My Favorite War de Ilze Burkovska-Jacobsen est un film documentaire d’animation mêlant habilement souvenirs de jeunesse, images d’archives et extraits d’entretiens filmés. Ce film à l’esthétique singulière sort sur les écrans hexagonaux le 20 avril et trouve une résonance toute particulière avec l’actualité russo-ukrainienne.

My Favorite War
My Favorite War Affiche

Ilze Burkovska-Jacobsen a grandi dans la Lettonie des années 1970-1980, dans une fermette entre son père membre du parti communiste et son grand-père désigné comme dissident politique. Peu après son départ pour la ville, son père décède alors qu’elle a sept ans. C’est le début d’une période difficile pour la famille et plus particulièrement pour sa mère qui doit faire des concessions. Tout comme son père, Ilze aspire à devenir journaliste et embrasse totalement l’idéologie du parti dans le but d’aider son prochain et d’accomplir son rêve. Elle intègre les pionniers des jeunesses socialistes, participe aux actions sociales et publie des articles. Mais voilà, à mesure que passent les années, le vernis se fendille.

My Favorite War
Ilze

Cœur rouge ? 

Dans ce petit pays situé de l’autre côté du rideau de fer le système communiste bat son plein, en particulier grâce à une propagande d’une efficacité redoutable. Entre parole officielle, non-dits, secrets et histoire écrasante de la seconde Guerre Mondiale, la petite fille est imprégnée dès le plus jeune âge par les idéaux du régime qui prône l’égalitarisme, la solidarité et se pare des glorieux oripeaux de la seconde Guerre Mondiale où l’armée de l’URSS a chassé les Nazis. Ilze est fascinée par la seconde Guerre Mondiale dont se gargarise le régime en place mais dont les adultes ont un tout autre souvenir. Ce récit guerrier fondateur pousse la fillette et ses camarades à suivre fièrement la doctrine officielle dans un pays en pleine guerre froide. D’ailleurs, si la menace d’une invasion par les USA est régulièrement évoquée par les médias de l’époque, pour la petite fille, les G.I. ressemblent et parlent comme des allemands.

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Ilze et sa meilleur amie lors de la rentrée scolaire

Prise de conscience

Si son destin semble tout tracé, Ilze se rend bien compte que quelque chose cloche. Que ce soit dans la vie de tous les jours, jusque dans les magasins ou dans le regard des adultes, le bonheur n’est pas présent. Pourtant un vieux dicton dit « heureux ceux qui n’ont pas à faire de choix ». Et c’est bien là que le bât blesse. Si son défunt père était un membre du puissant partit communiste, sa mère était fille de dissident politique et a longtemps souffert de brimades à ce sujet. D’ailleurs, Ilze adore sont grand-père dont les seuls torts étaient d’être propriétaire de sa fermette et d’aimer peindre des sujets populaires bien loin de l’art officiel. Les discussions avec sa meilleure amie et divers événements changent peu à peu son point de vue.

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Ilze et ses parents quittant la ferme

Tout en suivant scrupuleusement la voie du socialisme militant, la jeune fille commence à aiguiser son esprit critique et à se poser des questions. Comme son grand-père lui avait un jour demandé : « veux tu être un radis, rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur ou une tomate entièrement rouge ? » peu à peu, elle comprend les fausses utopies, la dérive du pouvoir, la ségrégation. Le doute s’installe et fendille ses certitudes d’enfance. J’ai bien aimé la (dé-)construction du personnage d’Ilze qui évite la facilité d’une vie toute tracée et ose affirmer ses choix. Sa première rébellion à l’adolescence contre l’enseignement du tir est à l’image de son époque et des mutations induites par la perestroïka. 

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Ilze et son père à la ferme

Servi par une animation singulière (que tout le monde ne va pas apprécier) faite de grisaille avec des touches de rouge et de bleu clair et la rigidité inhérente à la technique d’animation de pantins sur After Effects, ce choix de technique d’animation peut se comprendre par sa relative simple mise en œuvre mais également pour montrer comment la population était réduite à l’état de pantins. Le norvégien Svein Nyhus, auteur et illustrateur de livres pour enfants, est l’artiste conceptuel du film alors que l’artiste lettone Laima Puntule s’est occupée de la réalisation des arrière-plans.

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La famille d'Ilze dans la barque du communisme

Le choix de l’animation par Ilze Burkovska-Jacobsen répond à une contrainte technique. En effet, la réalisatrice de documentaires n’est pas parvenue à trouver des sources suffisamment fiables tant les documents d’époque étaient déjà manipulés et ne correspondaient pas à la réalité.

Dans la Lettonie des années 1970-1980, l’État décidait de tout tout en faisant croire aux populations que c’était leur choix. Ainsi, un film comme My Favorite War, même s’il n’est pas exempt de défauts très minimes, est surtout intéressant par la démonstration de la construction d’un regard critique et de l’éveil d’une conscience politique, deux éléments qui font de plus en plus cruellement défaut à une partie de la population. Cette perte de conscience politique et de recul critique est un terreau fertile pour le populisme et, dans une certaine mesure, la propagation de fausses informations. En faisant primer le sentimental sur le rationnel chacun est amené à faire des choix qu’il ne ferait pas avec un peu de recul. Pour ma part, je trouve que ce film devrait être montré aux adolescents et aux jeunes adultes pour éveiller leur sens politique et leur esprit critique. Montrer que les choses ne sont pas toutes noires ou toutes blanches et que choisir c’est réfléchir et assumer. C’est à la fois une chance et une responsabilité. Aussi ai-je trouvé le film particulièrement intelligent dans son propos et sa mise en scène. Bien entendu, ce n’est pas vraiment un film pour les enfants.

Sortie nationale le 20/04/2022

Genre : Animation, documentaire

Réalisé par Ilze Burkovska Jacobsen

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