Depuis aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été entourée de femmes de caractère, bon ou mauvais d'ailleurs, qui n'hésitaient pas à dire ce qu'elles pensaient. Ma mère en particulier, en véritable wonder woman des années '80 m'a indiqué la voie pour assumer celle que je suis, sans peur du regard des autres. Enfant effacée, il m'a fallu un peu de temps pour comprendre et digérer le message. Dès l'enfance, elle a su me parler, avec des mots simples, de la féminité : les règles, le consentement, etc. Au début de l’adolescence, elle m'a parlé de la contraception, du planning familial, de l'histoire du droit des femmes en France et surtout, de ne pas me laisser faire dans la vie sous prétexte que je suis née femme.

Ma mère et moi quand j'avais 4 ans

Aussi, pendant longtemps, tout en ayant intégré les notions humanistes de droit à disposer de son propre corps, je pensais que c'était normal, des droits inamovibles, acquis. J'applaudissais pour les lois sur la parité en y voyant le symbole d'une société qui bouge dans le bon sens. Aussi, la question de pourquoi je suis devenue féministe est un non sens dans mon cas, puisque visiblement, je le suis depuis presque toujours sans vraiment le savoir.

Puis j'ai commencé à travailler l'été et à côté de mes études. Tout se passait bien, des chef(fe)s à l'écoute, une reconnaissance du travail accompli, un vrai rêve. Vers la fin de mes études, je suis entrée comme stagiaire dans une rédaction web quasi exclusivement féminine. Ayant fait des études dans la culture, j'avais l'habitude de ce genre d'ambiance. Les cheffes étant de jeunes femmes trentenaires affichant des valeurs de gauche modérée et de féminisme, je pensais que tout se passerait bien. Tant que j'ai été en télétravail, tout s'est effectivement bien passé et, si les tracas du quotidien (harcèlement de rue ou dans les transports ne sont qu'un exemple) et les informations avaient déjà allumé quelque chose en moi, je restais sur mes acquis, parité au travail, droit à disposer de mon corps etc., jusqu'à l'année 2016. Parallèlement, j'ai toujours effectué un tri auprès des personnes de mon entourage (amis, collègues) qui avaient des propos limites, voire carrément machistes, et qui ne comprenaient pas quand je leur disais que c'était un raisonnement digne des années '50, voire qui me traitaient de chieuse qui ne sait pas rigoler…

2016 a vraiment été une véritable claque, d'abord j'ai pris du galon dans la rédaction où je rédigeais depuis 2013. Je devais donc être présente dans les bureaux. Là, je me suis dit que mon travail était reconnu, que j'allais pouvoir proposer des sujets plus originaux et en phase avec la cible lectorat du site, à savoir les jeunes femmes de 25 à 45 ans. Grande lectrice de MadmoiZelle, des Glorieuses ou du Huffington post (pour les articles internationaux), je voyais et vois toujours les inégalités réelles entre hommes et femmes dans les sociétés, mais aussi, comment certains et certaines essayent de faire changer les choses, de donner des exemples positifs et instructifs. Cependant, je ne me sentais pas vraiment concernée jusque là. Je soutenais les actions féministes de manière passive et sans vraiment prononcer ce mot que certains et certaines ont galvaudé et ont extrémisé.

Dans le même temps, je me suis rapprochée de certaines associations comme Femmes du numérique et Social Builder, et abonnée aux actualités du Planning familial (entre autres) qui m'ont enseigné la sororité.

Mais voilà, peu à peu j'ai ouvert les yeux, que ce soit dans la société ou dans le travail, je ne suis finalement qu'une femme. Au sein de la rédaction, entre deux « oui ma chérie, tout à fait » j'entendais les railleries sur mes collègues ou la fausse compassion, ainsi que des considérations du genre « à la rédaction, on ne prend que les filles canons » ou bien « elle ressemble à une pauvre fille, ça ne nous représente pas » ou encore « A chaque fois qu'elle a ses règles elle est absente, ça commence à bien faire quand même » voire « la clé d'un mariage réussi, c'est d'avoir une femme de ménage » j'ai commencé à bouillir intérieurement, mon rêve commençait à s’effriter, je commençais à douter. Puis, j'ai appris que mon prédécesseur à ce poste, un homme, était beaucoup mieux payé que moi, à travail égal. J'ai demandé une revalorisation qui m'a été refusée, j'ai donc demandé à travailler moins, ce qui m'a aussi été refusé, avec un certain mépris. J'ai donc décidé de changer de crèmerie, ce qui était d'autant plus facile pour une freelance comme moi. Là, j’enchaîne les entretiens où je me retrouve devant des hommes d'une cinquantaine d'années qui, malgré mes compétences (je suppose qu'ils ont quand même lu mon CV), m'expliquent que je suis trop jeune pour les postes à responsabilités, ce à quoi je réponds que j'ai vingt-neuf ans et plusieurs années de travail derrière moi. Plusieurs fois, ils (dans plusieurs entretiens pour différents postes dans des villes différentes) se permettent de parler de moi comme de la « petite demoiselle de Paris » et moi de répondre « J'ai trente ans dans trois mois » mais rien n'y fait, comme je fais jeune, et quoi que je dise, même en montrant les graphiques concrets avec les résultats (plus que positifs) de mes missions, rien n'y fait, l'on me traite comme une gamine. J'enrage dans le train de retour !

A la rédaction, l'ambiance est de plus en plus délétère chaque fois que je fais une remarque de quelque manière et sur quelque sujet que ce soit, je suis perdue. Jusqu'à ce que la « rédactrice en chef » me dise que si je ne suis pas contente d'être là, je n'ai qu'à partir. Bien, je l'ai prise au mot. Je remercie ma famille et mes amis de m'avoir soutenue dans cette décision.

S'en est suivie une période de doutes et de remise en question. Là, tout ce que j'avais lu, vu sur les sites féministes, dans la presse, dans la rue, les commentaires me sont revenus en mémoire. J'ai ouvert les yeux, à trente ans, sur le fait que rien n'était acquis, et que le combat pour la reconnaissance et l'égalité continuait. Je me suis alors reconnue moi-même comme féministe, et j'ai écrit (peut-être maladroitement) mon premier article féministe sur le planning familial. Mais quel féminisme ? Qu'est-ce que je recherche au fond de moi ? Qu'est ce qui me fait enrager ?

Grâce aux écrits de mes aînées et aux nombreux témoignages positifs et, hélas, négatifs que j'ai pu lire, mes convictions se sont affermies. Je recherche une égalité culturelle et sociale entre homme et femme. Une égalité de fait qui soit acceptée par la société sans qu'il y ait besoin de lois sur l'équité de salaire ou bien le nombre de femmes présentes dans les comités de direction ou à l'Assemblée Nationale.

J'ai aussi ouvert les yeux sur la représentation de la femme au quotidien et sur l'image que la société lui renvoie depuis plusieurs millénaires : soit belle et tais-toi, une femme accomplie est une mère, la place de la femme est à la maison, noyée sous les tâches domestiques. Puis, sur le comportement de mes semblables femmes, en me demandant comment faire pour leur ouvrir les yeux à leur tour, de manière non agressive, pour qu'elles n'aient plus peur de ce qu'elles sont ? Je suis profondément horrifiée par la remise en cause des droits des femmes dans de nombreux pays et, à chaque fois, je repense à la citation de Simone de Beauvoir "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."

Là encore, guidée par Simone (Simone de Beauvoir est un peu devenue ma grand-mère spirituelle) j'ai commencé à partager des articles féministes sur mon mur Facebook, d'abord en privé, puis rapidement en public. Au début, les likes et les partages étaient timides, puis sont venus les commentaires et les débats, j'étais heureuse. Maintenant, je suis ravie quand je vois une de mes connaissances, homme ou femme, partager à son tour, sur son mur, des articles et des pensées sur le droit et la condition féminine. Je suis tout aussi enchantée quand une amie viens me parler en privé de ses ressentis et expériences en tant que femme.

En repensant à la célèbre citation de Simone « une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère » j'ai poursuivi dans cette voie, j'ai refait un tri dans mes amies, pas celles qui ne pensaient pas comme moi, les débats sont toujours stimulants, mais celles qui dénaturaient le combat féministe en dénigrant les hommes ou en adoptant leurs comportements de non respect de l'autre. Car finalement, cette fois dans les pas de Louise Michel, je pense que le respect est à la base de tout ; du consentement éclairé, du droit à disposer de son propre corps, dans le travail, dans la rue dans l'art, etc. Je vous laisse en compagnie des vingt « meilleures » citations de Simone de Beauvoir et des citations de vingt (ça doit être un chiffre magique) grandes maîtresses à penser la condition de la femme pour nourrir votre introspection. Pour ma part, je retourne à mes études féministes.

 

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