Voir les expositions du musée des beaux-arts de Rouen est toujours une bonne idée. Après le flamboyant Salammbô voici qu'une vague nordique envahit les salles du musée avec Normands Migrants, conquérants, innovateurs, à voir jusqu'au 13 août 2023.

Trésor de Fölhagen,anneau de bras © Photo Swedish History Museum-SHM (CC BY)

400 ans d'histoire

Des invasions vikings jusqu'aux royaumes normands d'Italie en passant par les croisades, l'exposition retrace 400 ans d'histoire, tantôt violente, tantôt pacifique, d’hommes et de femmes venus de Scandinavie comme marchands, mais aussi comme pillards et comme colons. A partir de 275 vestiges et d'œuvres provenant de nombreuses institutions prestigieuses aussi bien en France qu’à l’international (Royaume Unis, Danemark, Suède, Norvège, Italie) se dessine en creux le portrait d’une culture de grands voyageurs curieux, mais aussi d’experts en leur domaine de la navigation et dans le maniement des armes.

Croix-reliquaire de la Vraie Croix, provenant de l’abbaye du Valasse, Xie début du XIIe siècle, et fin du XIIe siècle (vers 1180 ?). Or, argent doré, filigranes, âme de bois, gemmes et verroteries, 46,5 x 33 cm. Musée des Antiquités, Rouen.Photo personnelle

Les premiers contacts entre le royaume de France et les voyageurs venus de Scandinavie ont été un temps tumultueux avec des raids le long de la Seine où les populations et les richesses étaient la cible de pillards aussi agiles que redoutables. Les monastères conservent dans leurs chroniques des récits épouvantés de leurs passages, et si la défense des grandes villes comme Paris s’est organisée, le roi de France Charles le Simple (carolingien) propose finalement en 911 au chef viking de se fixer sur le territoire à l’embouchure de la Seine et d’en assurer la défense par la même occasion ; c’est le traité de Saint-Clair-Sur-Epte. C’est le début de ce qui va devenir le puissant duché de Normandie. Rollon, et avec lui plusieurs vikings de sa suite, se fixe donc dans une partie de la Neustrie qui deviendra plus tard la Normandie. Ils y ont importé leur culture et leur savoir-faire, mais ils se sont également intéressés aux traditions et techniques locales. On ne vous refait pas l’histoire, mais le duché de Normandie est devenu prospère et le XIe siècle a vu Guillaume, fils de Robert, duc de Normandie, conquérir le trône d’Angleterre. Les guerriers normands se sont également établis en Italie du Sud et ont largement participé  et les années à la prise de Jérusalem par les croisés.

Tête de Viking provenant de Sigtuna en Suède, XIe siècle. Bois d’élan (?), 224 × 40 mm. © Sigtuna, Sigtuna Museum and Art © Photo Swedish History Museum-SHM (CC BY)

Un point de vue ethnographique

Ceux que l'on a l'habitude de nommer vikings sont en fait les pirates qui s'adonnent aux pillages des abbayes et des villes le long des cours d'eau et qui ont durablement marqué les esprits.

Pourtant, d'autres personnes spécialisées dans le commerce, les Varègues, étaient déjà présentes à l'époque. Elles sillonnaient toute l’Europe et commerçaient avec le Moyen Orient. Certains traités montrent également que les normands ont conservé un certain temps certaines de leurs lois et traditions, parfois en contradiction avec leur foi chrétienne, comme l’illustre si bien le mariage normand que les chrétiens qualifiaient volontiers de concubinage, voire de bigamie, et dont les enfants étaient parfaitement légitimes chez les normands là où les chrétiens ne reconnaissaient que ceux de l’épouse l’légitime, les autres étant des bâtards. L’Échiquier, future cour de justice, est également issue du droit coutumier scandinave. Grâce aux traditions scandinaves où les femmes pouvaient être cheffes ou guerrières, les femmes normandes avaient également un rôle social plus important que dans le reste du royaume, en particulier chez les élites.

Benedictionarium anglo-saxonicum ou Pontifical de Winchester (dit « Bénédictionnaire de Robert »). La Pentecôte. Cote Ms Y 7 f° 029v © Bibliothèque municipale de Rouen (Ms Y 7, f°29v)

L’analyse des tombes et des vestiges archéologiques ont montré que la présence scandinave était ancienne et que certaines femmes d’origine nordique s’étaient installées et mariées localement comme le montre l’analyse de la sépulture de  « la femme de Pître ». L’arrivée des peuples scandinaves en « Normandie » répond également à un besoin pour ces guerriers devenus colons : trouver de nouvelles terres et de nouvelles ressources. La Normandie conserve d’ailleurs un précieux héritage des colons du Nord avec des toponymes comme « bec » signifiant ruisseau, « beuf » signifiant les abris et « londe » les bois.

Reliquaire capsule provenant de l’abbaye d’Eu, début du XIIIe et XIVe siècle. Bois de chêne, argent doré, filigranes et cristal de roche (quartz), 14,5 x 14,5 cm. Musée des Antiquités, Rouen. Photo personnelle

Innovateurs et curieux

La grande force des « Normands » était leur capacité d’adaptation et leur intérêt pour les produits et techniques locaux. Il n’était pas rare qu’ils réemploient des équipements et des armements trouvés dans les pays qu’ils ont traversés.

Au gré de leurs pérégrinations en Europe et au Moyen Orient, ils ont eu l’intelligence d’intégrer des savoir-faire et des esthétiques exogènes dans leur propre culture, la faisant sans cesse évoluer et permettant leur diffusion dans toute leur aire culturelle. C’est particulièrement visible dans les arts et l’architecture qui regroupent des influences diverses en fonction des lieux et des peuples rencontrés.

Tête de lion provenant d’une fontaine, Sicile, vers 1180.Cristal de roche taillé, 15 x 13,5 cm. Badisches Landesmuseum, Karlsruhe. Photo personnelle

La scénographie principalement chronologique s'accorde quelques point thématiques sur l'art, la religion ou les conquêtes italiennes. Elle est agrémentée de cartes géographiques et de chronologie permettant aux visiteurs de mieux percevoir l'immensité et la durée de l’empreinte Normande sur l'Europe et le Moyen Orient. Quelques boites mystères proposent de toucher des éléments comme du calcaire, du bois, du cuir, etc.

Cette exposition très dense offre un panorama très complet sur les connaissances actuelles des peuples nordiques installés en Normandie depuis plus d’un millénaire. L’exposition répartie en deux lieux : le Musée Beauvoisine et le Musée des Beaux-Arts est la plus complète à ce jour et casse les idées reçues et l’image de barbares sanguinaires et brutaux, sans éluder leur férocité au combat et leur voracité pour les métaux précieux. Presque 1000 ans nous séparent d’eux mais il faut reconnaître que leur épopée et leur riche culture fascinent.

Les photographies sont soit issues du dossier de presse soit prises par mes soins (indiquées)

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