Fait suffisamment rare pour être cité, j'annonce ici une exposition dont la démarche, plus encore que le sujet m'a intéressée : " la culture en prison". En effet, je me pose souvent la question de la transmission du savoir et de la création dans ces lieux de privation de liberté. De plus, ce qui ne gâche rien, je trouve les sculptures magnifiques ! Hélas, je ne sais pas si je pourrai aller voir l'exposition...

Jusqu’au 4 août 2018, la galerie Anton Meier de Genève présente l’exposition de céramique Des Katchinas à l’ombre des barreaux. L’exposition a la particularité de présenter pas moins de 150 œuvres en céramique réalisées sous la direction d’Anouk Gressot par des femmes détenues à la prison de Champ-Dollon, également à Genève.
 

/Des Katchinas à l’ombre des barreaux/ photo Roger Chapellu.

La culture pour se reconstruire

Anouk Gressot, en tant que professeur passionnée, assure depuis 2001 des ateliers de céramique à la prison de Champ-Dollon à destination des femmes placées en détention préventive. Pour des raisons de sécurité, dans ce lieu si particulier et contraignant, la première étape a été de créer l’atelier avec les détenues, sans aide extérieure.

«Les visées de l'institution sont avant tout de fournir une occupation aux détenues et les miennes, de leur donner l'occasion de se construire par l'activité artistique. »

Puis, dans un souci d’échange, de partage et de découvertes, Mme Gressot a proposé des sujets basés sur l’archéologie et l’ethnologie à partir de photographies couleurs. Les arts d’Egypte, précolombiens, aborigènes d'Australie ou encore de l'Islam sont autant de voyages dans le temps et dans l’espace pour ces femmes enfermées. Cette démarche offre aux détenues l'opportunité de se retrouver autour d'un projet commun, de transcender ainsi leurs différences culturelles et de s'affranchir momentanément de leurs préoccupations et de leurs angoisses. 

Des Katchinas à l’ombre des barreaux, photo Roger Chapellu.

 

«Partir d’un modèle permet à toutes de s’entendre. Le moteur n’est pas le souci de la signature mais l’expression d’un besoin de faire.» Comme le signale Mme Gressot. Elle ajoute, «Il n’y a rien de pire que de proposer à un prisonnier de s’exprimer librement. J’avais envie de faire voyager tout le monde vers de belles choses qui transcendent les cultures et les classes sociales.»

 

Pour la présente exposition, ce sont les poupées traditionnelles Katchinas, en bois de racines de peuplier des tribus amérindiennes d’Arizona Hopi et Zuni qui ont servi de base de travail à l’atelier depuis 2015. Ces poupées, destinées aux enfants de ces tribus, leur permettent de se familiariser dès leur plus jeune âge avec leur cosmogonie et aux mythes fondateurs de leur culture.

Anthropomorphes ou zoomorphes, très colorées et très chargées symboliquement, ce sujet a provoqué des réactions ambivalentes. Certaines femmes, effrayées par cette charge « magique » ont souhaité conjurer le sort en passant de la musique gospel. Mais rapidement le sujet, par sa simplicité et la joie qu’il dégage, a remporté l’adhésion des participantes. Cette joyeuse assemblée a attiré l’attention de l’atelier couture qui est venu participer à la création de quelques costumes.

/Des Katchinas à l’ombre des barreaux/ photo Roger Chapellu.

La réalisation des 150 pièces en argile, de 20 à 50 cm de hauteur environ, a duré un certain temps, chaque figurine ayant nécessité environ 25 heures de travail à six ou huit mains avant d’être considérée comme achevée. Par groupe d’une vingtaine de détenues, pour une durée de 5h30 par jour cinq jours par semaine, elles ont modelé, cuit, peint et orné chaque pièce puis les ont fixées sur des socles en terre cuite émaillée afin d’assurer leur stabilité. Ainsi, de véritables liens se sont formés entre les femmes et leurs créations. N'ayant bien souvent pas eu accès à une formation très avancée, l'atelier leur  offre une opportunité de puiser dans des ressources personnelles insoupçonnées. Avoir les mains occupées permet aussi de libérer la parole et de rétablir un lien social.

Reflets d’un passé douloureux et de leurs blessures, ces sculptures ont permis à certaines de se retrouver et de s’apaiser par l’activité créatrice comme exutoire à l’angoisse de l’enfermement. D’autres ont développé un lien presque maternel à l’égard de ces sculptures intimement liées à l’enfance. Ce lien affectif s’est matérialisé dans le soin qu’elles ont manifesté à chaque étape de la création, mais également lors de l’emballage des pièces chaque soir et l’empressement et la joie de les retrouver le matin.

L’une des participantes a même coupé une mèche de ses cheveux pour en orner la sculpture sur laquelle elle travaillait.

Le travail justement a été rendu difficile par la rotation régulière des participantes. Les femmes étant placées en détention préventive, leur passage dans l’atelier est parfois très court.

Au fil des années passées à animer cet atelier de céramique en milieu carcéral, Anouk Gressot a pu observer les bienfaits de tels actions culturelles permettant de reconstruire les êtres ainsi que d’établir un dialogue culturel entre ces femmes d’origines très différentes. 

/Des Katchinas à l’ombre des barreaux/ photo Roger Chapellu.

 

« J’ai pu observer que la construction de personnages sculptés renvoie à la construction de soi et que l’expérience de la représentation de la figure humaine //est un puissant dénominateur commun aux différentes cultures en présence. » précise-t-elle. 
 

 

 

Une exposition manifeste

Cette exposition est tout à la fois esthétique et manifeste puisqu’il s’agit de prouver que des femmes en situation d’enfermement et n’ayant reçu aucune éducation artistique particulière peuvent retrouver l’espoir et la stabilité par la création artistique.
C’est aussi un moyen pour les participantes à l’atelier de s’extraire de leur condition d’auteures de délits, de démontrer leurs capacités et de retrouver une place dans la société par la reconnaissance publique de leur travail.
 

/Des Katchinas à l’ombre des barreaux/ photo Roger Chapellu.


Pourtant, pour des raisons de coûts et de sécurité, il n’est plus possible d’organiser de tels ateliers en milieu carcéral. Il s’agit de la dernière exposition de Mme Gressot et de ses protégées. Anouk Gressot, qui est l’auteure d’un mémoire sur les pratiques artistiques en milieu carcéral précise que cette exposition « C’est une façon de prouver que l’art, sous toutes ses formes, peut advenir en prison

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