Cette semaine, la capitale a la chance d'accueillir simultanément deux pièces inspirées du Kabuki. La première Jiuta, dont nous avons déjà vanté les nombreux mérites, nous présente un art sublimé, la seconde, Mahabharata est une pièce très vivante mêlant subtilement tradition et modernité.

 

Une éloge de la tradition ...

Mahabharata est avant tout un sujet épique, une geste d'amour, de trahisons, d'épreuves et de retrouvailles, le tout sur fond de bouddhisme continental bienveillant. De ses origines indiennes, le récit conserve son bestiaire d’éléphants sauvages, de serpent divin, de tigre majestueux. Les noms des personnages sont également conservés, tout comme la trame.

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Arrivée au Japon à l'ère Heian (9ème – 12ème siècles) à l'époque où la cour impériale puissante et très ouverte entretenait de nombreuses relations avec le continent, le Mahabharata s'est tout simplement assimilé à la culture japonaise, au même titre que le Sayuki, autre fable bouddhique où le moine Sanzô doit combattre les démons pour éviter le réveil de leur roi. L'histoire d'amour tragique rapportée par le Mahabharata le rapproche du style wogoto (souple) qu'affectionnait l'aristocratie cultivée du Kensai. Par sa forme à la fois comique, mais centrée sur l'intrigue amoureuse des deux héros, on retrouve les racines originelles du kabuki.

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Si Mahabharata, contrairement à Sayuki n'a pas, semble-t-il, donné lieu à des adaptations antérieures, cette création de Miyagi Satoshi nous transporte littéralement par sa vitalité, sa joie et son inventivité. Il ne faut pourtant pas croire qu'il fait fi de toutes les traditions théâtrales du pays du Soleil levant. S’inspirant très fortement du kabuki, le conteur dans le coin supérieur droit du tatami nous narre les péripéties subies par le vaillant roi Nala et sa ravissante et courageuse épouse la princesse Damayanti, faisant guise de narrateur et même parfois de locuteur à la place des personnages. Ceux ci chantent, dansent et jouent, au son entrainant des percussions en tout genre (tambours, xylophone, ...).

L'un des aspects les plus spectaculaires de la pièce est sans nul doute les costumes. Entièrement blanc, couleur sacrée incarnant la pureté, ils sont, pour la plupart et comme l'exige la tradition, fait de papier. Véritable éblouissement, ils méritent à eux seuls le déplacement, en particulier ceux des dieux des éléments. Extrêmement travaillés, ils ont une grande force expressive au sens que, simplement en les voyant, l'on comprend qui est le personnage ou sa fonction. D'une très bonne tenue mais fluides et détaillés, ils se prêtent particulièrement bien à cette mise en scène. Le seul personnage coloré est le vilain Kali, démon par qui le malheur arrive. Le papier constitue également l'ensemble des accessoires, qu'ils s’agisse d’origamis complexes ou de dés, le papier, blanc comme il se doit, est omniprésent.

 

...pour un art vivant et frais

Le ton est donné dès les premières minutes. Les percussions rythmées nous transportent dans un lointain mystique et fabuleux où les princes bienveillants côtoient les dieux et où les princesses ne sont pas de simples potiches, juste bonnes à marier.

Une des marques les plus saisissantes de la modernité de la mise en scène concerne la présence de femmes sur la scène. En effet, depuis l'époque d'Edo, au début du XVIIe siècle, seuls les hommes étaient autorisés à monter sur scène.

Les percussions traditionnelles se voient adjointes des instruments venus d'autres horizons, comme le djembé.

Enfin, le spectacle comporte plusieurs références à la culture contemporaine. Comment ne pas rire devant ce moine interprétant la danse de Thriller de Michael Jackon, la création prenant des airs de comédie musicale.

Cet art, à la fois festif et accessible, ne laisse personne indifférent, d'autant que la mise en scène tire judicieusement parti de l'espace de la salle avec ses gradins, fonds de scène, balcons et même les allées du public sont mises à contribution. L'énergie des acteurs est communicative, si bien que l'on ressort de la représentation émerveillé et sans avoir vu passer les 1h45. En définitive, ce spectacle incarne à merveille la devise du musée : là où dialoguent les cultures.

 


 

 

Visuels : © Takuma Uchida et musée du quai Branly (site du musée)

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