Grand prix du festival international du film fantastique de Gérardmer 2024, Sleep, du réalisateur coréen Jason Yu, suit la descente aux enfers d’un couple aux nuits agitées. A découvrir en salle dès le 21 février.

Soo Jin (Jung Yu-Mi) a tout pour être heureuse ; un époux aimant Hyun-Su (Lee Sun-Kyun), du travail et une grossesse bien avancée. Mais, à mesure que l’accouchement approche, le comportement nocturne de son époux change totalement. Devenu somnambule, son état empire de nuit en nuit, mettant en péril le bonheur familial et la vie du nouveau-né. Soo Jin commence alors à perdre le sommeil. Quelle folie guette le couple ?

Un couple uni !

Soo Jin et Hyun-Su forment un couple très uni. Soo Jin accorde une grande attention à la résolution des problèmes et pousse son mari à toujours aller de l’avant, à ne pas baisser les bras, à ne pas contourner les problèmes. C’est une femme combative que sa mère a dû élever seule quand son père est parti sans se retourner. Cela explique peut-être sa volonté farouche de tout surmonter pour préserver à tout prix son couple.

De son côté, Hyun-Su est un homme attentionné et doux. Fait étrange pour la société coréenne, il est dépendant financièrement de son épouse car il débute à peine sa carrière d’acteur et ne travaille qu'épisodiquement.

Tout au long du film, malgré leurs déboires et les réflexions de l’entourage qui évoque le divorce, les protagonistes continuent d’avancer pour trouver des solutions à deux.

Médecine et chamanisme

Dès l'apparition des symptômes, Soo Jin et Hyun-So se tournent vers la médecine allopathique, cherchant la cause et surtout un traitement au somnambulisme inquiétant du mari. Le médecin se montre rassurant, mais annonce que la guérison risque d'être longue et qu'elle n’est pas garantie.

Cependant, à mesure que les angoisses de Soo Jin progressent et qu’elle perd le sommeil, les conseils de sa mère sur le chamanisme et le monde des fantômes commencent à faire leur chemin dans son esprit.

Deux images de la culture coréenne entrent alors en contact : la rationalité de la médecine moderne qui traite les symptômes et l'ésotérisme de la culture chamanique traditionnelle toujours très vivace. Cependant, en ce qui concerne la médecine allopathique, personne ne cherche les causes profondes du problème, en particulier dans la psychologie du mari. Cet homme, qui aime son épouse mais qui ne rentre pas dans le moule, qui doit toujours rendre des comptes et se justifier face à sa femme et qui prend sur lui pour éviter les conflits, voit sa famille et son quotidien changer avec l’arrivée d’un enfant.

J’ai trouvé l'attitude de l’épouse un peu dérangeante. Elle passe son temps à dire qu’elle cherche une issue aux problèmes de leur couple mais n’écoute jamais son époux, ses propositions et ses difficultés. Pire, elle le rabaisse en le présentant comme lâche. Elle ne cherche pas d'issue, elle veut imposer sa solution, sa vision et sa direction. Le mari, de son côté, est plein de bonne volonté mais n’arrive visiblement pas à trouver sa place dans le couple, et toutes ses tentatives d’expressions sont tuées dans l'œuf. On peut comprendre qu’il soit doux et attentionné envers sa femme, qui a eu une enfance difficile, et l’enfant qu’elle porte, mais le schéma est dysfonctionnel.

Certains parlent du film comme féministe. Effectivement, Soo Jin est une femme indépendante et forte qui ne s’en laisse pas compter, ce qui est un bon point car il y en a marre des héroïnes attentistes. Elle a eu une vie avant son mariage et surtout, elle porte une lourde charge mentale avec l’arrivée de son enfant auquel s’ajoute l’état inquiétant de son mari. Cependant, elle est clairement la dominante dans le couple et surtout, même si elle aime sincèrement son mari, elle ne lui laisse aucune place pour s'épanouir en tant qu’individu autonome. Quant au patriarcat qui gangrène la société de la Corée du Sud, il est plus sous entendu qu’autre chose et c'est bien dommage.

Autre fait qui personnellement m'a particulièrement énervée, elle passe son temps à parler à son mari et à lui poser des questions pendant qu’il dort. Mais enfin, il dort !! Il n’est pas en position de lui répondre concrètement et, de ce fait, elle gêne son cycle de sommeil, mais peut aussi induire son subconscient en erreur. Donc là, je vous le dis, quand quelqu’un dort, on ne lui parle pas si ce n’est pas important au point de le réveiller.

Psychologie sur le fil

Avec les crises de somnambulisme, les deux membres du couple voient leur santé mentale décliner. Soo Jin a peur pour son époux et surtout son bébé (et on la comprend) jusqu’à perdre le sommeil. Les études ont bien montré que le manque de sommeil est néfaste pour la santé mentale, causant des crises de paranoïa et de colère, qui font que les victimes perdent peu à peu pied avec la réalité.

De son côté, Hyun-So a peur pour sa famille et son couple. Il cherche des solutions rationnelles et garde foi en sa guérison, dans l’espoir que tout redevienne comme avant.

Cependant, lorsque le médecin parle à Hyun-So de souffrance pendant le sommeil qui mène au somnambulisme, personne ne pense à une souffrance intériorisée que le subconscient cherche à exorciser.

C’est quand la pression mentale sur Soo Jin est si forte qu’elle commence à perdre pied, que la médecine psychiatrique est convoquée, une fois encore de manière curative et non préventive.

Si j’aime bien l’opposition chamanisme et médecine moderne, je pense qu’il est dommage de ne pas avoir exploré l’aspect psychique du couple dans son ensemble.

Sleep est une sorte de huis clos qui parle aussi bien de famille et d’amour que de fantômes. Car plus qu’un film sur les difficultés conjugales d’un couple qui s’aime et qui communique (surtout dans un sens), la dimension surnaturelle s’insinue peu à peu jusqu’à brouiller les pistes. La tension monte crescendo et le spectateur se demande non seulement ce qui se passe, mais aussi comment vont réagir les personnages. L’une des grandes forces du film est de préserver l’équilibre permettant à chacun de se faire son idée.

Sleep est un bon film coréen servi par un duo d’acteurs très convaincant. S’il semble parfois prévisible, il évite tous les écueils du genre et ne tombe jamais dans l’épouvante ou le ridicule tout en maintenant une ambiance oppressante. Il montre une image moderne de la Corée et cultive une certaine tendresse pour ses personnages, même s’ils sont malmenés. Pour ma part, je me demande comment vont évoluer les personnages. Est-ce que cette histoire va laisser des traces ou bien, est-ce que tout va rentrer dans l’ordre ?

Origine : Corée du Sud

Durée : 1h34

Réalisateur : Jason Yu

Acteurs principaux : Yu-mi Jeong et Sun-kyun Lee

 

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