Ce matin, je fus tiré de mon sommeil par un intense rayon de lumière qui cheminait depuis la petite lucarne du plafond. Je regardais autour de moi, tout était vide, pas un bruit dans l’appartement. Visiblement, mes parents étaient déjà partis travailler au nouveau forage minier. Après avoir pandiculé pendant quelques instants, je me levais et enfilais ma combinaison thermique. La journée promettait d’être magnifique, c’était le jour de ma première mission depuis ma sortie de la haute École des Mines et de la Topographie. Après un petit déjeuner roboratif, j’irai explorer la nouvelle zone à l’ouest des monts Férigéens.

Dans la rue, plusieurs voisins me saluèrent et me souhaitèrent bonne chance. Arrivé devant la maison de mon ancienne nounou, Madame Aiglebord, cette dernière voulut absolument me donner un porte bonheur. Grande exploratrice à la retraite, elle me fit présent d’un petit fragment de cristal vert qu’elle portait en collier depuis toujours. Quand j’étais petit, elle m’avait raconté l’histoire de cet éclat. Elle l’avait découvert flottant dans un glacier à la dérive alors qu’elle était encore toute jeune exploratrice. Après analyse, il s’agissait d’un cristal inconnu, sans qualité particulière si ce n’est qu’il dégageait de la chaleur sans être radioactif. Sa couleur était difficilement descriptible mais envoûtante avec ses dégradés allant du vert d’eau au vert anglais en passant par toutes les nuances possibles. A sa connaissance, aucun autre fragment de ce type n’avait été découvert et l’on en avait conclu qu’il s’agissait des restes d’un ancien météore tombé il y a des milliers d’années sur Fristena. Elle le considérait comme son porte bonheur et je me sentais très honoré de ce cadeau. Après quelques conseils et recommandations, je m’éloignais plein d’assurance. Elle était parvenue à dissiper mon trac. 

Arrivé aux écuries, je retrouvais Pilpine, ma monture au mauvais caractère, mais fidèle et endurante. Souvent grognon à son réveil, elle était aujourd’hui de bonne humeur et ne m’a pas pincé comme à son habitude. Elle aussi devait avoir envie de grands espaces pour se dégourdir les pattes. Pilpine était un animal extraordinaire, il s’agissait d’un croisement génétique entre une autruche et un tardigrade, avec une douce et épaisse fourrure de loutre. Son espèce avait été créée en prévision de la colonisation de Fristena. La planète étant gelée toute l’année et les ressources en nourriture limitées à cette époque, il fallait des animaux robustes et économes en énergie.    

La base avancée des monts Férigéens était située à trois jours de navette. De là, pour rejoindre la zone d’exploration, Pilpine et moi aurons une semaine de marche à flanc de montagne. Bien que la planète soit 14 fois plus grande que la Terre dont étaient issus nos ancêtres, il ne reste déjà presque plus de zones à explorer. Dès le début de la colonisation, les satellites ont scanné la planète en long et en large pour en déterminer les ressources. 973 ans plus tard, les forages miniers sont à leur exploitation maximum, la population est prospère et la paix règne. Bien entendu, nous même, les Fristeniens, avons subi quelques modifications génétiques pour nous permettre de survivre dans cet environnement hostile où la température ne dépasse jamais les -40°C et peut descendre à -202°C pour la pire année. Ainsi, il nous est possible de faire de la photosynthèse, même si maintenant nous préférons la nourriture protonique adaptée aux besoins de chacun. Notre système vasculaire a également été modifié en profondeur. Les artères tourbillonnent vers les muscles alors que les veines longent les os. Cela permet d’éviter les déperditions de chaleur. 

Constitués de granite bleu, les monts Férigéens n’avaient jamais suscité l’intérêt des ingénieurs spatiaux. Ici, point de ressources intéressantes ni de paysages à couper le souffle pour les touristes, rien que des monts tout ce qu’il y a de plus normaux. J’étais un peu déçu à l’annonce de mon lieu de mission, mais bon, il faut bien débuter quelque part. 

Pendant le voyage en navette, je repensais aux récits d’aventures de Madame Aiglebord. J’en suis certain, son collier me portera chance. Un marchand occupait la place à côté de moi. L’homme était grand et massif, en pleine force de l’âge. On voyait qu’il avait pas mal voyagé, même sur d’autres planètes et, en bon commerçant, il avait le verbe haut et aisé. Il me raconta plusieurs de ses voyages. Il revenait d’un laboratoire orbital et rapportait des nano-robots nouvelle génération, capables de produire de la chaleur sans source de lumière. En guise de démonstration, il m’en a injecté une dizaine au bout du doigt, puis plaça ma main dans une boîte entièrement noire et gelée. En quelques instants, mon doigt était redevenu rose alors que les autres avaient bleui. Je remis vite mon gant et les nano-robots se désactivèrent dès la température stabilisée. La fiole complète n’était pas donnée, mais je me suis dit que c’était un investissement pour plus tard.

En sa compagnie, les trois jours passèrent vite et nous nous quittâmes bons amis arrivés à la base. Après une bonne nuit de sommeil et quelques préparatifs, la cheffe de la base me communiqua les relevés topographiques de la zone d'exploration et le rapport sur l’exploration des zones frontalières. Rien à signaler, la mission semblait cousue de fil blanc, une vraie promenade de santé…
 
Sur la neige du mont Férigéen le ciel était dégagé et notre Soleil, une naine blanche, brillait intensément. Pilpine était joyeuse et courait à grande vitesse dans les plaines enneigées. La sensation de grands espaces était grisante. Je voyais enfin cet avenir tant espéré pendant mes études. Ce soir, en arrivant sur zone, j’enverrai un message holographique à mes parents pour leur raconter mon périple.    

Alors que j’explorais la zone de recherches depuis deux jours, j’eu une impression étrange, comme si l’air était plus humide par endroits. En m’approchant d’une crevasse dans le granite bleu, mes capteurs signalèrent quelque chose d'inattendu : la présence d’un lac d’eau souterraine. Ce devait être une erreur, il n’y a pas d’eau liquide à la surface de Fristenia, c’est physiquement impossible. Depuis des siècles, nous pompons l’eau à plus de 15km de profondeur et nous la recyclons sans cesse. 
Pour en avoir le cœur net, je cherchais un passage. Les heures et les jours s’écoulèrent sans trouver la moindre faille où me glisser. Parfois Pilpine semblait nerveuse. La brave bête avait son caractère mais était obéissante. Alors que je commençais à désespérer, une violente tempête éclata sans signe avant-coureur. Pilpine et moi n’avions ni abri, ni point de repère et la nuit allait bientôt tomber. Après avoir creusé un trou dans la neige, elle se mit en boule autour de moi. Là, dans la douce obscurité, sous sa fourrure réconfortante, je m’endormis. 

Je ne sais combien de temps je suis resté assoupi, mais une vive douleur au cou me réveilla. Le cristal était brûlant. Il vibrait à une vitesse incroyable et semblait agir comme une boussole. La tempête faisait toujours rage, mais c’était un signe du destin. Prenant Pilpine par les rênes, j’avançais avec espoir dans la direction indiquée. La morsure du froid m’avait complètement engourdi les membres lorsque j’aperçus une crevasse, que dis-je une véritable grotte apparue comme par enchantement dans le blizzard. J’accélérai le pas, mais Pilpine devenait de plus en plus rétive et refusa catégoriquement d’avancer jusqu’à l’entrée. A contre-cœur et après l’avoir gourmandée, je la laissais sur place avec un traceur et partis explorer la grotte. Elle émit un couinement déchirant que je ne lui avait jamais entendu. Mais je devais avancer pour me mettre à l’abri et peut-être trouver un passage vers le lac. 

Dans la grotte, l’air était très humide, et plus j’avançais, plus le froid devenait cinglant, comme si une force mystérieuse gardait les lieux. Le givre s’accumulait sur ma combinaison et commençait à en gripper les articulations. En l'absence de lumière, mes réserves d'énergie diminuaient rapidement, rendant l’alimentation de mes systèmes incertaine. Alors qu’à l’approche du point de non-retour j’allais faire demi-tour à contre-cœur, je me suis souvenu des nano-robots. Je m’injectais tout le tube et bientôt la chaleur envahit tout mon être, à tel point que le givre commençait à fondre, libérant les articulations de ma combinaison. J’avançais à vive allure, mon pendentif m’indiquait toujours la direction à suivre. 

Au bout d’une interminable marche dans les boyaux souterrains, la température devint de plus en plus douce. En levant les yeux, je le vis enfin, le lac était là, devant moi, et s’étendait à perte de vue. D’un bleu turquoise parfait, ses reflets illuminaient les parois de la grotte. Les capteurs indiquaient une eau parfaitement pure et à la température jamais vue de 20°C, une vraie merveille de la nature. Je restais là, incrédule. Une telle découverte était l’assurance d’une renommée mondiale, peut-être même interplanétaire, tous seraient fiers de moi. 

Alors que je regardais les reflets d’argent sur les parois de la grotte, une question m’a assailli dans cette grotte sombre à plusieurs kilomètres sous terre, d’où venait la lumière qui éclairait le lac ? Il fallait que j’en aie le cœur net, le cristal tournoyait en tous sens et était redevenu brûlant. Soudain, il s’est détaché et a plongé dans l’eau, ridant à peine sa surface. J'hésitais, tiraillé entre la crainte de l’inconnu et la soif de savoir. Qu’allais-je trouver au fond du lac ? un moyen de conserver l’eau liquide sur cette planète gelée ? Peut-être était-ce dangereux de s’en approcher sans l’équipement adéquat? Finalement, après avoir réglé ma combinaison, je sautais dans l’eau. Sans elle, je n’aurais pas tenu deux minutes dans cette eau brûlante. Je voyais le halo lumineux venir du fond du lac. Je nageais dans l’espoir de l'atteindre quand je vis, reposant sur le fond, un grand cristal vert, le même que mon pendentif. Mais celui-ci était énorme, il faisait plusieurs mètres de diamètre et dégageait un éclat incroyable. Les yeux plissés, presque clos, je vis une forme au milieu du cristal. Mes capteurs n’indiquaient aucune présence de vie, pourtant, elle était bien là, immobile, une silhouette féminine dont la beauté me semblait irréelle, dans une sublime lévitation, elle semblait dormir. Depuis combien de temps était-elle là ? Qui était-elle? ou plutôt qu’est-ce qu’elle était ? Sans m’en apercevoir, j’ai touché la surface du cristal. Il s’est mis à vibrer, créant des remous tout autour de moi. Et quand je me suis stabilisé, elle était là, réveillée, juste de l’autre côté de la paroi translucide. Elle me regardait en souriant, mais ses yeux, d’un vert presque noir, semblaient nostalgiques. 

Lorsqu’elle toucha à son tour le cristal, celui-ci vola en éclat et je n’eus que le temps de l’entendre dire “Merci, grâce à toi l’été est revenu sur cette planète”. Alors que tout mon corps bouillonnait, un flash me fit comprendre mon erreur. J’avais réveillé un esprit ancien scellé dans le cristal et la planète allait rapidement se réchauffer, se couvrir de vertes prairies et de fleurs. Tous ses habitants conçus pour le froid allaient mourir, inexorablement. Tous mes capteurs clignotaient, indiquant le danger, ma combinaison n’arrivait plus à maintenir ma température. Tout mon corps me brûlait et mes larmes coulaient sur mes joues, mais pas de douleur ; de dépit. Je repensais à mes proches, leur sourire, leur voix. Je ne savais pas quoi faire pour les sauver et devant mon désarroi, elle me prit dans ses longs bras et m’embrassa le front puis ...
 

Visuels : Pixabay

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