Estampes, kimono, jouets, paravents parés d’or et objets du quotidien s’exposent à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) jusqu’au 21 janvier 2023 pour montrer l’ambivalence des relations entre les japonais et les animaux domestiques, de somme, sacrés, sauvages ou encore exotiques à l’époque d’Edo. Il s’agit de la troisième exposition en collaboration avec le Musée d’Edo-Tokyo actuellement fermé pour travaux au Japon.

Des animaux partout jusque dans les villes

Au Japon, pays où le lien avec la nature est particulièrement fort pour des raisons culturelles et religieuses, les animaux tiennent une place à part au cœur même des villes. Une relation tellement naturelle qu’elle a marqué les observateurs étrangers venus au XIXe siècle découvrir le “Pays d’or”. En effet, chiens et chats errants déambulent librement et se prélassent dans les rues sans que les passants ne les chassent, plus encore ils les nourrissent, leur parlent respectueusement, les évitent soigneusement en marchant.  

Coutumes et bonheurs de l’Est : Les souris de la prospérité Yôshû Chikanobu, 1890 collection du Edo-Tokyo Museum

Par surcroît, dans les maisons de marchands, les souris, considérées comme les messagères du dieu de la richesse Daikokuten, sont nourries et élevées. Il est de bon augure d’en voir au nouvel an puisque cela signifie que l’année à venir sera prospère.

Paravent du concours de chants de cailles Anonyme, fin de l’époque Edo - seconde moitié du XVIIIe siècle (1751-1799) collection du Edo-Tokyo Museum

Les animaux domestiques

Mais les japonais de l’époque apprécient également les animaux de compagnie. Cette pratique, favorisée par la longue période de paix instaurée par les Tokugawa prend plusieurs formes. Les chats et les chiens sont les plus nombreux aux côtés des humains dans les maisons. La cohabitation entre chats et souris dans les maisons de commerçants ne devait d’ailleurs pas être des plus paisibles. Les lapins connaissent également un fort attrait dans la seconde partie de la période. A leurs côtés, les oiseaux comme les canaris sont également très prisés. Plus étonnant, le public se pressait nombreux aux concours de chant de cailles. Les compétiteurs apportent une caille mâle qu’ils avaient élevée. Un des organisateurs approche de chaque cage richement ornée une femelle. Les mâles se mettent à chanter. Le jury désignait alors un vainqueur.

(Détail) Cortège solennel des seigneurs lors du nouvel an (détail) Kobayashi Kiyochika, 1880 collection du Edo-Tokyo Museum

Le cas à part du cheval et les animaux de labeur

Monture des dieux, le cheval a longtemps eu une aura sacrée au Japon. Les chevaux étaient entretenus par les seigneurs pour la guerre. Parfaitement dressés, les chevaux servaient également lors de démonstrations militaires (archerie montée, course, etc.) ou lors des défilés seigneuriaux du nouvel an. Malgré la période de paix, le cheval conserve son statut à part bien que les petits seigneurs n’en conservent plus pour la guerre. Et ils ne sont pas consommés.

Interdiction d'abandonner des chevaux, 1688

Le shogun Tsunayoshi a d’ailleurs rédigé une célèbre ordonnance qui punit de mort quiconque abandonne un cheval blessé ou malade, quand bien même cela représente une lourde charge pour son propriétaire. Il n’était alors pas rare de voir les chevaux malades ou inaptes renvoyés par leurs propriétaires dans la province où ils étaient nés

Tokyo : Paysage de Nihonbashi Utagawa Yoshitora, 1870 collection du Edo-Tokyo Museum

A l’époque Meiji, les voitures de passagers tirées par les chevaux sont autorisées dans la capitale. C’est une évolution qui va dans le sens de la modernisation de pays. Cependant, avec la forte densité de population, le moindre emballement d’un cheval peut entraîner de graves accidents. Parallèlement, les courses hippiques se développent à la même époque et deviennent un divertissement prisé.  

Miyazaki Yasusada,Traité complet d'agronomie : introduction générale à l'agriculture, 1697

Avant l’ère Meiji, les japonais consomment très peu de viande de bœuf. Ceux-ci sont surtout élevés pour les travaux agricoles ainsi que pour le transport de marchandises. De même, les autres animaux de la ferme sont peu consommés. Cette pratique change durablement sous l’influence Occidentale. Des campagnes hygiénistes sont organisées pour la promotion de la consommation de bœuf alors en grande partie importé.

(Détail) Paravent des Vues d'Edo (reproduction) Anonyme vers 1634

La chasse

On présente souvent les japonais d’avant l’ère Meiji comme végétariens en raison des prescriptions bouddhiques. C’est un raccourci un peu facile. Les japonais d’alors consommaient du poisson et du gibier. La chasse était autorisée et largement pratiquée par les seigneurs. Biches, cerfs et sangliers, considérés comme nuisibles car ils consommaient une partie des récoltes, étaient chassés et mangés. Il se dit que lors d’une chasse organisée par le shogun près d’Edo, ce ne sont pas moins de 800 cerfs et biches qui ont été abattus.  

(Détail) Paravent des Vues d'Edo (reproduction) Anonyme vers 1634

Le grand paravent des vues d’Edo (anonyme vers 1634) représentant les principaux lieux d’Edo montre également des scènes de chasse et de pêche. La chasse seigneuriale se pratiquait à cheval dans les forêts entourant alors la ville. Il était également possible de chasser des oiseaux dont de nombreuses espèces de canards.

(Détail) Yôshû Chikanobu, Enceinte extérieur du Château de Chiyoda : La prise de la grue, 1897

Il existait également des chasses rituelles. Ainsi, chaque année, le shogun devait chasser lui-même une grue du Japon et l’envoyer à l’empereur pour un repas cérémoniel. Le rouleau Enceinte extérieure du château de Chiyoda (Yôshû Chikanobu 1897) montre une de ces chasses qui se pratiquaient à l’aide d’un rapace. Afin d’avoir toujours des grues à disposition, le shogunat a aménagé une zone naturelle préservée non loin d’Edo. Les paysans qui y vivaient devaient se plier à des règles sur l’agriculture, mais également sur les travaux entrepris sur leur habitation. Dans le cas de réparation du toit par exemple, ils devaient obtenir l’autorisation du shogun avant les travaux.

Utagawa Yoshitomi, Tigre Féroce, 1860

Les animaux exotiques

Enfin, les japonais étaient très friands d’animaux exotiques. Les tigres, souvent représentés sur les estampes et les peintures de lettrés, n’étaient pas présents sur le territoire. Les ambassades diplomatiques de Corée envoyaient régulièrement à la cour shogunale des dépouilles de tigres et de panthères. Mais les animaux restaient inconnus, si bien qu’une croyance répandue faisait de la panthère la femelle du tigre. Il faut attendre les années 1860 pour qu’un véritable tigre vivant arrive dans l’archipel nippon. Un couple de chameaux a également été apporté sur l’île par un bateau hollandais. Les zoos se développent tout comme des salons de thé à thème entourés de grandes volières où vivent des oiseaux exotiques comme le paon.

Vêtement de nuit à motif de paon, ère Meiji

Animaux symboliques

Mais les animaux ont également une forte valeur symbolique. Ainsi les grues et les tortues que l’on trouve en nombre sur les kimono des jeunes mariées sont des symboles de longévité et sont de bon augure pour les futurs époux. Le paon a, de son côté, une fonction apotropaïque puisqu’il est censé éloigner les mauvais esprits du dormeur. De la même façon, pour lutter contre la variole qui faisait des ravages chez les jeunes enfants, il était d’usage de placer à côté d’eux des estampes à l’encre rouge représentant un lapin ou un hibou censés alléger les maux des enfants atteints.

L’exposition retrace ainsi des liens complexes et profonds entre les japonais des époques d’Edo et suivantes et les animaux qui vivent à leurs côtés dans les villes, les campagnes mais aussi dans leur imaginaire. Des liens ambivalents mais qui, bien qu’ayant évolué, ont fortement imprégné la société japonaise et s'y retrouvent toujours aujourd’hui.

Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023  Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023
Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023  Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023
Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023  Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023
Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023  Un bestiaire japonais à la Maison de la Culture du Japon jusqu’au 21 janvier 2023

Commissariat : Shuko Koyama, Tomoko Kawaguchi et Naoko Nishimura, conservatrices au Edo-Tokyo Museum

 

Le parcours d’exposition s’articule autour de plusieurs sections :

Prologue - Les Japonais et les animaux vus par les étrangers

1 - Les animaux d’Edo. À la recherche des animaux représentés dans Les Paravents d’Edo

2 - Les animaux domestiqués

- Les animaux utilisés pour le travail

- Les animaux de compagnie

3 - Les animaux sauvages

- Inventaire de la faune sauvage

- Plaisirs des quatre saisons

4 - Animaux rares. Des attractions de rue aux zoos

5 - Les animaux dans les arts décoratifs

Retour à l'accueil