Avec l'avènement du christianisme et la chute de l'empire romain en 476, les coutumes funéraires évoluent. Les anciennes pratiques mortuaires disparaissent peu à peu faisant place à de nouvelles méthodes d'inhumations où la notion politique côtoie étroitement la pensée religieuse.

Gisant de Charles V

Saint Augustin, au IVe siècle, préconise des « soins » dus aux morts. Ses indications sont reprises en partie par Grégoire le Grand dans son quatrième livre des Dialogues. Ces écrits justifient, en Occident au haut Moyen Âge, l'usage de la prière pour les morts. Les pratiques répondent à deux questions primordiales : « Devons-nous penser qu'il est utile aux âmes que leurs corps soient inhumés dans les églises? Et qu'est-ce qui pourrait rendre service efficacement aux âmes des morts? ». 

Après la prise de pouvoir par les Carolingiens, la cérémonie d'enterrement des rois se met progressivement en place et évolue jusqu'au XIIIe siècle. Parallèlement, avec l'essor de la seigneurie à partir du XIe siècle, la noblesse développe de nouvelles habitudes funéraires. De même, le sentiment religieux se développe et l'on voit apparaître une attention toute particulière à la mémoire (memoria) des ancêtres dans la haute aristocratie. Ainsi, le devenir de la dépouille devient un enjeu tant pour les successeurs du défunt que pour les ecclésiastiques qui en ont la charge. 

Il faut également noter qu'au moyen âge il y a une distinction très nette entre la tombe commune pour le peuple et le tombeau au sens noble réservé aux saints et aux grands hommes dont la mémoire doit être honorée. 

Châsse de Charlemagne à Aix-la-Chapelle

I] La portée politique

A) Emprise sur un territoire

Le lieu d'inhumation est primordial pour les rois et les princes car il véhicule un message d'importance. En effet, le roi et les princes se font le plus souvent enterrer sur leurs terres, dans une église ou une abbaye qu'ils ont fondée ou dans la cathédrale de leur fief. C'est un moyen de  montrer son emprise sur un territoire. Ainsi, Charlemagne est enterré à Aix-la-Chapelle bien qu'il ait exprimé le désir, dans sa jeunesse, d'être inhumé à Saint-Denis comme son père Pépin. Dans certaines campagnes, à partir du XIe siècle, la tour seigneuriale se confondait avec la tour de l'église et symbolisait à la fois le pouvoir temporel et spirituel (comme abbé laïc ou avoué) du seigneur sur le village.  

Tombeau de Guillaume le Conquérant

La présence des grands du royaume lors des funérailles du roi montre l'autorité plus ou moins virtuelle du roi sur son territoire et rappelle qu'il est le suzerain et que les princes sont ses vassaux. Leur absence a donc une aussi grande importance symbolique que leur présence. Ainsi, pour les funérailles de Guillaume le Conquérant en 1087, aucun baron n'est venu lui rendre de dernier hommage, soit parce que le clergé s'était arrogé toute la cérémonie, soit peut-être parce que le défunt roi était très contesté à la fin de sa vie et que les circonstances de sa mort restent troubles. 
Pour les funérailles de son fils Henri Ier en 1135, les laïcs et son successeur, son neveu Etienne de Blois, sont de nouveau présents, mais il n'est pas fait mention de la présence des Regalia.

Lors des croisades, le déroulement des funérailles du roi dans le royaume de Jérusalem est le plus souvent en tout point semblable au cérémonial de France. Le roi est accompagné dans sa dernière demeure par un cortège de barons et d'ecclésiastiques avec de nombreuses richesses.

L'importance des commémorations funéraires dans la noblesse se développe au XIe siècle, lors de l'affirmation du pouvoir des seigneuries banales. En effet, lorsque les grandes familles fondent leur pouvoir sur un territoire, elles se réfèrent à des ancêtres-fondateurs plus ou moins fictifs dont elles cultivent la mémoire avec la complicité du clergé local qui y trouve également son intérêt. 

B) Continuité dynastique et légitimation

Pour se légitimer après un changement de dynastie, les rois souhaitent s'inscrire dans la continuité de leurs prédécesseurs tout en ajoutant du prestige et de la sainteté à leur lignage. Ainsi, les carolingiens se font sacrer avec le saint chrême, ce qui en fait des délégués de Dieu sur terre, quant aux capétiens, ils sont devenus thaumaturges avec Robert le pieux. 

Le souverain, pour s'affirmer, peut également se faire enterrer près des défunts de la dynastie précédente ; c'est la cas à Saint Denis où les Carolingiens reposent près des mérovingiens. 
Ceci est également vrai dans les familles nobles. Les descendants se font enterrer près de leurs parents, dans le sepulchrum patrium, sauf dans le cas où, pour regagner un peu de prestige, ils fondent une nouvelle nécropole familiale dans une nouvelle église ou abbaye. 

Tombeau de Charles le Chauve

Le plus souvent, le roi indiquait le lieu où il souhaitait être enterré, ce qui posait un problème de conservation du corps dans le cas d'un décès lointain. C'est le cas de Charles le chauve qui désirait reposer à Saint-Denis et qui est mort en chemin, à son retour d'Italie. Les diverses tentatives de conservation du corps, comme le retrait des entrailles, les divers traitements au sel, au vin et aux herbes aromatiques s'avérant inefficaces,  il fût décidé d'enfermer la dépouille dans un tonneau enduit de poix. Mais rien n'y fit et il fallut se résigner à l'enterrer une première fois dans le sud de la France avant de transporter, quelques années plus tard, ses ossements à la basilique Saint-Denis.  

Sarcophage Proserpine du trésor d'Aix la Chapelle

En Germanie, Otton III, peu de temps avant sa mort en 1002, désireux d'associer son souvenir à Charlemagne, et donc à la dynastie Carolingienne qui bénéficiait toujours d'un grand prestige, avait fait chercher, exhumer et exposer le corps de Charlemagne qui devenait ainsi l'objet de dévotions toutes particulières. Contrairement à la légende, le corps aurait été retrouvé non pas assis sur un trône, mais dans un sarcophage gallo-romain, peut-être celui représentant l'enlèvement de Proserpine, aujourd'hui exposé dans l'église d'Aix la Chapelle, mais cette légende n'est pas avérée. Dans les récits postérieurs, il est fait mention de la présence de regalia, la couronne et le sceptre d'or. Il s'agissait sans doute de répliques en matériaux non noble comme on en plaçait régulièrement dans les tombes carolingiennes. Otton III se fit enterrer dans la basilique d'Aix-la-Chapelle. 

Pour se légitimer lors d'une succession difficile, le nouveau roi assiste aux funérailles de son prédécesseur. Ainsi, la présence du fils héritier dans le cortège de Philippe Ier en 1108 peut démontrer une volonté de faire rejaillir un peu du prestige du défunt sur son successeur, surtout en cas de troubles dynastiques. C'est également le cas pour les rois d'Angleterre puisque Richard Cœur de Lion, fils de Henri II avec qui il était en désaccord, était présent à ses funérailles.      

Les familles des seigneurs accordent une grande importance à la mémoire de leurs ancêtres, car toutes leurs possessions et prérogatives leur viennent de leurs prédécesseurs ; c'est donc un signe de piété, mais c'est également une forme de légitimation de leur pouvoir. 
Une autre forme de commémoration des ancêtres et du crédit qu'on leur attribue est visible au début des actes relevant du pouvoir banal des familles nobles, dans leur évocation récurrente

    

C)développement du cérémonial, des insignes et du prestige

On ne connaît pas vraiment la manière dont se déroulait l'inhumation des rois et des grands personnages du royaume à l'époque carolingienne, ni même s'il y avait systématiquement une cérémonie particulière. Cependant, grâce au récit de Richter sur les funérailles de Lothaire II en 986, on sait que le roi était allongé sur un lit, dans un vêtement de soie avec un manteau pourpre brodé de pierreries (comme un empereur romain), ses insignes royaux (épée, bâton d'or et de pierres et sceptre comme le jour du sacre) et que les grands du royaume (prima) ont porté la litière (lectus). Le cortège était ouvert par des évêques et le clergé qui portaient des croix et des évangiles. Il y avait beaucoup de pleurs dans l'assistance. Les vassaux fermaient le cortège selon leur rang (suo ordine). À ce moment, la couronne ne fait pas partie intégrante des insignes royaux, elle est donnée par le pape ou ses représentants (évêques). Les insignes royaux (regalia) sont présents, car contrairement aux époques antérieures, le roi élu ne les a pas envoyés à son successeur, montrant ainsi que l'élection prime sur l'hérédité. De plus, son fils Louis V avait déjà été élu et sacré depuis six ans ; il n'était donc pas besoin de le désigner aussi explicitement. Cette cérémonie devait être grandiose car elle devait manifester les nouvelles idées sur la monarchie élaborées par l'évêché de Reims tout au long du Xe siècle. 

Nous ne possédons pas plus de descriptions des obsèques royales ottoniennes, mais cette organisation rappelle les funérailles des empereurs romains, notamment celles d'Auguste rapportées par Dion Cassius. Un protocole similaire se déroulait à Byzance où l'empereur, après sa mort, était revêtu des insignes impériaux (imperalia) et exposé sur un haut catafalque dans une des salle du palais. Les grands venaient se recueillir devant la dépouille et les clercs célébraient une messe avant que le cercueil soit transporté devant le peuple jusqu'à l'église des Saints-Apôtres et déposé dans un sarcophage de porphyre. Mais les récits des apothéoses des empereurs antiques n'ont été redécouverts que bien plus tard, vers le XVe siècle en Occident. Il est certain que les coutumes byzantines étaient connues en Occident. La cérémonie des funérailles de Lothaire II n'a, semble-t-il, pas été renouvelée lors de l'enterrement de son fils Louis V, un an plus tard. Au cours de la période carolingienne, les funérailles des reines et impératrices ne semblent pas refléter leur rang, quand bien même leur importance est de plus en plus souvent soulignée dans le Sacre. 

Gisant de Philippe Ier, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, XIIIe siècle.

À l'époque capétienne, les enterrements ne sont que rarement signalés. L'abbé Suger est le premier à rapporter en détails celui de Philippe Ier, mort en 1108. Les grands ecclésiastiques ont porté le corps du roi jusqu'à l'église Notre-Dame (chapelle du palais de Melun) et ont prié pour lui toute la nuit et le lendemain. Le fils du roi, Louis VI, fit décorer la litière de riches étoffes. Les serviteurs portèrent ensuite le corps jusqu'au monastère Saint-Benoît où le souverain avait indiqué son souhait de reposer car il ne se jugeait pas assez digne de Saint-Denis. Le nouveau roi et les barons suivaient le cortège en pleurant. Il  a été enterré devant l'autel de l'abbaye et recouvert d'une pierre tombale de grand prix (solemnius saxis), selon Suger dans Vita Ludovici grossi regis chap XII. Il n'est pas fait mention des regalia, elles ne devaient donc pas être présentes sur la litière royale ou dans le cortège.  

En ce qui concerne les funérailles de ses successeurs, Suger n'indique que la mention « comme un roi » (more regio) pour parler de leur inhumation, ce qui est pour le moins imprécis. 
Pour les rois anglais tel Henri II, les regalia sont étroitement liées aux funérailles. 

À l'époque carolingienne, on n'hésite pas à enterrer les souverains et leur famille avec de riches objets malgré le risque de pillages en augmentation avec les invasions. En 1239, on retrouva intacts les tombeaux de vingt-deux personnes dans la basilique de Saint Arnoul de Metz, vêtues de soie avec des bijoux et des couronnes en métaux non précieux. On plaçait des répliques des regalia dans les caveaux pour signifier le rang du défunt, même dans la mort. On ne plaçait pas les vraies regalia avec les morts car elles avaient une trop grande importance symbolique.  

Tombe d'Henri II et d'Aliénor à l'abbaye Notre-Dame de Fontevraud

Lorsque la situation le permettait,  il était d'usage, lors de la procession, de découvrir le visage du mort. Ainsi fut fait lors de l'enterrement de Henri II en 1189. Il fut transporté le lendemain de sa mort de Chinon à Fontevrault, vêtu de façon royale (regis apparatus) avec une couronne d'or sur la tête, des gants et un anneau d'or, il tenait son sceptre et avait des souliers tissés avec des éperons. Le roi fut transporté visage découvert (vultum discoopertum) Cette décision a été rendue possible par le petit trajet entre les deux villes et  la rapidité de l'inhumation.

Les reines carolingiennes sont enterrées dans les églises, mais vêtues de tenues grossières. C'est le cas de Frédégonde, morte en 917, et de Gerberge, morte en 954, et enterrées dans le chœur de Saint Rémi de Reims, qui sont habillées de robes en fil grossier avec un pourpoint en cuir épais. 
    Au fil du temps, une pratique populaire reposant sur l'idée que la terre touchant le corps ou le cercueil du roi apporte la fertilité aux champs fait que, au moment des funérailles, on voit des paysans s'approcher du corps qui bénéficie alors du même prestige qu'une relique. 

II] la portée religieuse

A) développement du culte des morts dans le milieu ecclésiastique

Comme nous l'avons vu précédemment, la cérémonie lors de l'inhumation des rois et des princes était assez simple à l'époque carolingienne. Il y avait une messe funèbre, puis on emmenait le corps jusqu'à l'église où il devait reposer. 

Tombeau de l'empereur Louis le Pieux, état avant la Révolution (gravure sur acier originale gravée par Chaillot)

La mise en place d'une cérémonie digne de ce nom commença avec Louis le Pieux le 20 juin 840. Un cortège formé d'évêques, d'abbés, de comtes, de vassaux, et d'une grande foule accompagna le roi jusqu'à Saint-Arnoul de Metz où il est enterré. 

Lors de l'accession au trône des Plantagenêts, en Angleterre, la cérémonie funèbre fut ritualisée et étroitement liée à la cérémonie du sacre. En effet, lors de son inhumation, Henri le Jeune mort en 1183, portait le même vêtement de lin que le jour de son sacre. Il se peut que le cérémonial d'inhumation des Plantagenêts ait répondu à un impératif de respect de la dépouille royale, puisqu'il est arrivé à plusieurs reprises que le corps du roi soit négligé ou dépouillé et abandonné (Guillaume le Conquérant, Henri II et Jean sans terre, semble t-il).  

Le culte rendu aux morts se développe dans la haute aristocratie avec l'apparition de la préoccupation eschatologique du Salut de l'âme. Ainsi, les hauts personnages, aux premiers rangs desquels les rois et  leur famille, souhaitent se faire enterrer au plus près de saints pour bénéficier de l'intercession du saint pour le Salut de leur Âme. La place de la tombe reflète le rang de la personne inhumée. Une concurrence s'instaure donc pour obtenir les meilleures places. Pour cette raison, les personnages de haut rang se font inhumer dans le chœur des églises.  

Les rois et les princes sont souvent des abbés laïcs d'une ou plusieurs abbayes, ce qui leur permet de bénéficier de messes après leur mort. Une autre solution pour bénéficier d'oraisons est de fonder un monastère. C'est le cas du comte Guillaume Ier  qui a fondé l'abbaye de Cluny le 11 septembre 909 en Bourgogne. Dans l'acte de fondation, il donne l'abbaye au Saint-Siège pour éviter un dominium laïc et impose que les moines prient pour son Salut. Lorsqu'un roi ou un prince fait un gros don à une église ou à une communauté, il réclame en général des prières pour son âme, celle de sa famille passée et à venir et aussi pour la prospérité du royaume.    

Suivant les préceptes des Écritures de saint Augustin et de Grégoire le Grand, les prières et les dons sont salutaires pour les âmes des morts, de cette manière, les fautes les moins graves peuvent être absoutes. Les mêmes auteurs affirment que les péchés trop graves sont impardonnables et que leur présence dans les églises est nuisible pour cette dernière. Des messes spécifiques (commendatio animae) sont dites les troisième, septième et trentième jours suivant la mort ainsi que lors des anniversaires de la mort. Les prières pour les morts se déroulaient chaque matin dans l'ordre suivant : en premier lieu, on citait les noms des saints du jour, puis les noms des frères et enfin le nom des bienfaiteurs.

Au XIe siècle, les moines commencent à écrire des récits sur des revenants venant tourmenter ceux qui n'honorent pas assez leur mémoire. Ces récits visent à intégrer dans les mœurs les pratiques du culte des morts. Dans leurs sermons, les prêtres annonçaient aux fidèles que, pour le Salut de leur âme, il fallait se défaire de tous biens matériels.

L'édification des tombeaux royaux et seigneuriaux suit une recommandation de saint Augustin qui disait que des memoriae monumentales attiraient le regard et, par là même, rappelaient aux vivants la mémoire des morts.

    
B) Répercussions sur les églises et abbayes 

Les grandes familles font aussi des dons aux églises et monastères pour que ceux-ci leur disent des prières. Cette pratique se développe de plus en plus et participe à la création du patrimoine des congrégations religieuses. De plus, les biens des Églises étant inaliénables, celles-ci se retrouvent à la tête d'un patrimoine considérable que les laïcs ne se privent pas de piller quand le besoin s'en fait sentir avant de les restituer pour le Salut de leur âme et celles de leur famille. Les grands personnages font souvent des dons dans plusieurs communautés pour multiplier les messes pour leur mémoire. Il n'y a pas que des dons en terres ou en argent pour s'assurer le Salut de leurs âmes, les grandes familles font également don de oblats aux établissements religieux. Les oblats sont très importants pour les cathédrales et les monastères car ces jeunes enfants nobles, élevés et éduqués par les prêtres, sont la relève des cadres de l'Eglise. Ils permettent également à l'Eglise de tisser des liens forts avec le monde séculier. 

Reconstitution de l'abbatiale Cluny III

Certaines abbayes se spécialisent dans les cultes des morts. C'est le cas de l'abbaye de Cluny qui consacre plusieurs messes par jour pour les morts dont elle prend en charge la mémoire. L'architecture de l'édifice s'adapte donc pour pouvoir recevoir simultanément plusieurs messes dans des chapelles distinctes. Ainsi voit-on l'apparition des chapelles rayonnantes autour du chœur des églises, l'office des morts ne se faisant pas sur l'autel majeur. Les moines obtiennent également les attributions pour dire les messes, ainsi certains d'entre eux reçoivent le sacerdoce pour pouvoir dire les oraisons. 

Le chœur de la basilique d'après Dom Félibien (dessin d'Eugène Viollet-le-Duc)

L'abbatiale de Saint-Denis doit également faire face à l'augmentation des sépultures en son sein puisque, tout au long de la période allant du IXe au XIe siècle, un nombre croissant de rois et de reines s'y font enterrer, augmentant ainsi son prestige. L'abbatiale de Saint-Denis était très réputée car « fondée » par le roi Mérovingien Dagobert en l'honneur de saint Denis qui était devenu, entre temps, le saint patron du royaume et, accessoirement, pour remédier au manque de place dans les églises parisiennes pour les tombeaux royaux. C'était, avec Reims, un des hauts lieux de la monarchie. On y déposait les insignes royaux entre la mort du roi et le sacre de son successeur, et l'oriflamme de l'abbatiale était présente lors des grandes batailles menées par le roi. L'abbatiale obtient le droit de disposer des dépouilles royales au XIIe siècle, ce qui la place en concurrence directe avec la cathédrale de Reims. Ainsi, pour prendre l'avantage, Saint-Denis n'hésite pas à mettre en avant la (fausse) donation de Charlemagne. Avec le droit de disposer des corps des rois et des reines, le nombre de tombeaux à Saint-Denis augmente rapidement et il faut agrandir l'édifice. C'est une des raisons des travaux de l'abbé Suger (1135/1144).
Pour bénéficier des mêmes attentions que les moines à leur mort, certains seigneurs (tant nobiles que milites) sentant leur fin proche prennent l'habit de moine et se retirent du monde séculier.

Les dons des nobles créent une concurrence entre les églises et les abbayes qui souhaitent récupérer le corps du défunt pour obtenir des terres et quand bien même si cela va à l'encontre des dernières volontés du mort. La possession des dépouilles des rois de France entretient également la concurrence entre Saint-Denis et la cathédrale de Reims pour savoir laquelle est la plus importante du royaume. 

C) Les liber vitae et autres vie et généalogie des rois et des nobles

C'est avec Eginhard que réapparaissent les vies des rois, mais ce n'est que trois siècles après sa mort (en 840) qu'elles prennent toute leur importance. Entre temps, les principales sources sont les annales des monastères et des évêchés, mais la description et la date de la mort du roi y sont très sommaires. Le premier véritable récit des funérailles royales est celui de Lothaire II vers 996 rapporté par Richter, disciple de Gerbert, alors écolâtre à saint Rémy, qui assista aux obsèques.

Les moines commencent à écrire de longues listes de noms des bienfaiteurs des abbayes dans les nécrologues ou dans les livres de vie (liber uitae ou liber memorialis). Ces listes servent à honorer plus particulièrement les âmes de ceux qui y sont inscrits. Cependant, avec le temps, les listes deviennent trop longues et les messes à la mémoire des défunts sont collectives. Seule la mémoire des souverains fait l'objet de dévotions individuelles. C'est grâce à l'écriture dont l'Eglise se réservait l'usage après la période Carolingienne qu'elle s'est accaparé le contrôle de la mémoire des morts. 

Dans l'Empire, les listes de noms des défunts des églises et abbayes sont un reflet des réseaux d'amitié et d'alliance au sein des grandes familles puisque celles-ci demandaient des prières pour leur parentèle au sens large, comprenant les amis et les avoués.
    
Pour conclure, le développement des memoriae funéraires à l'époque carolingienne résulte de la rencontre des intérêts de l'empire (s'appuyer sur des ancêtres prestigieux et légitimer son pouvoir), les intérêts de la réforme du monachisme et le développement de la pastorale.

Le culte de la mémoire des ancêtres se poursuit au XI et XIIe siècle et s'étend à la noblesse qui y voit un moyen de légitimation de leur pouvoir sur un territoire et de Salut de leur l'âme. Le culte des morts est entré à tel point dans les mœurs qu'au XIIe siècle il devient presque envahissant dans certaines communautés. Le culte de la mémoire des défunts se développe avec un léger retard par rapport au culte des saints qui lui sert de modèle. 

Les funérailles royales sont mises peu à peu en place pour répondre à un impératif politique. Le roi étant le premier seigneur du royaume et comme il tient son pouvoir de la volonté divine, ses funérailles doivent surpasser celles des autres grands personnages. Pour rappeler les fonctions du roi et son essence divine, on fait un rapprochement progressif avec les regalia et le Sacre. Dans le royaume de France, c'est Philippe Auguste (1165 - 1223) qui, le premier, a eu des funérailles aussi prestigieuses que celles des Plantagenêts au XIIIe siècle.

Le XIIIe siècle voit également se codifier les cérémonies funéraires et les tombeaux ostentatoires avec gisants. C'est également à cette période que se développe la pratique des inhumations multiples avec, d'un côté un tombeau de corps, et de l'autre, un tombeau de cœur et un tombeau d'entrailles qui permettent de multiplier les oraisons.

Tout ce qui concerne le rituel de l'inhumation et le Salut de l'âme continue de se développer pour atteindre son apogée au XVe siècle. Certaines pratiques ont perduré jusqu'à la fin de l'ancien régime, notamment à Saint Denis.

Bibliographie : 

-Alain ERLAND-BRANDENBURG, Le Roi est mort : étude sur les funérailles, les sépultures, et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fin du XIIIe siècle, Paris, art et métiers graphiques, 1975
-Pierre KERBRAT, « crypte », in André VAUCHER (dir.), Dictionnaire encyclopédique du moyen âge, Paris, 1997, pp 424-425
-Jacques SAINT-GERMAIN, La seconde mort des rois de France, ed. Hachette, Paris, 1972
-Michel LAUWERS, La mémoire des ancêtres, le souci des morts : morts, rites et société au Moyen Âge : (diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècle, 1997, Paris, Beauchesne
-Paul VITRY, Gaston BRIERE, l'Eglise Abbatiale de Saint-Denis et ses Tombeaux, librairie de Paris, Paris, 1925
-Philippe ARIES, L'homme devant la mort : t.1 Le temps des gisants, ed. Seuil, Mayenne, 1985, collection « point »
-Serge SANTOS, Saint-Denis : dernière demeure des rois de France, éd. Zodiaque, Paris, 2003

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