La propreté au Japon est légendaire et est régulièrement mise en avant dans les médias et les récits de voyageurs. L’on nous vante les supporters qui ont nettoyé leurs tribunes lors de la dernière coupe du monde, les rues de Tokyo et des autres grandes villes du pays alors qu’il n’y a plus de poubelles et, en règle générale, le civisme de la population japonaise. Mais, sous cette éclatante façade, le pays du Soleil Levant n’affiche pourtant que 20% de taux de recyclage soit un taux équivalant à beaucoup de pays industrialisés.

La première chose qui frappe quand l’on découvre le Japon, ce sont les rues et les lieux publics parfaitement propres. Puis, la première fois que l’on fait ses courses, un paradoxe nous saute aux yeux : le suremballage omniprésent pour chaque bien de consommation, et en particulier les aliments.

Si l’on s’intéresse à l’environnement, l’on commence alors à se poser quelques questions, d’autant qu’il n’est pas rare de voir des encombrants stockés à côté des maisons ou sur les balcons, ou de la nourriture encore loin de la date de péremption mise à la poubelle.

Les voyageurs se rendant sur les îles de la mer intérieure du Japon sont également surpris de trouver un nombre impressionnant de déchets plastiques de tailles diverses rapportés par la mer sur les plages et laissés tels quels.

Le traitement des déchets au Japon : état des lieux

De manière générale, les japonais sont habitués à un triage bien différent de celui pratiqué en France. Ces derniers séparent leurs déchets en combustible, non combustible et recyclable. Ainsi, étrangement, le papier, carton et autres déchets de ce type, recyclables, partent généralement dans le bac combustible et non dans le bac recyclable. Les différents types de déchets sont placés dans des sacs standardisés semi-transparents de différentes couleurs, et le nom du “propriétaire” doit être inscrit dessus. Les lieux de collecte par rue ou par quartier se reconnaissent facilement, soit une remise fermée dans la rue, soit un bout de trottoir recouvert d’un filet anti-corbeaux et chats. Il faut y déposer ses poubelles le jour indiqué sous peine de se faire dénoncer et de recevoir une remontrance, voire une amende. Pour les encombrants, c’est encore plus compliqué car il faut prendre rendez-vous avec la mairie de sa ville, convenir d’un jour, souvent 15 jours plus tard, et payer une taxe d’enlèvement. Ceci explique pourquoi les japonais hésitent à recourir à ce système et les stockent ou s’en débarrassent discrètement, loin des regards inquisiteurs.

Cela peut surprendre, voire sembler anecdotique, mais l’un des déchets les plus problématiques au Japon sont les baguettes en bois. Utilisées par millions chaque année, en particulier dans les restaurants et les supermarchés, elles nécessitent non seulement l’abattage de milliers d’arbres dans les autres pays asiatiques, mais il est difficile de les collecter et de les valoriser. Quelques initiatives voient pourtant le jour comme des bacs de récupération dans les restaurants, afin de les transformer en pâte à papier. Certains restaurants proposent également des baguettes réutilisables et parfois, ce sont les clients qui rapportent leurs propres couverts.

Depuis plus de 20 ans, les villes japonaises n’ont plus de poubelles dans les espaces publics. Cette décision a été prise après les attaques du 20 mars 1995 au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Après une brève réapparition dans les rues début 2000, les poubelles ont définitivement disparu suite à la montée des risques d’attentats à caractère religieux dans le monde. Depuis, habitants et voyageurs conservent leurs déchets dans leur sac pour les jeter chez eux. Les Konbini disposent encore de poubelles publiques, le plus souvent sans possibilité de tri. Pourtant, les rues restent parfaitement propres. On peut y voir l’habitude prise dès l’enfance de maintenir les lieux propres puisque, dès la primaire, les enfants doivent faire le ménage à tour de rôle dans leur école. Si le retrait des poubelles dans les lieux publics a une cause de sécurité publique, cela représente également un coût en moins pour les municipalités dans un contexte de restriction budgétaire.

Jusque fin 2017, la majorité des déchets recyclables issus des pays les plus développés, dont le Japon, l’Europe et les USA, étaient envoyés en Chine. Mais le gouvernement chinois a décidé de les refuser dès janvier 2018. Les centres de tri japonais ont vite débordé, et les poubelles japonaises sont maintenant exportées vers d’autres pays asiatiques comme la Thaïlande et le Vietnam. Mais, comme l’ont indiqué ces pays, ce n’est qu’une solution provisoire. Je Japon doit donc se doter d’une filière de recyclage efficace et, dans un pays aux ressources limitées, profiter de cette manne pour récupérer des matières premières plutôt que d’en importer des neuves.

Avec les accords de Kyoto, puis de Paris, le Japon a indiqué son implication dans la sauvegarde de l’environnement. L’une des principales initiatives, appelée 3R pour Réemployer, Réparer et Recycler, est largement promulguée auprès de la population. Si réemployer et réparer sont facilement rentrés dans les mœurs, recycler est l’aspect le plus souvent négligé par les citoyens, mais également par les autorités. Pourtant, il a été prouvé que les incinérateurs des déchetteries causaient de graves problèmes environnementaux et de santé publique.

Pourtant, or du circuit officiel ou associatif, l’on voit l’émergence d’une nouvelle activité. L’on remarque de plus en plus souvent dans les rues des grandes villes, des personnes à faibles revenus qui trient des déchets afin de revendre les matériaux et d’en tirer quelques centaines de yens.

Des initiatives spectaculaires qui ont fait le tour du monde

Dans l'optique des Jeux Olympiques de 2020 à Tokyo, le Japon entend bien présenter un aspect exemplaire au reste du monde. Parmi les annonces qui ont frappé les esprits à l'international, il y a le recyclage des anciens appareils électroniques, en particulier les téléphones, pour récupérer les métaux nécessaires à la production des médailles. Nombreux sont les citoyens à avoir participé, et certaines villes, comme Paris, ont également contribué à cet effort symbolique de recyclage.

Autre initiative spectaculaire, mais qui a également une portée pédagogique, la ville de Musashino a ouvert au public un bar dans son incinérateur municipal. Les habitants sont ainsi invités à venir prendre un rafraîchissement dans un bar flambant neuf et à la propreté impeccable tout en regardant par les fenêtres les tonnes de déchets ménagers arrivés dans la profonde fosse, puis servir de combustible. Les personnes interrogées sont sidérées par la quantité de déchets produits par la ville de Musashino. Certains se posent même la question de la diminution des déchets en amont.

Enfin, régulièrement cité dans les médias internationaux, le village de Kamikatsu à Shikoku est devenu un pionnier dans le recyclage des déchets ménagers depuis 2003. Passant du tri classique à trois poubelles, à 12 puis 36, et enfin 42, c’est un véritable engagement communautaire. Les 1700 habitants doivent minutieusement trier et séparer leurs déchets. Une bouteille d’eau est ainsi rincée puis séparée en différents éléments et répartie dans trois poubelles, en fonction du matériaux. Puis, une fois par semaine, les habitants déposent eux-mêmes leurs déchets au centre de tri. Là, avec l’aide des employés de L’Académie du recyclage, ils affinent encore le tri. En toute transparence et pédagogie, sur chaque bac est indiqué le prix à la revente de chaque matériaux pour le recyclage. Kamikatsu affiche ainsi un taux de recyclage record de 80% et espère bien atteindre les 100% en 2020. Ce résultat spectaculaire, qui dépasse même l’Allemagne et ses 63% de taux de recyclage, est l'exemple de la réussite d’une politique publique volontariste sur le long terme. Ici, l’incinérateur trop polluant a été arrêté. La municipalité a alors décidé d’améliorer la collecte des déchets ménagers et ainsi de réduire le budget alloué à cette activité. S’il faut reconnaître que la préoccupation première n’est pas environnementale mais financière, les résultats en matière de recyclage sont tout de même plus que probants. Cependant, il a fallu faire preuve de pédagogie et de persuasion. Si maintenant les habitants affirment avoir pris l’habitude , il y a eu des réticences au début, surtout lorsque cela implique d’avoir une dizaine de bacs chez soi et qu’il faut se référer à des consignes très précises (aluminium d’un côté, acier, bouteilles en PET, autres plastiques, cartons, papier, etc.). Pour les déchets compostables, la mairie a financé un appareil adéquat pour chaque foyer.

Toujours à Kamikatsu, en 2015 a ouvert dans la ville le premier bar entièrement réalisé en matériaux de récupération. Que ce soit les fenêtres de la façade ou la décoration intérieure, tout a été valorisé. Les habitants sont également invités à déposer les biens dont ils ne se servent plus dans un magasin dédié au troc et il peuvent repartir gratuitement avec d’autres biens dont ils auront l’usage. Sur 10 tonnes collectées ainsi, plus de 9 ont déjà été redistribuées. Les vieux vêtements sont également détournés et customisés pour en créer de nouveaux. Les restaurants de la ville font également des efforts en proposant des aliments locaux et de saison, l'arrêt des serviettes en papier sur les tables et l’envoi de la note au format électronique. 

La renommée de Kamikatsu est telle que des touristes venus de tout le Japon, mais également d’autres pays viennent se renseigner sur les méthodes de la ville en matière de traitement des déchets.

Cependant, l’on peut raisonnablement se poser la question de l'applicabilité de ce modèle dans les villes où la population est très nombreuse.

Vers un changement des mentalités ?

Si les initiatives se multiplient, qu’en est-il de la prise de conscience des japonais ? Cela semble assez difficile car les citoyens qui trient déjà méticuleusement les déchets estiment que c’est aux pouvoirs publics de les traiter convenablement. Ainsi, l’on observe assez peu d’initiatives citoyennes ou associatives sur ce sujet. Plus encore, des sondages ont montré que chez les jeunes actifs, déjà très préoccupés par leur carrière, certains estiment que si l’on complexifie encore le mode de triage, ils arrêteront purement et simplement de le faire par manque de temps et de place.

Un espoir apparaît du côté des étudiants où des clubs commencent à se créer. Ainsi, l’Eco club de l’institut Canadien de Kobe voit chaque année plusieurs lycéens volontaires aller nettoyer une plage dans les îles intérieures, dernièrement à Shirashi. Ils déplorent cependant que le travail de sensibilisation ne soit pas fait en amont et que chacun se renvoie la responsabilité sans se remettre en cause.

Sur les réseaux sociaux, on observe également l’apparition à Tokyo des samouraïs du déchet. S’ils font parler d’eux régulièrement sur les réseaux sociaux en mêlant ramassage des détritus et arts martiaux (laïdo) l’on peut se demander s’il s’agit d’une mode où d’un réel mouvement de fond. D’autant qu’il s’agit ici de ramasser les déchets dans les rues sans pour autant les recycler.

Du côté des pouvoirs publics, les décisions sont lentes à être prises. Chacun avance que des campagnes de sensibilisation sont déjà mises en place, mais les résultats sont peu probants. Le traitement des déchets coûte cher aux municipalités qui cherchent à réduire leurs coûts de fonctionnement. Sans pression citoyenne ni opposition politique, les pouvoirs publics restent frileux à prendre des mesures énergiques. Le seul parti qui s’occupe un tant soit peu d’écologie est le Parti Communiste japonais qui affiche des préoccupations bien différentes de ses confrères du reste du monde.

Pourtant la question du recyclage des déchets au Japon va rapidement devenir un problème épineux, non seulement parce que la Chine et les pays voisins vont à terme refuser les poubelles japonaises, mais également en terme d’image avec les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020 qui va provoquer un fort afflux de touristes venus du monde entier et donc autant de déchets. L’image d’un Japon « clean » serait alors mise à mal.

D’autre part, il y a également un grand intérêt économique pour le Japon à investir dans le recyclage, car le territoire, et donc les ressources, sont limités. Le Japon importe donc énormément de matières premières. Si l’investissement de départ pour les infrastructures de recyclage a un coût, le bénéfice sur le long terme serait bien supérieur.

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Outre les liens en corps de texte, voici l'ensemble des articles que j'ai consulté pour réaliser ce 900e article du Katatsumuri no Yume. 

Ces articles sont inégaux mais toujours intéressants. 

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