ISRAEL & ISRAEL du 24 au 26 octobre 2019 à la Maison de la Culture du Japon à Paris
02 nov. 2019Alors que la biennale Nemo bat son plein avec pour épicentre le 104 à Paris, la Maison de la Culture du Japon à Paris propose un spectacle original de danse entre le célèbre danseur de flamenco Israel Galván et une intelligence artificielle conçue par Nao Tokui, ingénieur en intelligence artificielle au YCAM et son équipe.
Un projet inédit en France
Présenté pour la première fois en France, ISRAEL & ISRAEL est un spectacle surprenant où l’Homme et la machine, reflet du danseur, dialoguent sans cesse au travers, pour l’un, de sa technique résolument moderne de flamenco et pour l’autre, de petits objets du quotidien détournés et animés.
“Fascinés par le danseur, ils [les ingénieurs du YCAM] ont tenté d’enseigner son langage unique à une intelligence artificielle. Grâce à des provocations sonores et des capteurs de vibrations incrustés dans les bottes de l’artiste, ils ont conçu de petits dispositifs bavards et réactifs qui deviennent pour Galván un nouveau partenaire de jeu. Un premier pas qui sera peut-être l’amorce d’une escalade…”
Fruit de longs mois de travail où Israel a dansé plusieurs heures par jour avec des capteurs sur ses chaussures, les ingénieurs en intelligence artificielle ont récolté des milliers de données qu’ils ont analysé et utilisé pour créer un modèle flamenco avec ses variations, ses ruptures brutales, sa force, sa fougue et sa douceur. L’intelligence artificielle a ainsi appris le flamenco et surtout à s’adapter au danseur, à lui répondre. L’intelligence artificielle est devenue le miroir du danseur, son double impalpable et pourtant bavard. Presque une extension de lui-même.
Les différents élans du dialogue entre Israel et son double numérique
Grâce à cette adaptabilité de l’intelligence artificielle, le spectacle est toujours différent, et l’artiste peut improviser, jouer avec le public et avec son partenaire. La danse est sensuelle (dans le sens qu’elle fait appel à une variété de sens et de matériaux), rythmique dans ses ruptures et ses envolées, et parfois humoristique dans le jeu qui s’installe entre les deux Israel.
Israel parle ainsi de cette expérience et explique sa vision du projet :
« Chaque fois que je commence une pièce, je pars de zéro, je veux être un autre danseur qui aspire à changer son corps et son esprit.
Ce projet m’a donné l’opportunité de partager avec des personnes qui ne sont pas des artistes — ni musiciens ni danseurs —, ce sont des scientifiques, ceci, pour moi, est fondamental pour être à même de créer quelque chose de nouveau. Ces personnes ont un autre œil. Et elles sont comme des maîtres pour moi.
Les nouvelles technologies m’ont fait découvrir les vibrations du zapateado, des sons nouveaux qui sortent de mes bottes, comme si j’avais huit pieds, je deviens conscient que je dispose de nouveaux sons, cela me coupe en deux, danser avec la moitié de mon corps la percussion musicale que produit l’autre, le compagnon créé par l’intelligence artificielle.
Le plus intéressant et le plus dangereux dans ce projet, c’est qu’en dansant avec cette entité créée par l’intelligence artificielle, je lui voue du respect, je ne la vois pas comme une machine. La scène est une frontière magique, quand on la traverse, c’est un autre monde, une autre dimension. Dans mes précédentes créations, j’ai parfois dansé avec des objets comme si c’était un pas-de-deux, mais cette entité-là, je ne la vois pas comme un objet, elle me procure la sensation d’être accompagné quand je danse en scène. Le plus curieux, c’est que j’ai même ressenti de la jalousie envers elle, elle touche mes émotions et mon égo, elle m’écoute et me répond, parfois doucement, parfois durement, c’est une conversation et en même temps une lutte avec un autre moi. »
Israel Galván
Durant 45 minutes, le spectacle monte en puissance. Israel débute seul, pour laisser le temps à son partenaire de se préparer. Puis, peu à peu le dialogue s’installe, les objets s’animent. Parfois complices, parfois duellistes, l’échange s’intensifie jusqu’à un paroxysme où toute la scène s’anime.
On remarque dans ce projet une certaine recherche de perfection d’Israel, de sa propre perfection où un autre danseur n’a pas vraiment sa place. Une peur de l’incertitude mais une recherche de rupture, une recherche de nouveauté et de renouvellement. C’est un dialogue avec lui-même qui parvient parfois à le surprendre, à l’émerveiller, voire à le rendre un peu jaloux. L’infatigable machine, une fois lancée peut répondre sans cesse, sans se fatiguer poussant le danseur toujours plus loin.
De ce dialogue différent chaque soir émane l’impermanence du spectacle. Ici la perfection n’est pas atteinte dans une répétition incessante et immuable des mêmes gestes, mais au contraire dans les réponses de chacun. Le spectacle est assez déconcertant et pose en filigrane certaines questions
Qu’est-ce qu’une machine comprend à la danse ?
Et qui plus est, à la modernité flamenca d’Israel Galván, toute en ruptures imprévisibles et en inspirations subites ?
À trop s’humaniser, la machine va-t-elle finir par avoir la peau du danseur, comme Hal dans 2001 l’Odyssée de l’espace ?
Finira-t-elle, triomphante, par danser à sa place, par un prodige de l’évolution numérique, sans jamais connaître ni l’épuisement ni la faille ?
Je pense que l’on en est pas encore là, car la machine, si elle dialogue déjà, n’est pas capable de “créer” sans la stimulation humaine. D’autre part, ce qui fait l’humanité, c’est aussi l’incertitude et l’imperfection, et là, une machine, rationnelle par essence, peut-elle en être capable…