Ma famille afghane : Où est mon libre arbitre ?
23 juil. 2022Présenté en compétition officielle lors du festival international d’animation d’Annecy 2021, le long métrage Ma Famille afghane de Michaela Pavlátová s’est vu décerner le prix du jury.
Basé sur l’ouvrage Freshta de Petra Prochazkova, Ma Famille afghane fait entrer le spectateur dans l’intimité d’une famille afghane relativement progressiste, mais également dans l’ambiance d’un pays en proie au doute dans les années 2000 après l’arrivée des troupes US, après les attentats du 11 septembre 2001.
Perte de repères et nouvelle famille
C’est Helena, jeune étudiante en économie à Prague en rupture familiale et ayant perdu ses repères en Occident, qui sert de narratrice. Véritable intercesseur, l’intégralité du film se déroule de son point de vue et dévoile certaines de ses pensées.
Tout commence lorsqu’elle rencontre Nazir sur les bancs de son université. C’est le coup de foudre et six mois plus tard les deux tourtereaux s’envolent pour l’Afghanistan en vue de se marier. Sur place elle est accueillie dans la maison de son beau-père, un homme chaleureux qui ne regrette absolument pas le départ des talibans contre lesquels il a autrefois combattu. Sa belle-mère et sa belle-sœur lui tendent les bras tout en lui reprochant régulièrement de manquer à ses devoirs d’épouse (faire la cuisine et des enfants).
Devenue Herra après sa conversion et son mariage, la jolie jeune femme blonde aux yeux bleus découvre peu à peu ce que signifie être une femme en Afghanistan, dans l’une des sociétés les plus patriarcales du monde : ne plus sourire, ne plus sortir sans être accompagnée d’un homme de sa famille et couverte intégralement, ne plus s’exprimer librement, ne plus monter dans une voiture ni même parler avec un homme extérieur à sa famille en l’absence de son époux ou de son beau-père, rester cloîtrée avec les femmes et les enfants quand il y a des invités, etc.
Herra ne comprend pas toujours ces règles mais, éprise de son époux et entourée de sa nouvelle famille, elle trouve un équilibre tout en compromis. Elle qui se disait elle-même perdue est finalement soulagée de ne plus avoir à réfléchir par elle-même et trouve la vie relativement simple en suivant les règles même extrêmement strictes.
Elle trouve même un semblant de liberté quand son époux, chauffeur pour les américains, lui trouve une place d’assistante et traductrice dans une clinique gynécologique pour femmes afghanes, ouverte par les occidentaux.
Un monde qui s’écroule
Cependant, son bonheur se fendille peu à peu. Son époux, pourtant progressiste, accepte mal de la voir reprendre certaines habitudes occidentales au contact de sa collègue américaine aux cheveux roses et grande fumeuse. De plus, aucun enfant ne naît de son union, aussi sa belle mère lui propose bientôt que son époux se remarie « juste pour les enfants » ce qu’Herra refuse catégoriquement pour une fois. Maad, un enfant maladif mais à l’esprit particulièrement vif, rejeté par sa famille lui est alors confié pour qu’elle l’adopte. Il devient son rayon de soleil (d'où le titre anglais) et apporte un véritable vent de fraîcheur au récit.
Un nouveau palier est franchi quand la nièce de son époux, une enfant de 12 ans qui ne rêve que d’aller à l’école et faire du skate, fugue pour échapper à un mariage forcé décidé par son père qui la trouve trop libérée à cause de l’influence néfaste d’Herra l’occidentale.
Les événements s’enchaînent alors, détruisant peu à peu la famille et son quotidien tranquille. D’autant qu’en parallèle, les troupes et les humanitaires occidentaux annoncent leur retrait prochain du pays. La tension est palpable, les patientes de la clinique sont terrifiées (ce qui ne semble pas toucher outre mesure Herra) et les attentats meurtriers se multiplient.
Ma Famille afghane ne brille pas par son animation somme toute passable pour un long métrage malgré quelques beaux décors. Cependant, il est intéressant dans le fait d’offrir un point de vue de femme occidentale sur les us et coutumes d’un pays à la culture et aux mœurs bien éloignées. Herra n’est pas le genre de femme libre et indépendante dont sont faites les grandes héroïnes inspirantes. Du fait se son histoire familiale, elle recherche avant tout l’affection de son époux et un cadre familial protecteur, quitte à délaisser son libre arbitre et sa liberté de parole et de circulation. Elle se satisfait de sa condition d’épouse, même si elle reconnaît qu’en tant que femme occidentale elle est particulièrement déconsidérée par les hommes du cru qui l’imaginent en Sharon Stone de Basic Instinct sous sa burqa. Elle est aussi révoltée par l’attitude de son beau-frère vis-à-vis de son épouse et de sa fille, mais se rend rapidement compte qu’elle ne peut rien ou presque.
Ma Famille afghane est donc un film ambivalent qui vaut pour son témoignage dont l’autrice, journaliste connaît particulièrement bien l’Afghanistan. Sa vision sans jugement peut également le rendre appréciable d’un certain point de vue tout comme son expression des différents amours (marital, filial et maternel). Cependant, plusieurs points rendent le film inconfortable tant du point de vue de la chronologie dont seul deux dates sont clairement énoncées : 2001 puis l’annonce du décès en 2011 de Ben Laden. Mais rien dans l’évolution des personnages ne marque le passage du temps. Ainsi, les enfants semblent grandir à un rythme très très lent ! Ensuite et surtout, le personnage d’Helena/Herra, beaucoup trop lisse qui fait concession sur concession et ne s’affirme jamais, même quand la situation devient dramatique, offrant au spectateur une leçon de relativisme assez malaisant sur fond de « oui mais c’est une autre culture ». Herra a délibérément choisi cette vie et cette condition, même s’il est fort probable qu’elle ne s’attendait pas à ça, mais contrairement à sa collègue américaine, ne semble pas s’émouvoir du sort des femmes et des petites filles qui ne sont pas de sa famille. Un film qui aurait pu offrir un puissant propos féministe et progressif avec un regard précis et distancié mais sans à-priori sur la culture afghane se retrouve donc englué dans un certain immobilisme où le spectateur regarde une femme qui choisit de devenir spectatrice de sa propre vie…
Titre original : My Sunny Maad
Réalisation : Michaela Pavlátová
Animation : Gao Shan Pictures, Alkai
Genre : Biographie, tranche de vie
Durée : 80 minutes
Dates de sortie : 27 avril 2022