affaire. Jonna et sa mère adoptive vont avoir fort à faire pour rester ensemble. L’histoire est mignonne et propose un thème fort pour les enfants : la famille et le regard de l’autre. L’animation 2D est très classique et s’adapte bien au jeune public. Le film ne brille pas autant que Ma Vie de courgette mais permet de passer un agréable moment.
Passons maintenant à mes coups de cœur qui n’ont malheureusement pas reçu de prix, mais qui, je l’espère, pourront tout de même sortir en salle : Petit Moutard et Hayop Ka ! The Nimfa Dimaano Story.
Petit Moutard (Rotzbub) de Marcus Rosenãœller et Santiago Lopez Jover est une véritable surprise. Le petit Moutard est un jeune adolescent vivant dans un petit village autrichien de la fin des années 1960. D’un naturel plutôt réservé, il brille cependant par son talent de dessinateur. Mais le jour où des hommes de son village s'en prennent à une famille de gens du voyage, Petit Moutard prend les choses en main à sa façon et met de l’animation dans ce petit village pétri de clichés et d’idées peu reluisantes. Une fois passé l'esthétique inusuelle des personnages, l'histoire est prenante, très drôle, totalement irrévérencieuse et assumée, un vrai plaisir. L'ensemble est très bien animé et rythmé. A savoir, ce n'est pas un film pour enfants ! Je le précise car il y avait de jeunes enfants dans la salle où je suis allée, les parents ont dû avoir droit à quelques questions gênantes une fois rentrés !
Hayop Ka ! The Nimfa Dimaano Story du philippin Avid Liongoren. Nimfa Dimaano est une jeune vendeuse de parfums dans un centre commercial de Manille. Fleur bleue et rêveuse, elle se morfond dans son quotidien banal aux côté d’un petit ami banal et peu prévenant jusqu’au jour où le destin met sur sa route un séduisant milliardaire. Voilà une vraie bonne surprise. Une histoire à la fois drôle et touchante qui montre d'un côté la vie difficile à Manille et de l'autre côté une forte inspiration des telenovelas pour le côté drama outrancier très bien assumé. Il y a aussi des petites références geeks qui apportent de la fraîcheur. La réalisation par une petite équipe autofinancée est de très belle facture. L'histoire et le langage étant assez crus et imagés, il s'agit clairement d'une production pour un public plus âgé. On sent également que l'équipe s'est bien amusée sur ce projet. Je pensais vraiment que le film avait ses chances pour un prix.
The Deer King et Jiang Ziya : The Legend of Deification sont deux films réussis et divertissants qui devraient bien plaire au public.
The Deer King de Masashi Ando et Masayuki Miyaji retrace la fuite d’un ancien valeureux soldat et d’une petite fille dans un pays ravagé par une étrange épidémie. Politique, fantaisie et grands espaces se côtoient dans un récit épique et tourbillonnant. L’animation est excellente comme on pouvait s’y attendre. Cependant, un petit problème de rythme au milieu et quelques questions en suspens à la fin du film laissent un petit goût d’inachevé. Dommage, car l’histoire est intéressante et les personnages attachants. Le roman d’origine est peut-être un peu trop riche pour une adaptation en film et aurait mérité une série.
Jiang Ziya : The Legend of Deification possède une très belle introduction stylisée en 2D. Je note une vraie amélioration depuis The Monkey King en 2015 (qui partait dans tous les sens et était décousu) et le scénario décevant de Big Fish et Begonia en 2016. Je n'ai pas vu la nouvelle version du serpent blanc de 2019 pour info. Ici, le scénario tient la route et l'ensemble offre du grand spectacle. Je trouve le monde des dieux un peu kitsch, mais ce sont mes goûts... L'intrigue avance parfois à marche forcée, donc il faut bien suivre aussi ... De plus, les ellipses se font parfois sentir. Le héros est charismatique et bien travaillé. La fin pourrait laisser présager une suite, mais sous quelle forme ? Dommage que le film en 3D ne soit pas à l'image de l'introduction, j'ai parfois eu l'impression de regarder une très belle démo de jeux vidéo sur certains plans.
Les trois derniers films en compétition étaient Josée, le tigre et les poissons et Lamya’s poem.
Lamya's poem est pas mal mais, de mon point de vue, il manque quelque chose, en particulier au niveau de la finesse de la poésie persane. En effet, le scénario est assez lisse, probablement pour le rendre facilement compréhensible par un public non spécialiste, mais du coup, ça perd un peu en intérêt. C'est un film particulièrement d'actualité qui propose des moments de forte tension dans la vraie vie, avec un parti pris graphique intéressant. Le réalisateur a choisi le prénom Lamya suite à sa rencontre avec une jeune réfugiée syrienne.
Josée, le tigre et les poissons est techniquement très bien réalisé. Il est adapté d’un roman datant de 1985 mettant en scène la rencontre tumultueuse entre une jeune femme en chaise roulante et un jeune homme passionné par la mer. Après un bon démarrage, le film stagne un peu et peine à développer ses personnages. Ce sujet plein de sensibilité tourne vite à la sensiblerie mal placée. Josée est particulièrement détestable et freine la progression de son partenaire. On peut se demander quels liens se tissent réellement entre eux tant la relation est déséquilibrée, contrairement à A Silent Voice qui abordait également la thématique du handicap.
Pour Lion Dance Boy, je vais être honnête, je ne peux pas vous en dire grand chose. La copie envoyée au festival était manifestement non terminée et comprenait trop de bugs pour pouvoir non seulement être incluse dans la compétition mais surtout pour être diffusée en l’état. Passé la stupéfaction, la diffusion a été interrompue. Le scénario semblait se concentrer sur un jeune garçon brimé par de jeunes hommes. Il trouve le courage de redresser la tête après sa rencontre avec une fougueuse jeune fille adepte de la danse du lion.
Mes coups de cœur
Ayant principalement vu les films en compétition, je ne peux malheureusement pas vous parler des nombreux autres films projetés en séances spéciales ou en avant première.
Même les souris vont au paradis est pour moi un sans faute tant au niveau technique que sur le fond. Il s’agit d’un film franco/tchèque en stop-motion dont le sujet, pour le moins original, est loin d'être drôle et pourtant il est abordé avec poésie et bienveillance. Il s'agit d'un récit initiatique et d'amitié parfaitement accessible aux enfants. Le seul petit bémol concerne la voix de la souris en VF qui est assez irritante. S'il avait été en compétition, je suis certaine qu’il aurait remporté un prix, en tout cas j'aurais voté pour lui !
Lors de la cérémonie d'ouverture du festival, le court métrage Tomorrow's Leaves a retenu toute mon attention avec une très belle technique qui met en lumière les valeurs olympiques. Ce film montre qu’il va falloir compter sur le Studio Ponoc dans les prochaines années pour nous en mettre plein les mirettes.
Focus sur l’animation africaine
Le festival 2021 d’Annecy a également été l’occasion d’un focus sur l'animation africaine avec la diffusion de documentaires dont celui concernant Moustapha Alassane, le pionnier du cinéma d'animation au Niger. Plusieurs films courts et un longs métrages ont également ponctué la semaine.
Lady Buckit & the Motley Mopsters le premier long métrage présenté en séance spéciale m'a laissé circonspecte. Je vais dire que techniquement on est encore dans le work in progress (scènes de qualité très inégale tant sur la 3D que le son), l'histoire est originale mais vraiment très bizarre, presque gênante parfois… Je ne pense pas avoir les codes culturels pour l'apprécier, donc je vous laisse juger.
L’hommage à l'animation africaine du 15 juin présentait une sélection de courts métrages issus de différents pays africains. Il y avait de très bonnes choses, des histoires drôles, d'autres engagées ou plus pédagogiques et une bonne variété de techniques d'animation. Ils ressemblaient à de bons films de fin d'études par leur construction et leur qualités techniques.
Enfin la sélection Mshini Tv s’est révélée très bof, sauf le gobelin et les poules qui était très drôle. Pour le reste des courts métrages présentés … ils sont un peu trop scatologiques pour moi.
Ambiance au festival
Malgré la période peu propice aux festivals, Annecy s’en tire plutôt bien avec près de 8500 accrédités dont près de 50 % sur place et les autres 50% en ligne. En effet, afin de respecter les mesures sanitaires, le festival a mis en place une formule mixte. Ainsi, de nombreuses conférences et rencontres se sont déroulées en ligne, d’autant plus que les délégations étrangères n’ont pas toutes pu se déplacer.
Heureusement, aucun problème pour assister aux nombreuses projections dans les différents cinémas de la ville et voir l’émotion des équipes lors des longues ovations du public. Les festivaliers n’ayant pu venir ont eu l’opportunité de visionner les programmes en ligne.
Le nombre réduit de participants sur place s’est bien fait sentir principalement au MIFA (Marché international du film d’animation) qui était bien vide. Cependant, les équipes sur place et les nombreux animateurs bénévoles ont assuré tout au long de la semaine.
Malgré la crise sanitaire et les retards de production de certains films, la sélection officielle de longs métrages comptait pas moins de 12 films en compétitions, un vrai record ! Mais suite à une déconvenue, un des films a été retiré, fait particulièrement rare. Les étudiants ont répondu présent pour les court-métrages toujours inventifs des programmes de fin d’études. Les films de télévision et de commande ont également offert un panel intéressant. Si l’on compte aussi les programmes spéciaux et les avant-premières, il y a eu 240 projections dans les différents cinémas de la ville et 12 897 heures de visionnage en ligne.
Si l’édition 2021 du festival d’Annecy s’est déroulée en plus petit comité qu’à l’accoutumée, il faut reconnaître que la programmation proposée et le focus sur l’animation africaine ont eu de quoi ravir les festivaliers curieux. Il faut maintenant espérer que toutes ces pépites et leurs auteurs trouveront leur public.