Le Facteur de Nagasaki
12 oct. 2025La maison de la Culture du Japon à Paris réjouit une nouvelle fois les amateurs de culture japonaise avec la présentation, du 9 au 11 octobre, d’une pièce de nô contemporaine : Le Facteur de Nagasaki, adapté du livre The Postman of Nagasaki de Peter Townsend, paru en 1984.
Le 9 août 1945, Taniguchi, alors facteur âgé de seize ans, est grièvement blessé alors qu’il distribue le courrier à vélo. Quarante ans plus tard, Townsend part à sa rencontre et publie en 1984 The Postman of Nagasaki, un témoignage bouleversant sur la résilience et la dignité humaine.
La rencontre de deux mondes
Le Facteur de Nagasaki, présenté à la Maison de la culture du Japon à Paris, est une œuvre singulière dont le livret a été écrit par Shônosuke Ôkura, maître de tambour de hanche (ôtsuzumi) qui repose sur une rencontre réelle : celle de Sumiteru Taniguchi, survivant du bombardement atomique de Nagasaki, et Peter Townsend, ancien pilote britannique de la Royal Air Force.
La pièce transpose cette rencontre dans le langage du théâtre nô, art traditionnel japonais vieux de plusieurs siècles. Sa sobriété, sa lenteur stylisée et sa puissance évocatrice s'inspirent souvent des récits mythiques peuplés de divinités, de démons et d’hommes vils ou vertueux. Mais ici, le nô se modernise : le livret de Shônosuke Ôkura s’inspire d’un fait historique récent et les personnages incarnent des figures contemporaines. Ce dialogue entre passé et présent, Japon et Occident, guerre et réconciliation, donne à la pièce une portée universelle. C’est une rencontre entre deux mondes initialement opposés suivant les points de vues géographiques, culturels, temporels, qui se fait dans la poésie lancinante du nô qui rappelle les chants liturgiques.
Une ode à la paix
Le Facteur de Nagasaki est avant tout une méditation sur la mémoire et la paix. À travers la figure de Taniguchi, le spectacle rend hommage aux hibakusha, les survivants des bombes atomiques, et à leur combat pour un monde sans armes nucléaires. Taniguchi fut l’un des fondateurs de l’organisation Nihon Hidankyo qui milite pour l’abolition des armes atomiques et a reçu le prix Nobel de la paix. La pièce ne cherche pas à reconstituer les horreurs de la guerre mais à en préserver la mémoire pour mieux les transcender. Elle prend la forme d’une prière adressée aux divinités afin qu’une telle horreur ne se reproduise jamais et que les Hommes se rappellent qu’ils sont tous liés.
En tant que pièce de nô moderne, Le Facteur de Nagasaki conserve les codes du genre : musique traditionnelle, chant narratif, gestuelle codifiée, tout en les adaptant à un sujet contemporain. Ce n’est pas un drame historique, mais une œuvre de transmission. Le théâtre nô devient ici un outil de réflexion, un espace de recueillement où l’émotion naît de la retenue et du symbolisme. C’est une forme de théâtre qui ne crie pas mais qui murmure avec force.
Le Facteur de Nagasaki est une œuvre rare mais pas forcément accessible au plus grand nombre. Dans sa forme si éloignée des mises en scènes occidentales, elle surprend et déroute. A la fois ancrée dans la tradition et tournée vers l’avenir, elle nous rappelle que l’art peut être un vecteur de dialogue, de mémoire et de paix. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés. La salle comble a vibré sous les applaudissements à la fin de la représentation (du samedi).
/image%2F0556857%2F20251102%2Fob_137845_image002-1.jpg)
/image%2F0556857%2F20251102%2Fob_e8f27b_image001.jpg)
/image%2F0556857%2F20251102%2Fob_c9f204_image005.jpg)
/image%2F0556857%2F20251102%2Fob_412429_image004.jpg)