Le Mur et l'Espace : Séismes dans la tapisserie aux Biennales internationales de Lausanne 1962-1969 - du 28 Juin au 06 Octobre 2019

Jusqu’au 6 octobre 2019, le centre Jean-Lurçat à Aubusson accueille une exposition de grande qualité sur les premières années de la fameuse et regrettée Biennale internationale de Lausanne consacrée à la tapisserie qui a révolutionné la vision sur cet art dès les années 1960. 

Une succession de séismes

“Conçues par Pierre Pauli, son épouse Alice et Jean Lurçat, alors à l’apogée de sa renommée, ces manifestations internationales avaient pour but de présenter l’actualité de la tapisserie murale.” Dès sa première édition, la biennale de Lausanne marque les esprits avec l’exposition de pièces impressionnantes, dont certaines en 3D, qui sortent du mur. Les lissiers français, sûrs de leur réputation, sont bousculés par ces nouveaux venus. Les éditions suivantes proposent des tapisseries en 3D totalement isolées du mur comme Colonne en couleurs qui chantent d’Elsi Giauque, la broderie est également acceptée, au grand dam des lissiers. 
Les artistes d’Europe de l’Est ont également fait sensation avec leurs œuvres jamais vues, comme Magdalena Abakanowicz avec Compositions de formes blanches. 

Ces biennales ont secoué le monde de la tapisserie d’art. De nombreuses femmes sont mises en avant avec des œuvres puissantes qui tranchent avec les habitudes. “Les artistes femmes devinrent majoritaires dès 1967 aux Biennales de Lausanne et le restèrent, jusqu’à aujourd’hui encore, dans le mouvement du Fiber Art”.

L’artiste et l’artisan

Parmi les autres débats qui ont émergé lors des premières biennales, il y a eu celui concernant la séparation entre l’artiste qui crée le carton et l'exécutant “le créateur du projet face au détenteur du savoir-faire”. Dans les grandes manufactures françaises, il y a un artiste pour créer un carton et un artisan lissier, au contraire de nombreux artistes, femmes et hommes originaires d’autres pays, qui sont à la fois le créateur et l'exécutant, parfois dans des conditions très désagréables, après le travail ou dans une cave, à l’abri des regards. C’est particulièrement vrai pour les femmes qui, moins reconnues dans les domaines de l’art, ont moins accès aux ateliers de lissiers, comme Magdalena Abakanowicz au début de sa carrière, ou Maureen Hodge qui a tissé Bois d’Hiver chez elle, sur un cadre artisanal.

Certaines pièces, comme Abakan Rouge de Magdalena Abakanowicz, surprennent par leurs dimensions, leurs formes et surtout leur force d’expressivité. Cette oeuvre exprime toute la féminité de son autrice. Bien qu’abstraite, elle permet de projeter les réflexions du spectateur. Ainsi, certains y ont vu un bucrane, mais nombreux sont ceux qui s’accordent sur le sens de l’oeuvre qui représenterait l’intimité féminine, rouge sang, avec ses blessures et ses replis, mais glorieuse. Un oeuvre si puissante que l’artiste ne s’en est jamais séparée et qui éclipse presque les autres œuvres situées dans la même salle.  

Une réunion de pièces emblématiques

Ces œuvres, plus ou moins impressionnantes, mais toutes de grande qualité, dispersées dans les plus grands musées d’art contemporains du monde, sont réunies pour la première fois. 
La scénographie s’appuie, tant que faire se peut, sur les photographies anciennes. Les espaces sont très différents puisque les biennales se tenaient au Palais des Beaux-Arts de Lausanne. 

Pour ma part, je connaissais surtout la tapisserie médiévale et un peu jusqu’au XVIIIe siècle de par mes études. Aussi, ai-je été très surprise par cette exposition. Certaines pièces m’ont laissée dubitative alors que d’autres m’ont causé un véritable choc esthétique, voire sensoriel. 
Comme l’exposition Mini art textile, cette exposition prouve, s’il en était encore besoin, que l’art textile n’est pas mièvre ou à bout de souffle, mais au contraire, vivant, vibrant et inventif.