Malheureusement passé un peu inaperçu lors de sa sortie en salle, le film Délicieux d'Éric BESNARD bénéficie d’une sortie en DVD/Blu-Ray, une bonne raison pour enfin apprécier cette comédie historique franco-belge de qualité.

Pierre Manceron (Grégory Gadebois), cuisinier du Duc de Chamfort (Benjamin Lavernhe) est un expert en son domaine et s’avère particulièrement créatif. Loué par son maître et ses invités, il est cependant congédié après des remarques désobligeantes de l’un d’entre eux.  

Bien décidé à ne plus toucher à ses casseroles, il retourne avec son fils dans son village d’enfance. Là, il apprend le décès de son père et les difficultés de la vie des villageois à cause des disettes successives. Il ouvre alors une auberge qui est également un relais de poste, mais n’ayant plus la flamme de la cuisine, l’établissement vivote. C’est alors que Louise (Isabelle Carré) arrive dans leur vie. Se présentant comme une spécialiste des confitures souhaitant apprendre la vraie cuisine, Pierre refuse dans un premier temps, puis se laisse fléchir par le caractère buté de la jeune femme, même s’il pressent son passé trouble.

La pomme de terre de la discorde

Alors qu’il était au fait de sa gloire de cuisinier employé par un noble sans vergogne du Cantal, Pierre Manceron est congédié pour avoir proposé un audacieux amuse-bouche composé de pomme de terre et de truffe, deux aliments particulièrement déconsidérés en cette fin d’Ancien Régime. En effet, suivant une croyance déjà présente au Moyen Âge, les racines et autres végétaux poussant dans le sol étaient des aliments peu recommandables, juste bons pour les plus pauvres des paysans et les animaux. Ainsi la truffe, aujourd’hui très appréciée, était un champignon particulièrement déprécié, tout juste bon à donner aux cochons. De même, la pomme de terre, très récemment rapportée des Amériques suscitait la suspicion de la population et le rejet de la noblesse qui n’y voyaient pas un met digne d’eux. Pour information, le saumon et les écrevisses qui proliféraient dans les fleuves étaient aussi considérés comme un mets de faible valeur et réservé aux travailleurs.

Aussi, quand Pierre a l’outrecuidance de proposer un mets délicieux mais composé de ces deux produits, la sentence ne se fait pas attendre. Sommé de s’excuser par son seigneur, il refuse, sachant très bien la qualité de son plat. C’est le début de sa disgrâce et également de son nouveau départ.  

Mais l’ombre de son ancien maître plane toujours sur lui et ses proches. La réconciliation est-elle possible ou bien la vengeance prendra-t-elle le pas ?

Révolution à tous les étages

Révolutionner ses habitudes et sa cuisine n’est pas une mince affaire pour cet homme aux convictions chevillées au corps. Heureusement, son fils Benjamin est un lecteur assidu des auteurs des lumières et pousse son père à suivre son propre chemin sans se soucier de la noblesse. Le jeune homme prend des nouvelles de la capitale auprès de tous les voyageurs qui passent à sa table, dressant le portrait d’une ville en pleine effervescence bien loin de la quiétude de sa campagne.

Mais c’est l’arrivée de Louise qui donne l’impulsion finale. Pierre la trouvait trop âgée pour apprendre la cuisine, mais surtout cet art est pour lui une affaire d’homme et il tente à plusieurs reprises de la renvoyer à ses confitures. Mais soutenue par Benjamin, la jeune femme parvient à faire fléchir le cuisinier bougon.

Une fois remis aux fourneaux et aidé de son fils et de son apprentie, l’aubergiste se fait rapidement une réputation, si bien qu’il doit engager des jeunes filles défavorisées du village pour l’aider au service, ce qui fait jaser. Là, les voyageurs de toutes conditions peuvent manger sur des tables individuelles suivant un service à la russe (à l’assiette) et peuvent donc se restaurer selon leurs moyens. Le premier restaurant de France vient de voir le jour avec son lot d'innovations.

Il convient de souligner que sous l’Ancien Régime, dans les grandes villes, il était courant de voir les restes des repas des nobles revendus à la portion dès l’enlèvement des plats. Ainsi les personnes modestes du voisinage pouvaient, en payant quelques sous, profiter de la grande cuisine et d’aliments de qualité. C’était la version un peu trash de To good to go.

Une bonne revanche

Le succès du restaurant est une belle revanche pour Pierre et son fils qui trouvent ainsi une nouvelle place dans la société où ils sont au service de la cuisine et non plus d’un noble versatile et orgueilleux. Celui-ci ne tarde d’ailleurs pas à regretter la cuisine de son ancien chef mais continue de l’humilier régulièrement jusqu’au dénouement pour le moins savoureux.  

De son côté, Louise a bien des griefs contre le duc de Chamfort et tente à plusieurs reprises de se venger jusqu’à finalement trouver la paix et la sérénité alors que le royaume va bientôt basculer dans une nouvelle ère.  

Ce film m’a séduite à tous les niveaux et je ne peux qu’en recommander le visionnage. Délicieux a tous les arômes d’un bon film, à commencer par une histoire simple mais bien construite et pleine de rebondissements plausibles, oscillants entre comédie et drame. Des personnages attachants servis par de bons acteurs. Une photographie de grande qualité et des lumières et des intermèdes inspirés par les natures mortes de Chardin. Les décors et les costumes ont d’ailleurs été récompensés à juste titre lors de la cérémonie des César 2022, de même que la musique a été distinguée aux IFMCA (International Film Music Critics Association) 2022. Bref une véritable réussite pour un film franco-belge qui sort des conventions de la comédie, tout en subtilité. La version DVD propose en bonus un making-off très intéressant du tournage !

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