Flee : les maux de l’exil
09 nov. 2021Grand prix du Festival International du film d’animation d’Annecy 2021, Flee, de Jonas Poher Rasmussen, est un documentaire sans concession sur l’enfance brisée d’un jeune afghan ayant fui son pays avec sa famille pour tenter de rejoindre l’Occident.
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Amin est un enfant joyeux qui aime rire, danser et, par-dessus tout, écouter de la musique. Il est le dernier d’une famille de cinq enfants que leur mère élève seule à Kaboul depuis la disparition de leur père, pilote dans l’armée. Mais voilà qu’avec le retrait des troupes d’occupation russes et l’avancée des talibans, sa famille, et surtout son grand frère, sont en danger. Commence alors un exode de plusieurs années pour les différents membres de la famille d’Amin, brisant irrémédiablement son enfance.
Une fuite par étape
Amin est encore un jeune enfant quand sa famille décide de fuir l'Afghanistan. Leur mère fait plusieurs demandes de visas, mais ironiquement, seule la Russie leur octroie un visa touristique, donc temporaire. Dans cette époque troublée de chute du bloc soviétique, la corruption et le racket des immigrés sont monnaie courante. Ses deux sœurs, alors adolescentes, risquent en effet des sévices sexuels de la part des policiers russes si elles n’ont pas de quoi payer. La mère d’Amin décide alors de les envoyer clandestinement en Suède où vit de manière légale leur frère aîné qui leur fait parvenir régulièrement de l’argent. En Russie, la situation empire pour Amin encore enfant, sa mère et son frère alors adolescent. Aussi, ils tentent une première fois de traverser la frontière, mais rien ne se passe comme prévu. Après avoir frôlé la mort, c’est finalement Amin seul, ayant un peu grandi entre-temps, qui est envoyé clandestinement vers le Danemark.
Les différentes situations sont racontées avec émotion et pudeur. Amin ne cache rien de sa peur, de son impuissance, de la rudesse de la police russe et des gardes frontières envers les sans papiers, mais aussi des conditions dangereuses des traversées clandestines et des passeurs.
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Sortir du mensonge
Ce documentaire, réalisé par son ami de longue date Jonas Poher Rasmussen, est une forme de catharsis pour le jeune homme aujourd'hui âgé de 36 ans, universitaire et sur le point de se marier avec son compagnon. En effet, sa vie au Danemark est fondée sur un mensonge puisqu’il est arrivé en tant que mineur isolé. Il s’est présenté comme orphelin aux autorités et à toutes ses connaissances dont Jonas Poher Rasmussen, mais avec le temps, ses secrets sont devenus trop lourds à porter. Un temps réticent à tourner le documentaire, il s’est finalement livré tant sur sa famille que sur son périple ou son homosexualité longtemps réprimée. Il est temps pour lui de tourner la page et de refermer les blessures du passé pour enfin profiter pleinement de sa vie présente et future.
L’homosexualité dans un contexte difficile
En outre, Amin est conscient de son attrait pour les hommes depuis sa plus tendre enfance. Si, au Danemark cela ne pose aucun problème et qu’il est même sur le point de se marier, cela n’a pas toujours été le cas. Que ce soit dans son enfance, dans un pays musulman où dit-il, il n’y a même pas de mot pour désigner cette inclinaison, il a également longtemps redouté les réactions de sa famille à qui il ne s’est révélé qu’une fois adulte. L’homosexualité d’Amin, toujours assumée, est abordée parfois avec humour dans son enfance puis par des gestes et des regards toujours discrets pendant son adolescence.
Afin de préserver l’identité des protagonistes, les noms et les lieux ont été changés. De même, Amin n’a pas souhaité témoigner directement à visage découvert, aussi le biais de l’animation était un compromis idéal. L’animation est d’ailleurs plus proche d’une succession d’images clefs, c’est pourquoi elle n'est pas exceptionnelle, elle a son style et fait le travail.
Le film d’animation est entrecoupé d’images d’archives d'Afghanistan, de Russie, mais aussi des différents pays scandinaves qui permettent de contextualiser les propos du jeune homme et de voir en quelque sorte par ses yeux. Ce documentaire, réalisé avec une distance pudique, est à la fois poignant mais très digne et ne tombe jamais dans le pathos. Amin dit les choses comme il les a vues et ressenties, sans jamais rajouter d’emphase à son propre vécu.
Déjà récipiendaire du grand prix du Festival du film de Sundance 2021, Flee a amplement mérité de recevoir le Cristal 2021 du festival d’Annecy. Largement soutenu par des fonds et coréalisé par des studios français, Flee devrait être diffusé par Arte dès la fin de l’année 2021.
Titre original : Flee
Réalisation : Jonas POHER RASMUSSEN
Pays : Danemark, France, Suède, Norvège
Durée : 01 h 20 mn