Les saisons d'Ohgishima tome 1 : Le temps de l’innocence
26 mars 2023Kan Takahama, à qui l’on doit le fameux one shot Le Dernier Envol du papillon et la série La Lanterne de Nyx, revient chez Glénat avec Les saisons d’Ohgishima, une mini-série en quatre tomes qui conclut sa trilogie de Nagasaki.
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Tamao a bien grandi depuis Le Dernier envol du papillon. La jeune apprentie a maintenant 14 ans et a été confiée à une autre courtisane, la délicate Sakunosuke qu’elle doit accompagner sur Dejima avec madame Taki comme duègne. Sur place, la jeune fille retrouve des visages connus mais fait également de nombreuses connaissances. Sous ses airs un peu niais, elle sent que son enfance va bientôt se terminer pour un destin de courtisane cloîtrée.
Une enfant innocente
Tamao est née dans le quartier réservé et n’a jamais connu ses parents. Confiée à la maison Chikugo, elle a grandi sans rien connaître d’autre que les maisons closes et la valse des clients. Après le départ pour cause de maladie de la fameuse Kicho, Oiran (courtisane du plus haut rang) aguerrie aussi belle que raffinée, Tamao est confiée à Sakunosuke, une courtisane de rang intermédiaire beaucoup moins assurée que Kicho. La maison Chikugo ne fonde pas de grands espoirs sur Tamao qui, non seulement reste petite et peu développée pour son âge, mais dont les paroles étranges la font parfois passer pour un peu lente mentalement.
Seulement, Tamao sait très bien quel destin l’attend et auquel elle ne peut échapper. Alors, elle profite de chaque instant avec une candeur qui frappe tous ceux qui l’entourent, s'émerveille des saisons, des fleurs, des oiseaux. Très observatrice, elle n’est pas avare en questions. Elle met du cœur à l’ouvrage dans son travail et reste très attachée à Kicho. Le contraste entre son apparente joie et certains de ses propos frappe ses interlocuteurs.
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Dejima l’internationale
Elle qui connaît déjà Dejima, l’île où le shogunat confine les occidentaux à Nagasaki, est ravie d’y retrouver le docteur Thorn qui éprouve pour la jeune fille une affection presque paternelle. Sur place, elle fait aussi la rencontre du jeune Victor, un adolescent français venu vivre avec son père et qui ne se sent pas à son aise sur cette île un peu étrange. Elle fait également la rencontre de Ganji, le cuisinier japonais au grand secret du consulat hollandais.
A Dejima, les occidentaux peuvent habiter et commercer via des autorisations officielles. Il y a des magasins et des entrepôts parfois très grands qui permettent de faire venir de la marchandise d’Occident et d’exporter de la marchandise japonaise très en vogue. C’est un lieu véritablement cosmopolite où Tamao semble véritablement s’épanouir.
Les femmes occidentales étant interdites sur l’île (voir l’histoire de Titia), ces messieurs esseulés ont recours aux courtisanes du quartier réservé qui restent à leur côté aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Dans ces conditions, plusieurs enfants métis sont nés. Si, dans les premiers temps, leur destin était peu enviable, vers la fin de la période d'Edo ils pouvaient être autorisés à quitter le Japon avec leur père et parfois leur mère si ce n’était pas une courtisane ou si sa dette était réglée.
Dejima ne servait pas que d’interface commerciale, des connaissances et des techniques médicinales mais aussi mécaniques et industrielles étaient ainsi apportées au Japon.
La vie de courtisane
La vie d’une courtisane était peu enviable. Vendue dès l’enfance (à partir de six ans quand elle venait de l’extérieur) à des maisons closes au prestige divers, elle passait son enfance à servir ses “grandes sœurs” et à apprendre d’elles les usages en vigueur. Les enfants plus prometteuses, que ce soit par leur esprit ou leur beauté, pouvaient bénéficier d’une éducation soignée ; chant, danse, poésie, au même titre que les geisha (qui ne sont pas des courtisanes mais des dames de compagnie). Les futures courtisanes étaient mises “à l’étalage” derrière la devanture grillagée des maisons à partir de 16 ans afin que les clients puissent admirer leur beauté à peine éclose. Vers 17 ou 18 ans, elles devaient commencer à prendre des clients. Charge à elles de se trouver des clients réguliers et de riches protecteurs. Elles doivent en effet gagner de l’argent pour rembourser leurs dettes à la maison close : prix d’achat, logement, nourriture, vêtements, soins, éducation jusqu’à leur entrée sur le marché. Si elles trouvent un riche client prêt à rembourser leur dette ou si elles ont suffisamment épargné, elles peuvent quitter la maison close. C’est ce qui aurait dû arriver à Sakunosuke, mais son amant s’est sauvé avec une autre, d’où la double peine de la jeune femme de voir son amour s’envoler comme ses espoirs de liberté. Une fois que la courtisane a remboursé sa dette, si elle n’a plus de famille, elle peut rester travailler à son compte pour la maison qui l'abrite contre un loyer. Et quand elle est trop âgée, elle reste en tant qu’intendante et chaperon pour les autres filles, c’est le cas de Taki dont l’histoire est racontée dans Le Dernier envol du papillon.
Graphiquement le titre est très beau avec un grand soin apporté à chaque planche. Tamao est toujours aussi mignonne et Taki désabusée. Sakunosuke n’a pas la prestance de Kicho mais il émane d’elle une douceur et une nostalgie un peu lasse. Tous les personnages sont biens campés et expressifs. Les décors sont bien représentés et détaillés. On sent que l’autrice s’est bien documentée sur Dejima.
Il est plaisant de retrouver Tamao et l’île de Dejima dans Les Saisons d’Ohgishima. Kan Takahama aborde avec mélancolie la vie de ces femmes sacrifiées au bon plaisir masculin. Victimes de traite d’êtres humains puis d’escalvage sexuel, elles tentent de survivre du mieux qu’elles peuvent et parviennent à capter quelques moments de quiétude et de bonheur malgré leur situation. La pudeur dont fait preuve l’autrice évite de choquer ou de tomber dans le pathos mais n'élude pas la réalité. Elle porte un regard féminin mais sans colère sur la situation de ses héroïnes.
Avec ses nombreux personnages, Kan Takahama aborde de manière naturelle de nombreux sujets avec précision, faisant du titre une plaisante leçon d’histoire.
Titre VO: 扇島歳時記
Titre traduit: Oogishima Saijiki
Dessin :: TAKAHAMA Kan
Scénario :: TAKAHAMA Kan
Editeur VF: Glénat
Collection: Seinen
Type: Seinen
Genre: Historique, Tranche-de-vie
Editeur VO: Leed
Date de publication: 26 Octobre 2022
Illustration: 224 pages n&b + couleurs
Origine: Japon - 2019
Code EAN: 9782344053843
Code prix: GL26 soit 10€95