C’est une courte mais dense exposition sur les fouilles réalisées sur le site de la ville antique de Briga (près de Bois-l’Abbé) que nous propose (quand les musées pourront de nouveau ouvrir) le musée des Antiquités de Rouen. 

Briga -affiche de l'exposition

Briga, une ville florissante à la croisée des chemins

Située sur un promontoire non loin d’un estuaire conduisant à la Manche, la ville de Briga était un lieu incontournable sur la route commerciale entre les Gaules Lyonnaise et Belgique. Des traces d’occupation protohistorique ont été découvertes sur les lieux, mais c’est surtout à partir du premier siècle de notre ère que la ville se développe véritablement, atteignant entre 3000 et 6000 habitants (selon les estimations) au IIe siècle de notre ère. La ville compte alors une basilique, un théâtre, de nombreuses habitations, des thermes publiques, une vaste salle commune, un complexe cultuel où le dieu Mercure tenait une grande place, comme en attestent les nombreuses sculptures à son effigie qui ont été retrouvées. 
Par l'ampleur de ses vestiges, sa population nombreuse et la découverte de grandes inscriptions dédicatoires découvertes lors des fouilles, tout semble indiquer que Briga était un chef-lieu de pagus (unité territoriale). 

Fût de colonne représentant une ménade dansante provenant de la façade du proscaenium du théâtre, calcaire, début du IIIe siècle
Fût de colonne représentant une ménade dansante provenant de la façade du proscaenium du théâtre, calcaire, début du IIIe siècle, Service régional de l’archéologie, Drac-Normandie, cliché J. Parétias

Déclin et oubli de Briga

Cependant, après une période de croissance importante, la ville est finalement abandonnée à la toute fin du IIIe siècle de notre ère. Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Il semble que les conditions climatiques se soient dégradées et aient entraîné d’importants glissements de terrains endommageant les bâtiments. De plus, des raids saxons par la mer et germaniques par le nord fragilisent davantage les populations locales. Ce phénomène est visible sur de nombreux autres sites ruraux ou d'agglomérations secondaires à cette période. 
Le site sert de carrière de matériaux pendant la période mérovingienne puis, définitivement abandonné, il est recouvert par la végétation. Vers 1860, une ferme est installée sur les lieux. Elle est également abandonnée dans les années 1970

Céramique sigillée incomplète et monnaies, Bas-Empire, IVe siècle
Céramique sigillée incomplète et monnaies, Bas-Empire, IVe siècle, Service Régional de l'Archéologie, Drac- Normandie, Mantel, Dubois dir. 2020, à paraître

Plus de deux siècles de fouilles archéologiques mises en perspective

C’est à la toute fin du XVIIIe siècle que des travaux de percement d’une route mettent à jour les premiers vestiges. S’il est fait mention de solides maçonneries, aucune documentation ne nous est parvenue sur cet épisode. 

Au cours du XIXe siècle, le site a connu trois “campagnes” de fouilles documentées qui ont permis d’établir la présence d’un vaste complexe antique comprenant un temple, un théâtre et des thermes. Des publications subsistent ainsi que quelques éléments de matériel archéologique, une bonne partie des petits éléments n’est actuellement pas localisée.

Fragment de bas-relief gaulois représentant Lugus, Briga, (C)SandraB.

Il faut attendre les années 1960 pour que les fouilles reprennent. Ainsi, de 1965 à 1978, Michel Mangard dirige 14 chantiers de fouilles estivals d’un mois. Plusieurs des lieux précédemment explorés sont de nouveau étudiés et livrent quantité de matériel archéologique et d’informations. Des relevés précis sont établis et le site est de nouveau examiné comme une ville et non un sanctuaire romain rural comme ce fut le cas à partir du début du XXe siècle. 

Intaille, cornaline ?, fin Ier siècle avant J.-C. ?
Intaille, cornaline ?, fin Ier siècle avant J.-C. ?, Service régional de l’archéologie, Drac-Normandie, cliché D. Geoffroy

De 2002 à 2015, de nouvelles fouilles archéologiques conduites par Etienne Mantel on mis un éclairage nouveau sur le site antique dont la superficie est maintenant estimée à plus de 60 ha. En outre, la qualité des décors et vestiges archéologiques mis au jour montrent que Briga avait atteint le statut de petite ville et prétendait à un nouveau statut au IIe siècle après J.C. Outre les monuments, dont des sanctuaires datant parfois de l'occupation préromaine, ces fouilles ont permis d’explorer les quartiers d’habitation et d’en apprendre davantage sur le mode de vie, l'artisanat et le type de population présente sur les lieux. Ainsi, des céramiques et des services de table ont indiqué que certains habitants étaient originaires du sud de la Gaule, les armements et les monnaies ont fourni une datation relativement précise. Les ossements d’animaux ont montré une forte présence de chèvres, ce qui est plutôt rare dans cette zone, mais qui peut s’expliquer par les pentes abruptes autour de la ville. Ce sont également ces fouilles qui ont permis d’estimer la date d’abandon de la ville, vers la fin du IIIe siècle. 

Briga, Colonne sculptée en calcaire (premier plan) et reste d'autel (arrière plan), (C)SandraB.

Malgré des découvertes exceptionnelles, il reste encore aux archéologues beaucoup d’années de fouilles et d’études. Le site est particulièrement bien préservé, même si les excavations pas ou peu documentées du XVIIIe siècle et du XIXe siècle ont fait perdre des informations précieuses. Briga est également exceptionnelle pour certains de ses vestiges dont on ne connaît pas d’équivalent en Gaule romaine. 

Frise d'armes, calcaire, Ier siècle, Musée des Antiquités, Rouen ©Yohann Deslandes
Frise d'armes, calcaire, Ier siècle, Musée des Antiquités, Rouen ©Yohann Deslandes, Mantel, Dubois dir. 2020, à paraître

Une petite mais dense exposition

L’exposition est constituée autour de différentes thématiques et s’ouvre sur les éléments des fouilles du XIXe siècle présentant de beaux ouvrages contenant des plans et des élévations réalisées lors des fouilles anciennes. Viennent ensuite des éléments de l’époque préromaine dont un surprenant bas relief gaulois figurant Lugus, puis les armements et les céramiques du début de la période romaine. La seconde partie de l’exposition est consacrée aux décors peints et sculptés mis au jour lors de la dernière campagne de fouille. L’on y retrouve un vocable dionysiaque très marqué : panthères, ménades, muse du théâtre ainsi que de remarquables inscriptions votives. Ces décors montrent une volonté de raffinement des élites locales qui ont largement investi pour le sanctuaire et les édifices publics. Quelques vitrines sont consacrées à la vie quotidienne dont l’alimentation et l’artisanat. L’exposition se termine sur les témoignages de l’abandon de la ville. 

Scénographie (c)SandraB.

La scénographie est sobre mais, grâce au travail des lumières, met bien en valeur les œuvres dont plusieurs ont été restaurées pour l'occasion. Un petit film vient compléter le dispositif à la fin de l’exposition. Un parcours enfant a été réalisé en proposant de suivre des pancartes représentant deux archéologues. 

Un épais et beau catalogue d’exposition, disponible pour 30€, complète cette étude approfondie de la ville de Briga et offre un beau panorama des découvertes scientifiques et historiques concernant la ville. 

Briga, peintures murales (C)SandraB.

Il est toujours intéressant pour qui aime l’histoire ou l’archéologie de découvrir une exposition monographique sur un site aussi bien documenté et riche en découvertes. J’espère sincèrement que le musée des Antiquités de Rouen pourra la montrer avant qu’elle ne parte pour la ville d’Eu.

En attendant l'ouverture de l'exposition, vous pouvez découvrir Briga au travers du documentaire de 52 minutes réalisé par David Geoffroy et intitulée "Briga, la ville oubliée", ainsi que via la visite en ligne disponible juste en dessous.

Retour à l'accueil