La tenture Miyazaki à Aubusson

Après le succès international incontestable de la tenture consacrée aux dessins de Tolkien, la Cité de la tapisserie d'Aubusson se tourne vers un autre monstre sacré de la pop culture pour son nouveau cycle de tapisseries : Hayao Miyazaki.

Cinq tapisseries sont d'ores et déjà programmées : Princesse Mononoke, Le château ambulant, Nausicaä, Le voyage de Chihiro et possiblement une 6e sur Mon Voisin Totoro.

Un projet main dans la main avec Ghibli

Grâce à un heureux concours de circonstances, le projet a rapidement été présenté au studio Ghibli et Miyazaki s’est montré enthousiaste par la rencontre de deux entreprises d'excellence.

L’étape suivante a consisté à sélectionner et valider les visuels, chacun devant incarner la quintessence de l’original tout en se détachant du médium cinématographique et en respectant les contraintes liées au tissage. Ainsi, les tapisseries présentes dans Nausicaä ont rapidement été écartées au profit d’un saisissant panoramique sur les Omu. Pour Princesse Mononoke, le sujet choisi n'est autre qu’Ashitaka soignant sa blessure dans la forêt en compagnie de Yakuru. Le château dans le ciel est gratifié de deux compositions ; la première représentant le château et sa singulière silhouette aviforme et la seconde représente Hauru endormi dans sa chambre, enfin, la cinquième met en avant le face-à-face entre San et le sans visage dans la salle de banquet.

L'excellence d'une technique pluri-centenaire

Afin de parvenir à un résultat qui fasse honneur aux films d'origine, c'est un travail minutieux qui attend chacun des acteurs de cette entreprise audacieuse. Tout commence par la création du carton. Cette étape est déterminante car elle conditionne toute la suite du projet. Il s'agit d'une interprétation fidèle de l'image de base qui est ensuite utilisée par le lissier comme guide dans son travail.

L’étape de la teinture des fils est également primordiale. Chaque fil, selon son peignage ou sa torsion, ne va pas produire le même effet une fois teint. La teinture est une opération délicate réalisée dans un atelier local. Ici, point de cahier de recettes, tout est fait à l'œil grâce à l'expertise de la teinturière en charge de l'atelier. Chaque lot est ainsi unique et ne correspond qu'à une seule œuvre. La personne en charge du carton et celle responsable des teintures travaillent en étroite collaboration lors de cette étape de recherche.

L'étape suivante est le tissage à proprement parler. Après le choix d'un atelier de lissier, le premier tissage a été lancé début 2021 pour une tombée de métier estimée en février 2022 (finalement ce sera fin mars 2022). Cette opération de longue haleine est réalisée par un atelier privé, la cité de la tapisserie d'Aubusson n'ayant pas d'atelier attitré. Composé d'un nombre restreint de personnes, l'atelier réalise le tissage entièrement à la main suivant une technique traditionnelle de la basse lisse. Les fils de chaîne en laine épaisse sont tendus sur un énorme métier à tisser. Le carton est placé sous le fil de trame de manière à être visible. Le tissage dure de longs mois, parfois plus d'une année. La partie réalisée est régulièrement roulée sur un tambour alors que la partie à réaliser est déroulée à son tour. Une fois achevée, la tapisserie est ôtée, c'est ce que l'on appelle communément la tombée de métier.

Retour sur la première tapisserie en cours

La première tapisserie en cours de tissage au moment où j'écris ces lignes est consacrée à Princesse Mononoke. Elle mesure 4 mètres sur 5 mètres et représente le prince Ashitaka dans la forêt. Cette scène particulièrement calme évoque la majesté de la nature qui, rappelons-le, est traditionnellement très présente dans les tapisseries d'Aubusson.

C'est aussi pour faire le lien entre les deux traditions que ce sujet a été lancé en premier. Une attention toute particulière est portée aux nombreux arbres qui occupent la majeure partie de l’espace. Afin de retranscrire au mieux leur écorce, de la laine mate au peignage irrégulier a été choisie. Cela permet également de jouer sur les épaisseurs pour créer du relief. Il n'est d'ailleurs pas rare que les lissiers associent des fils de teinte et de taille différentes afin de mieux accrocher la lumière et d'apporter nuances et vibrations aux aplats. A contrario, le tissage des feuillages est réalisé avec des fils perlés, fins et brillants.

Le résultat final est le fruit d’une double interprétation du cartonnier et du lissier, ce qui rend chaque œuvre unique et qui ainsi exalte le savoir-faire pluri-centenaire de la création de tapisseries à Aubusson.

La tombée de Métier

Après plusieurs mois d'un travail de précision de longue haleine, la tombée de métier de la première tapisserie de la tenture a eu lieu le 25 mars à partir de 14h30.

Elle s'est déroulée en deux temps :

• couper les fils de trame pour libérer la tapisserie de son support de tissage.
• dévoilement au public

Une seconde tapisserie est déjà en cours de tissage à la Manufacture du Four.

La réalisation d'une tenture consacrée aux œuvres phares de Miyazaki a soulevé un véritable enthousiasme au Japon. La NHK est venue tourner un reportage sur place malgré la pandémie et les demandes de retissage affluent non seulement pour le musée Ghibli, mais également de la part d'entreprises et de riches particuliers admirateurs du maître et soucieux de détenir une pièce unique issue d'un des fleurons de l'artisanat d'art français.

MAJ dimanche 3/04/2022