Éduquer un prince...au temps de Clovis par Lawrence Alma-Tadema
23 avr. 2011Sir Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), l'éducation des fils de Clovis, 1861, H/T, 1768x1270mm, coll privée
Si Lawrence Alma-Tadema est surtout connu, c'est pour ses œuvres impressionnantes narrant une Antiquité (surtout romaine) à la fois exotique et idéalisée, où le soucis d'un détail n'a d'égal que la luminosité des couleurs.
Pourtant, au début de sa carrière au Pays-Bas, il s'intéresse à l'histoire des Francs : les enfants de Clovis ; sainte Radegonde de Poitiers ; Frédégonde ....
Les personnages
Aujourd'hui, il sera question des enfants de Clovis, probablement Thierry et Clodomir. Les deux premiers fils sont donc présents au centre du tableau. Ils sont le point de mire, non seulement du spectateur, mais également de tous les acteurs du tableau. En effet, comme le titre l'indique, ils sont le sujet principal. Ils portent des tuniques (l'une jaune, l'autre presque noire) jusqu'aux genoux avec des appliques à l'encolure, au bas des manches et de la "jupe", une ceinture, des sandales dont les lacets de cuir remontent à mi-mollet. Leurs cheveux coiffés d'un bandeau ont déjà atteint une longueur respectable pour leur jeune âge (visiblement entre 7 et 10 ans). Ils tiennent chacun une petite hache à la main et une mini épée au côté gauche.
Ils sont entourés, à gauche du tableau, par des militaires francs (barbe et/ou moustache, casque rond conique ou chignon sur le sommet du crâne, tunique ...) et romanisés (long manteau rouge, cheveux plus courts, voire cuirasse romaine à lanières de cuir au dessus d'une tunique).
Au dernier plan leur mère, la reine Clotilde, les regarde assise dans un imposant trône de bois recouvert de tissu à motifs géométriques ou zoomorphiques (des aigles). Elle est vêtue d'une longue tunique blanche à manches longues, décorée en bas par des orfrois, recouverte d'une tunique grise plus courte. Elle porte un manteau à capuche du même gris dont les bords sont décorés par une bande tissée de soie et d'or. Le manteau est fermé par une imposante fibule vraisemblablement ronde. Sous sa couronne, on distingue ce qui ressemble à un voile blanc et des boucles d'oreilles. Son troisième fils, Childebert, trop jeune pour être initié au maniement des armes. Il porte une tunique courte, bleu pâle avec décor doré aux bordures, et une ceinture.
La reine est entourée d'une cour de clercs à sa gauche et de quelques dames d'honneur à sa droite.
Celles-ci sont revêtues de tuniques blanches à longues manches recouvertes d'une seconde tunique ample serrée à la taille. Une de ces tuniques a un motif à carreaux de type tartan, tandis que l'autre tunique est foncée avec de longues clavi. Les jeunes femmes ont les cheveux tressés mais pas relevés en chignon, ce qui laisse à penser qu'elles ne sont pas encore mariées.
Les clercs sont, soit des moines (en noir) soit des membres du haut clergé.
Le décors
Passons maintenant au décor. Le palais est de type romain : dallage en marbre blanc et rose avec liseré en damier noir. Frise de palmettes encadrant les portes, portique à colonnes de type corinthiennes a quatre tambours cannelés soutenant un entablement à denticules et tuiles d'argiles. Derrière un rideau entrouvert, on peut voir le jardin. Selon cette disposition, on peut en déduire que la scène se déroule dans l'atrium du palais, puisqu'il s’inspire très largement de la villa romaine.
(image wikipédia)
En 1868, sir Lawrence Alma-Tadema reproduit, en le simplifiant, le tableau de 1861 : l'éducation des enfants de Clovis. (pour le moment je ne l'ai pas localisé)
Une fois le tableau scruté et décrit sous tous les angles, il faut maintenant l'analyser, hé oui, j'aurais du écrire "ATTENTION PAVÉ" au début de l'article, mais bon...
Analyse
L'analyse donc ; la première chose que l'on remarque, c'est que l'éducation dont il est question n'est pas l'éducation scolaire (lire, écrire, ...) mais l'éducation guerrière. Les garçonnets sont en effet assez grands pour apprendre le maniement des armes, étant donné que le roi est, avant tout, un roi guerrier. Il doit étendre et/ou protéger son royaume. D'autre part, Il est d'usage depuis fort longtemps, de confier les enfants en bas âge (environ jusqu'à 7 ans) aux femmes puis, les petits garçons sont confiés aux hommes pour une éducation plus virile des arts de la guerre. La scène prise sur le vif montre les princes s'entraînant au lancé de francisque (hache de jet très prisée des francs, ayant eu, selon la légende, un rôle déterminant dans la victoire de Tolbiac).
On remarque que l'éducation des princes est une affaire importante qui se fait devant l'entourage proche : leur mère et ses suivantes et des conseillers clercs. Le maître d'armes est un vétéran de l'armée franque, mais sa cuirasse romaine le présente également comme un gradé de l'armée romaine (hé oui, malgré la chute de l'Empire en 476, il restait des bastions romains dans certaines régions, près des capitales provinciales et des bases des grandes garnisons). Là se pose une autre question, où se trouve leur père, Clovis?? Il serait en effet beaucoup plus logique que ce soit leur père et non leur mère qui assiste à ces entraînements. L'explication la plus probable est que la scène se déroule après la mort du roi en 511, ce qui pose un problème de datation, vu qu'à la mort de Clovis, le plus jeune fils avait au moins douze ans ... On peut alors supposer que le roi est en campagne, et que ses fils, ne pouvant pas l'accompagner aussi jeunes, leur mère occupe la "régence" provisoire.
La suite de clercs rappelle que Clotilde était très pieuse.
Enfin, l'architecture du palais ressemblant à une villa romaine, il est plausible qu'il s'agisse d'un ancien palais de gouverneur romain.
L'analyse de ces tableaux montre que les artistes de la seconde moitié du XIXe siècle étaient parfois très bien renseignés sur leurs sujets, tant du point de vue des sources anciennes (Grégoire de Tours, Frédégaire, ...), mais également du point de vue archéologique (casque du professeur, petite francisque, costumes en général, ...). Ces détails vont à l'encontre de l'image négative de la peinture historiciste du XIXe siècle.