Présenté en compétition lors de la 29e édition du festival international du film fantastique de Gerardmer, She Will, de Charlotte Colbert, est un film surprenant à plus d’un titre.  

Ancienne gloire du cinéma, Veronica (Alice Krige) qui a subi une double mastectomie, se retire dans la campagne écossaise avec son infirmière Desi (Kota Eberhart) afin d’échapper à la pression médiatique. Dans cet environnement particulier, entourées par la nature sauvage et les murmures glaçants de l’histoire, les jeunes femmes se rapprochent alors que les phénomènes étranges commencent à se produire. 

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Une histoire de femmes 

She Will est avant tout une histoire de femmes. L’histoire de femmes blessées dans leur corps et dans leur âme, qui apprennent à se connaitre et à se reconstruire loin de tout. Ici les héroïnes peuvent se réapproprier leurs douleurs voire leur honte et l’exorciser pour enfin atteindre une forme de sérénité. 

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Dans la manière de filmer les corps il y a une mise en avant du féminin sacré qui passe par l’attention aux cheveux, à la poitrine, mais aussi par la confrontation d’un corps jeune et plein de vie face à un corps plus âgé qui relève d’une maladie grave et d’une opération souvent traumatisante pour les femmes.  

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Il y a ce passage de flambeau de génération en génération, que ce soit entre Veronica et Desi,  mais également à travers les âges par ce lieu aussi tragiquement chargé en histoire de la persécution des femmes qui l’habitent toujours, Veronica devient le réceptacle de leurs ressentiments et de leurs pouvoirs. Dans la connexion avec la nature, on peut faire un parallèle avec les Wicca, bien que Veronica ne pratique pas de magie blanche et ne poursuive pas les mêmes buts.  

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Vengeance onirique

La majorité des phénomènes surnaturels et des visions se produisent la nuit alors que Veronica dort. Si les victimes rêvent souvent de se venger de leurs agresseurs, ici tout est possible pour Veronica qui sert de catalyseur à l'énergie mystique des lieux. Elle reçoit en elle la force et la colère de toutes les femmes, près de 3000, brulées pour sorcellerie dans cette région jusqu’en 1722, date du dernier bûcher. Les cendres de ces malheureuses victimes se sont mélangées à la tourbe et ont imprégné tout l’environnement jusqu’à l’eau courante. Elles se sont ainsi infiltrées sous la peau de Veronica par ses cicatrices.  

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

En se vengeant dans son sommeil et en protégeant Desi, Veronica est celle qui apporte l’apaisement aux générations précédentes. Est-ce une juste punition des agresseurs ? C’’est au spectateur de se faire son idée, mais il y a une forte remise en question du patriarcat d’hier et de celui, toujours présent sous d’autres formes. 

L’espace onirique est pleinement exploité dans l’intrigue et prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à se mêler à la réalité. 

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

La place des éléments et de la nature 

Ce qui est frappant aussi dans ce film, c’est la prégnance de la nature et du lieu qui pose une atmosphère et devient un personnage à part entière. L’organique est très présent, que ce soit avec la tourbe et les nombreux végétaux, mais également avec les animaux comme les limaces et le renard. Cet aspect organique est renforcé par le contact avec les corps. Il y a un fort aspect sensuel entre les corps et cette nature qui passe par le toucher. Le corps, qui a la mémoire de la douleur, entre en résonnance avec la terre qui a la mémoire des femmes sacrifiées.  

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

La présence de l’eau et de son antagoniste, le feu, sont également très marqués. En Angleterre, les sorcières pouvaient être brûlées ou noyées. Le feu qui dévore les corps était réputé les purifier en même temps. C’est à la fois spectaculaire et terrifiant comme supplice. Il était employé par les autorités pour asseoir leur pouvoir en s’en prenant aux plus faibles et marginaux de la société, souvent des femmes seules, des veuves, des femmes en lien avec la nature, des femmes trop libres aussi qui étaient accusées des pires crimes. 

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Servi par une belle photographie et une mise en valeur du paysage isolé d’Ecosse, le film possède une atmosphère forte où la lumière et les symboles tiennent une place importante. Parmi ces symboles se trouvent deux animaux récurrents. Dans le système de croyance celtique proche du chamanisme, le renard est considéré comme un guide spirituel qui aide à naviguer dans le monde des esprits, mais aussi une incarnation de la ruse. Du côté de la limace, la symbolique est moins tranchée. Il y a une forte connotation sexuelle mais également une relation avec la terre et l’humidité. C’est un animal à la fois chtonien et féminin, voire carrément un animal lié au diable.  

Crédits Photos : © Slug Love Films Ltd 2022

Si les propos sont assez durs, la manière de filmer est en revanche douce et caressante pour ses deux protagonistes. Si ce premier film de Charlotte Colbert n’est pas exempt de quelques petites maladresses, il s’en tire cependant avec tous les honneurs grâce à un casting impeccable, une belle photographie et une certaine audace. Ce film n’est pas du tout effrayant, mais tous les mystères résident dans les brumes écossaises. Il faut également noter que le tournage a eu lieu dans un temps très court et avec un budget serré. Si le film She Will a trouvé une résonnance en moi, je peux tout de même comprendre que certains spectateurs en recherche de grand spectacle ou en manque d’empathie n’aient pas forcément été emballés par le film. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il s’agit bien d’un film de sorcières, mais certainement pas comme vous l’imaginez et c’est tant mieux ! 

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