Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : Chacun son histoire
03 févr. 2022Les Voisins de mes voisins sont mes voisins, réalisé par le duo Anne-Laure Daffis et Léo Marchand est sorti au cinéma le 2 février. Film d'animation d'auteurs, il emporte le spectateur loin de ses habitudes.
Dans un immeuble des plus banals, les destins de plusieurs personnages s'entrecroisent au fil des jours. Un alpiniste et son chien sont coincés dans l'ascenseur, un ogre prépare la fête annuelle de la Saint-Festin mais se casse les dents, un homme âgé découvre une jolie paire de gambettes et un magicien multiplie les bourdes.
En bon voisinage
Cet enchaînement de situations loin d'être banal plonge les spectateurs dans l'inattendu et parfois le bizarre. En l'espace de quelques jours, la vie de chacun bascule, souvent pour le meilleur et parfois pour le pire. A la fois singuliers et pluriels, les personnages sont affairés à leurs occupations pour le moins originales voire parfois surréalistes et inquiétantes rappelant que, s'ils vivent côte à côte depuis des années, personne ne connaît vraiment ses voisins. Les situations s'enchaînent avec fluidité, alternant d'un personnage à l'autre sous forme de pastilles humoristiques ou caustiques qui parleront assurément aux plus grands.
Un film d'art et essai bourré de références
Mais c'est sur la forme que le film jusqu’au-boutiste se distingue. Usant de techniques mixtes : dessins en 2D, prises de vues réelles, animation 3D et même écran d'épingles datant de 1937 pour la cave, le film sort les spectateurs de leur zone de confort, en particulier quand ils sont habitués à l'animation classique en 2D ou en 3D. Les images d'archive foisonnent, mais dans une chronologie revisitée parfois déroutante.
En outre, le film est composé comme un mille-feuille titillant les méninges des spectateurs avec des références parfois anciennes et des auto-citations des précédentes productions du duo de réalisateurs dont l'ogre et le magicien. Chaque personnage dont le dessin est conçu par Anne-Laure Daffis évolue dans un univers propre qui parvient à définir à la fois sa personnalité et son époque. Ici, le décor conçu par Léo Marchand est d'ailleurs un personnage à part entière.
Si la farce décalée à la manière d'un Jacques Tati est mise en avant, il reste toujours un fond de mélancolie et de critique caustique de la société de consommation et des rapports humains, comme dans les grands films populaires de Fellini. Mais les spectateurs cinéphiles reconnaîtront d'autres réalisateurs de renom particulièrement appréciés par le duo aux manettes.
Loin de vouloir à tout prix flatter la rétine, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand ont parfois opté pour des environnements « moches » en 3D comme le super marché ou le Paul Emploi (Sic) afin de rehausser la fantaisie de leurs protagonistes et de renforcer leur décalage avec la société « contemporaine », mais aussi d'aller jusqu'au bout de leur sujet, sans se préoccuper des réactions des autres.
De nombreux acteurs connus ont donné de la voix et une personnalité aux personnages : Didier Gustin (Monsieur Demy), Olivier Saladin (le chien Picasso), François Morel (l'ogre), Arielle Dombasle (Isabelle) ou encore Valérie Mairesse (Amabilé).
Pour ma part, je ne sais pas si j'ai apprécié pleinement ce film. Je n'ai pas toujours perçu les références citées (merci le dossier de presse) et certaines absurdités m'ont clairement fait tiquer, me sortant littéralement du film (quand on est coincé dans un ascenseur, on peut aussi appeler les pompiers plutôt que de compter sur une société de dépannage telle l’arlésienne). Si je reconnais le long et méticuleux travail accompli des années durant (4 ans de réalisation et plus encore en recherche et écriture) je n'ai pas forcément ri à gorge déployée, mais tout au plus souri et j'ai trouvé que les personnages se compliquent quand même bien la vie. J'ai aussi un peu tiqué sur l'histoire des jambes qui me semble clairement objectifier la femme au lieu d'en être une synecdoque innocente... et sur l'usage de Lady Diana (pour qui je n'ai pourtant aucun affect particulier) dommage. Je reconnais tout de même plusieurs trouvailles sympathiques que je vous laisse le plaisir de découvrir.
Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est donc un film chorale, mais il parle différemment selon la génération de son spectateur. Si les enfants d'au moins 10 ans s'attachent au merveilleux du chien qui parle (mon personnage préféré), de l'ogre ou du magicien (autre personnage drôle et décalé particulièrement réussi), les adultes peuvent percevoir le second degré, la mélancolie et le sarcasme sans forcement adhérer totalement à l'humour parfois noir voire à la limite du bon goût actuel. Ce film a le mérite de bousculer les spectateurs et de les faire s'interroger tout en explorant les différents aspects de l'animation, donc je pense qu'il colle plutôt bien à la volonté des deux auteurs qui présentent ici leur premier long-métrage d'animation.
2020 | France | 1h33 | Animation