Gueules Noires : dans la mine personne ne vous entendra crier
12 nov. 2023Film surprise de cette fin d’année, Gueules Noires, de Mathieu Turi, est un film hybride, à mi-chemin entre l’héroïsation ouvrière trop souvent dénigrée et le récit horrifique de Lovecraft. Visible dans les salles obscures à partir du 15 novembre 2023, il est le bienvenu dans le paysage cinématographique français auquel il apporte un vent de fraîcheur.
1956, une petite équipe de mineurs, en majorité expérimentés, est envoyée pour escorter un chercheur dans une zone particulièrement dangereuse d’une mine de charbon. Entre promiscuité et non-dits la tension monte, mais tout bascule quand ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans les entrailles de la terre.
Une histoire d’hommes
Le film de 1h43 est découpé en deux parties distinctes. La première se consacre à l’évocation du très difficile travail de la mine. Si, en 1956, date à laquelle prend place l’intrigue, les moyens se sont modernisés par rapport à Germinal, le fait est qu’il fallait être sacrément courageux et endurant pour descendre tous les jours à plus de 600 mètres de profondeur pour extraire le charbon de ses veines de plus en plus rares. L’immensité de l’industrie minière est perceptible dans le gigantisme de ses machines, et plus particulièrement de ses chevalets de mines (ou chevalements). Pour faire tourner les mines et extraire toujours plus de charbon sur presque deux siècles, jusqu’aux fermetures dans les années 1980, il fallait une main d’œuvre nombreuse, arrivée par vagues successives des campagnes françaises, d’Italie, de Pologne, d’Espagne et enfin du Maghreb pour les décennies 1960-1970.
Les différentes vagues de travailleurs embauchés par les charbonnages de France formaient des équipes souvent soudées par la dureté et la dangerosité de la tâche. Il y avait une vraie solidarité ouvrière malgré des caractères parfois rugueux. C’est ce que montre le film avec son équipe de héros (il manque tout de même un polonais au casting). Ils sont unis entre eux et en majorité accueillants avec leur nouveau collègue venu de l’autre bord de la méditerranée. Ils aiment leur métier malgré tout et le connaissent bien.
C'est cette histoire d’hommes que montre la première partie du film et rend bon nombre de personnages attachants. Même après l’accident qui les bloque au fond, ils cherchent une solution et unissent leurs forces. Mais ils ne sont pas préparés à ce qu’ils vont découvrir.
Un mauvais dieu dort dans les catacombes (encore une heure ou deux et il va dominer le monde)*
Après cette mise en place minutieuse de l’univers de la mine, tout bascule lors de la découverte d’une crypte sans âge. Ouvertement inspiré des œuvres de Lovecraft, le récit bascule dans le huis clos horrifique et parfois gore. Un culte rendu à un être millénaire est découvert, aiguisant les convoitises des uns et des autres pour diverses raisons. Trésor perdu, découverte archéologique, chacun trouve son intérêt à 1000 mètres sous terre.
Bientôt ils sont pris en chasse et le pire de chacun, tout comme la solidarité, se révèlent alors. Certains se conduisent héroïquement, d’autres pas du tout, mais ils sont généralement nuancés et présentent des facettes très humaines.
A mesure que la créature se dévoile, le récit perd un peu en intensité et le spectateur sursaute moins. La mine devient alors un monde clos aux ressources limitées où la survie ne tient qu’à un fil. Je vais être assez franche, si le scénario est intéressant et bien mené tant par le réalisateur que les interprètes, cette phase m’a moins convaincue en approchant de la fin. J’apprécie les œuvres de Lovecraft pour leur côté malsain, suintant et vertigineux. Mais la crypte préhistorique (sauf les salles avec les écritures), les armements retrouvés sur place et le sarcophage ne m’ont pas vraiment convaincue, pas assez organique ni grandiose. Concernant la créature créée par Keisuke Yoneyama, elle est plutôt convaincante mais j’ai préféré quand elle était juste évoquée (comme dans Alien le huitième passager). C’est cette ambiance que je pensais retrouver.
*Pour ceux qui se demandent d’où vient ce sous-titre, c’est une référence au groupe Manau (voir vidéo en bas de page).
La thématique du film est originale et, pour ma part, tout fonctionne bien pendant 1h30-1h45. La restitution de la mine et de son environnement est tout à fait correcte et ne tombe pas dans le cliché, ce qui est toujours agréable. Les interprètes sont impeccables surtout dans un genre relativement rare dans le cinéma français. Les bruitages collent bien à l‘intrigue.
Ainsi, j’ai globalement apprécié le film Gueules noires qui mélange de l’historique et une ambiance particulière. Il n’y a que la dernière phase (avant le grand final que je me garderai bien de vous dévoiler) qui m’a moins enthousiasmée, principalement à cause des décors et de certains raccourcis scénaristiques ou de montage qui donnent une impression de précipitation et non d’urgence qui ne collent pas au reste du film très cohérent jusque-là.
Je conseillerai ce film aux curieux et aux fans de films d’ambiance qu’un peu de sang ne révulse pas. Cependant, il ne faut pas non plus s’attendre à un film d’horreur gore, ni être allergique aux mises en place qui prennent leur temps. Le film est plein de bonnes idées et servi par de bons acteurs, mais il lui manque un petit quelque chose, une rallonge budgétaire peut-être ? En tout cas, je suis ravie de voir un film français qui sort de l’ordinaire.