La Brioche de Jean-Baptiste-Siméon Chardin une nature morte pleine de sens
27 sept. 2020Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779) est particulièrement connu pour ses natures mortes inspirées et virtuoses. Parmi celles-ci, La Brioche (ou le Dessert) datée de 1763 et conservée au Musée du Louvre, pourrait sembler anodine et pourtant, comme pour la Marchande de Fruits et de Légumes de Louise Moillon, ici encore il y a beaucoup à dire.
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Une nature morte de la maturité
Dans la première partie de sa carrière, Chardin s’est ingénié à concevoir des natures mortes ambitieuses à la composition proche de la scène de genre comme dans La Raie (Musée du Louvre). Ici, la composition générale est un peu moins audacieuse et complexe, mais le soin apporté aux volumes et aux reflets l’emporte. Au centre, objet de toutes les attentions, trône la brioche décorée d’une branche de fleurs d’oranger fraîche. A sa droite, un flacon en verre contenant un liquide ambré, serti d’un bouchon doré et décoré d’un liseré également doré. L’on ne sait quel est ce liquide, mais l’on peut penser à du miel ou une liqueur doucereuse. A la gauche de la brioche se trouve un délicat sucrier en porcelaine proche de la production de la manufacture de Sèvres, avec son décor fleuri et une rose en relief surmontant son couvercle. Au premier plan sont disposés deux pêches, trois biscuits à la cuillère et trois cerises bien mûres.
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Chardin étudie avec soin les reflets de la lumière sur les surfaces métalliques ou les verreries et les porcelaines sans perdre le velouté si particulier de ses fruits. Le fond neutre permet de se concentrer sur le sujet et de faire ressortir le travail de la couleur. La Brioche est le pendant d’une seconde nature morte intitulée Raisins et grenades.
Une interprétation délicate
Que représente cette nature morte ? A première vue, il s’agit d’un copieux goûter qui se prépare. Peut-être la maisonnée organise une fête ? Par la qualité du plat, du sucrier et du flacon en verre, l’on peut en déduire que la demeure n’est pas dans la misère et est même relativement aisée. Le sucre est d’ailleurs un aliment luxueux à cette époque car extrait des cannes à sucre cultivées dans les Antilles. Les pêches et les cerises indiquent que la scène se déroule en été. Si l’on se penche sur les cerises, Louis XV, roi généreux envers Chardin, a beaucoup influencé la culture des cerisiers en France. Les cerises, de par leur forme de cœur et leur couleur rouge sont souvent un symbole d’amour. La pêche, dont le Roi Louis XIV raffolait, est devenue sous son règne le symbole des desserts raffinés. La pêche est également un fruit éminemment sensuel avec sa peau veloutée dont le toucher rappelle la peau humaine. Enfin, la branche de fleur d’oranger qui décore l’opulente brioche peut laisser penser que celle-ci est aromatisée à la fleur d’oranger, mais rappelle la tradition ancienne d’associer les fleurs blanches de l’oranger à la vertu de la jeune mariée.
Avec tous ces indices se dessine alors une idée : et s’il s’agissait d’un gâteau de mariage ! Mais le mariage n’a pas encore eu lieu et la brioche, comme le mariage, attendent d’être consommés !
Maintenant, souvenons nous du pendant du tableau, Raisins et grenades, qui peut être vu comme la suite des événements. La grenade ouverte laissant admirer sa multitude de graines est un symbole ancien de fertilité. Le raisin, accompagné des deux verres de vins dont l’un est bien entamé, renvoie à l’ivresse et aux plaisirs terrestres. Et bien entendu, le couteau au premier plan est souvent vu comme ayant une symbolique phallique. Le mariage aurait donc donné une nombreuse descendance !
J’espère que cette petite divagation autour de cette ravissante nature morte vous a plu et n’hésitez pas à me dire si vous avez une autre interprétation.