L’Hôtel Sabatier d’Espeyran, annexe du Musée Fabre de Montpellier consacré aux arts décoratifs, accueille jusqu’au 17 septembre 2023 une exposition monographique consacrée à Valentine Schlegel, femme libre et artiste précurseuse de la seconde moitié du XX siècle.

Costume du soldat Percy Hotspur, Henri IV, 1953, peinture sur tissu et Costume du roi dans Richard II, interprété par Jean Vilar, 1947, peinture sur tissu, fonds Association Jean Vilar - maison Jean Vilar Avignon

Les mains dans la matière

Née à Sète en 1925, Valentine Schlegel jouit d’une enfance active et pratique de nombreux sports avec ses deux sœurs. Très jeune, elle rencontre Agnès Varda qui deviendra une de ses meilleures amies. Elle se forme à l’école des Beaux-Arts de Montpellier où elle participe à toutes sortes de projets, jusqu’à devenir costumière et décoratrice pour le tout jeune festival d’Avignon initié par son beau-frère Jean Vilar en 1947. Elle y fait la connaissance de nombreux artistes comme Gérard Philippe, Jeanne Moreau ou Sylvia Monfort qui deviendront ses amis et soutiens pour le reste de son activité. Elle entame une carrière de céramiste où elle connaît ses premiers succès dès les années 1950.

Gauche : Vase, vers 1955, terre cuite, collection personnelle de Rosalie Varda // Centre : Vase-arbre, vers 1960, faïence, Sèvre, Manufacture et Musée nationaux, Inv. MNC 26507 // Droite : Vase L'Arbre vert, 1955, terre cuite émaillée, Paris, Musée des Artsdécoratifs inv. 2008.56.75

Elle conçoit principalement des vases et des coupes en céramique chamottée (avec des petits grains pour mieux accrocher la matière) qu’elle monte généralement au colombin, même si elle s’est également essayée au tour de potier. Elle apprécie beaucoup le contact avec les matériaux. La terre pour sa plasticité, le plâtre pour sa résistance et sa facilité de préparation et d’utilisation.  

Bouteille femme, 1960

Les renouveaux de la céramique et du design.

Elle propose alors des formes organiques, glaçurées ou non, qui tranchent avec les productions jusqu’alors proposées. Elle réalise également de la vaisselle de table et des pichets « escargot » très stylisés évoquant pour certains observateurs (mais pas moi) un phallus turgescent. Elle expose à Paris où elle trouve un premier succès d’estime, mais malheureusement les ventes ne suivent pas vraiment. Pourtant la période est propice avec l’intérêt pour la céramique par des artistes aussi reconnus que Picasso (qui lui, pour le coup, ne se prive pas dans les évocations sexuelles). Dans les années 1960, Valentine et sa sœur Andrée Schlegel collaborent également autour de plusieurs céramiques anthropomorphes. La forme est réalisée par Valentine et Andrée s’occupe de la peinture.

Maquettes de cheminées en plâtre, échelle 1/10e : Paris, 1973, Paris, CNAP

Mais c’est au tournant des années 1970 que Valentine révolutionne le design avec l’invention de ses cheminées sculptures. Autour du foyer mis à nu, Valentine et ses assistants réalisent des cheminées monumentales, à la fois design et rupestres, intégrant étagères et bancs. Décoratives et fonctionnelles, ces cheminées deviennent les pièces centrales des pièces qu’elles habitent et illustrent parfaitement le goût de leur époque pour des formes hybrides, fluides et fonctionnelles. La côte de l'artiste monte en flèche et les projets s'enchaînent jusqu’à la fastidieuse réalisation d’un hall d’entrée d’immeuble qu’elle qualifie à postériori de son chantier le plus pénible.

gauche : Valentine Schlegel avec un vase en terre façonnée au colombin, faïence chamottée, émail, mars 1955, Photographie Agnès Varda, Tirage argentique posthume 1923, collection succession Agnès Varda // Haut : Deux enfants dans le salon de l'artiste, rue Bezout, Paris, vers 1959, photographie d'Agnès Varda, Tirage argentique posthume 1923, collection succession Agnès Varda // Bas : Valentine Schlegel dans son atelier, Paris, mars 1955 Photographie Agnès Varda, Tirage argentique posthume 1923, collection succession Agnès Varda

Un travail très documenté

Outre sa créativité, ce qui est intéressant c’est de suivre l’évolution du travail de Valentine Schlegel grâce à la riche documentation qu’elle a laissée. Photographies par Agnès Varda puis pas sa propre sœur, croquis et surtout maquettes au 1/10 de cheminées.

Ces maquettes et ces photographies sont particulièrement importantes en ce qui concerne les cheminées car certaines ont malheureusement été détruites.

Valentine Schlegel a aussi donné plusieurs interviews filmées où elle semble plus réciter un texte que s’exprimer spontanément. Preuve qu’elle veut maîtriser sa communication, ce qui est également très moderne.

Cette petite exposition permet de mettre en lumière une artiste visionnaire de la seconde moitié du XXe siècle qui mérite amplement la reconnaissance du public. De plus, elle prend place dans le ravissant hôtel Sabatier d’Espeyran. Cet ancien hôtel particulier, conçu autour d’un monumental escalier central typique du sud de la France, appartenait à une famille de riches négociants. Les salles rouges et vertes du premier étage conservent tout leur lustre et montre les goûts très démonstratifs mais harmonieux de cette riche famille bourgeoise conservatrice. La décoration ne laisse aucun doute sur leur attachement à la monarchie.

Toutes les photographies sont réalisées par mes soins. Merci de ne pas les réutiliser sans mon accord ou sans citer le blog.

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