[Expo] Berserk et Pyrrhia jusqu’au 20 juillet au FRAC Île-de-France : l’art-contemporain réinterprète le Moyen-Âge
31 mars 2025Le FRAC Île-de-France et plusieurs institutions culturelles et muséales de la région se lancent pour la saison dans un dialogue fécond entre art contemporain et art médiéval avec l’exposition multi-sites Berserk et Pyrrhia.
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Le Médiévalisme de la Pop-Culture
Des séries télévisées aux jeux vidéo, en passant par la littérature et les bandes dessinées, le Moyen Âge exerce une fascination durable sur les créateurs et le public. Cette appropriation et interprétation des thèmes et motifs médiévaux dans la culture contemporaine, déjà présente au XIXe siècle, porte le nom de médiévalisme et est aujourd’hui un phénomène omniprésent dans la pop-culture. Dans la pop-culture, le médiévalisme est divisé en deux courants principaux : le médiéval fantastique peuplé de créatures comme les Elfes, les licornes et les dragons, et la dark fantasy qui s’appuie sur une vision (construite) très sombre du Moyen-Âge où la violence règne partout comme une sorte d’âge sombre avant le retour des lumières.
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Pour illustrer ces deux aspects, Céline Poulin, la commissaire d’exposition, et Camille Minh-Lan Gouin, la commissaire associée, se sont appuyées sur deux œuvres littéraires qui illustrent ce mouvement et ont pu inspirer des artistes contemporains : le manga Berserk de Kentaro Miura et la saga littéraire Les Royaumes de feu de Tui T. Sutherland.
Pour ceux qui ne sont pas familiers de ces univers, voici deux résumés succincts :
Berserk, le manga culte de Kentaro Miura, est une œuvre qui plonge ses lecteurs dans un univers médiéval d’Europe Occidentale sombre et brutal. L'histoire suit Guts, un guerrier solitaire, dans sa quête de vengeance contre ceux qui l'ont trahi. Berserk ne se contente pas de reprendre les codes du médiévalisme, il les transcende en explorant des thèmes profonds tels que la folie, la trahison et la rédemption. Feu Miura s’est beaucoup inspiré d'œuvres occidentales pour créer l’aspect visuel de son univers, dont des gravures sur la Divine Comédie.
Pyrrhia est la terre des dragons présente dans Les Royaumes de feu, une série de romans où chaque tome est centré sur un dragonneau d’une tribu différente. Bien que fantastique, l'univers de Pyrrhia s'inspire largement du Moyen Âge avec ses intrigues politiques, ses batailles épiques et ses quêtes héroïques.
Les deux sagas littéraires sont présentes dans l’exposition sous différentes formes ; pour Berserk, plusieurs artistes s’en réclament directement dont Neïla Czermak Ichti, Lucia Hadjam ou Léo Penven, pour Pyrrhia, l’influence est plus diffuse, mais on peut la retrouver dans le travail de Caroline Delieutraz ou de Carlotta Bailly-Borg.
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Des Motifs médiévaux toujours d'actualité ?
L’exposition, par sa confrontation d’œuvres contemporaines de jeunes artistes ou issues du fond du FRAC, avec des objets issus de collections muséales ou archéologiques, permet d'appréhender la continuité et les résurgences de motifs médiévaux qui ont percolé dans l’imaginaire collectif non sans subir quelques déformations au passage.
Style troubadour, romantisme, historicisme, symbolisme, Art and craft jusqu’à l’Art Nouveau, l’imaginaire médiéval a innervé une grande partie de l’art du XIXe siècle suivant plusieurs axes : retour à la Nature, place plus grande de la religion, construction de l’État-nation. Ainsi, longtemps négligés, le Moyen-Âge et ses arts sont remis au goût du jour. Les motifs médiévaux, en particulier de la période gothique, deviennent emblématiques et se diffusent dans le monde entier.
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Aujourd’hui, ces motifs et thématiques médiévaux ont été “digérés” et sont réinterprétés par les artistes contemporains qui y trouvent une approche moins anthropocentrique, un retour à la nature, voire au mystique, en s’éloignant de la rationalité cartésienne de notre époque.
L’exposition du FRAC Île-de-France se déroule en deux parties : la première au Plateau dans le XIXe arrondissement de Paris, et la seconde partie aux réserves de Romainville. Ces deux lieux développent deux aspects de l’imaginaire médiéval : le plus sombre, mais en même temps héroïque avec Berserk au Plateau et l’aspect merveilleux et spirituel aux réserves.
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Violent et héroïque sont les deux faces qui caractérisent un chevalier dans l’imaginaire collectif et ces deux notions s’incarnent à merveille dans le personnage de Guts. Ce mercenaire surpuissant s’abandonne à la plus grande férocité quand il se laisse submerger par l’armure du berserk. Pourtant, dans sa quête de rédemption, il s’érige en rempart contre le mal et surmonte de nombreuses épreuves à l’image des héros des chansons de gestes médiévales. Cette quête d’héroïsme est un thème intemporel qui se retrouve toujours dans nombre de productions issues de la pop-culture dont le cinéma et les jeux-vidéo. Dans le cas d’un héros, la violence plus ou moins maîtrisée est justifiée par le noble objectif poursuivi. Dans Berserk, la quête de Guts est une exploration de la condition humaine, de ses faiblesses et de ses forces. Berserk ne ménage pas ses lecteurs avec ses scènes de combat sanglantes et ses descriptions crues de la guerre. Cette violence, loin d'être gratuite, sert à illustrer les conséquences des conflits et la nature humaine dans ses aspects les plus sombres.
Dans Les Royaumes de feu, les dragons protagonistes sont confrontés à des défis qui résonnent avec les préoccupations contemporaines telles que l'identité, la loyauté et le pouvoir.
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Dragons, elfes, hommes sauvages et autres chimères se retrouvent pour festoyer aux réserves du FRAC. Le monde dépaysant des Royaumes de feu offre un espace d’évasion, une échappatoire à la réalité quotidienne en proposant des récits et des représentations peuplées de créatures merveilleuses. Cette évasion est un besoin universel qui explique en partie la popularité durable des récits médiévaux. Ici, l'altérité est à l'honneur et permet aussi bien d’affronter ses démons que de laisser libre court à son moi intérieur. Les hommes feuillus tout comme les hommes sauvages sont un état intermédiaire entre l’animal et l’humain civilisé. Ils permettent de reconnecter l’Homme à la Nature. Les dragons, féroces chasseurs, forces de la nature primordiale, sont également doués de raison et peuvent construire des royaumes.
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Le vrai Moyen-Âge dans tout ça ?
Bien que largement diffusées, ces images ne sont que des interprétations des vestiges d’une époque largement fantasmée dont les sources primaires sont souvent peu accessibles. Ce vide, allié à un fort besoin de représentations, est peu à peu comblé par les représentations et les constructions médiévalisantes. Mais, à force de répétitions et par leur large diffusion, ces émanations du médiévalisme faussent notre perception et notre compréhension de cette longue période qui a débuté avec la chute de Rome et s’est achevée par la chute de Constantinople. Le long Moyen-Âge est pourtant bien plus qu’une période de violence débridée et le royaume des légendes où se mêlent religion et paganisme. Les héritages médiévaux sont toujours présents dans tous les aspects de nos vies, mais sont si bien intégrés qu’on ne les remarque plus. Le Moyen-Âge, malgré ses convulsions, a été une période d’une grande modernité et il est heureux qu’il inspire toujours autant, mais il gagnerait à être plus reconnu et mieux diffusé.
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Pour conclure, l'exposition Berserk et Pyrrhia montre que le médiévalisme est bien vivant dans la pop-culture. À travers des œuvres riches et complexes, ces récits continuent de captiver et d'inspirer, prouvant que les motifs médiévaux sont toujours d'actualité. Que ce soit par leur exploration de thèmes universels ou leur capacité à offrir une évasion fantastique, Berserk et Pyrrhia témoignent de la vitalité et de la pertinence du médiévalisme dans notre époque. Malgré quelques petits flottements dont l’usage du mot “moyenâgeux” qui est à proscrire tant il est connoté négativement et un discours parfois un peu en surface, l’exposition, à la fois dense et variée, offre un très beau panorama sur la perception du Moyen-Âge par les artistes du XIXe au XXIe siècle et de la manière dont ces productions se sont interpénétrées pour s'interpréter. La mise en regard avec des objets médiévaux parfois archéologiques offre des points de contextualisation qui permettent d’ancrer le propos de l’exposition dans son sujet historique. Ce thème m’a particulièrement intéressée car le sujet de mon mémoire de Master d’histoire était “La Représentation du haut Moyen-Âge dans la peinture française du XIXe siècle”. Je suis donc spécialement sensible à la notion de médiévalisme et à ses enjeux. Cependant, je suis ravie de voir que la période médiévale, même fantasmée, est toujours le terreau fertile d’une création artistique contemporaine vivante et vibrante.
D'autre part, si je ne suis pas familière du royaume de Pyrrhia où évoluent les dragonneaux, je connais nettement mieux Berserk qui fait partie des 200 licences manga évoquées dans mon livre Culture Seinen.
#MoyenÂgeIsNotDead ! #TeamMoyenäge !