Un conte enfantin pour des adultes d’âge mûr, tel est le paradoxe de Porco Rosso, long métrage bercé d’une douce nostalgie réalisé en 1992 par un Miyazaki virevoltant mais concerné par le monde qui l’entoure.

Ancien as de l’aviation militaire italienne pendant la Première Guerre Mondiale devenu chasseur de primes reconnu, Porco Rosso est un homme solitaire à la face de cochon. Il intervient d'ordinaire face aux pirates des airs qui rançonnent les navires croisant sur la Baltique. Mais voilà que sa petite vie tranquille est perturbée le jour où il est défié par un pilote américain en quête de renommée. Suite à une première escarmouche en sa défaveur, porco doit faire réparer et améliorer son hydravion dans l’atelier d’un de ses vieux amis. C’est là qu’il rencontre la jeune Fio, ingénieure aéronautique pleine de fougue qui pourrait bien changer sa vision de la vie.

Le refus de la guerre et du facisme

Pour la première fois, un film de Miyazaki pour le studio Ghibli est ancré dans une réalité historique et géographique, à savoir la mer Adriatique à la toute fin des années 1920. Ce choix, loin d’être anodin, permet au réalisateur non seulement de présenter de magnifiques hydravions tels ceux construits par son idole de jeunesse Caproni (même s’il n’est pas mentionné ici) évoluant dans de beaux paysages baignés du soleil et des couleurs chatoyantes du monde méditerranéen. Pourtant le bleu du ciel et de la mer, la belle toilette des femmes et les rires des enfants insouciants ne cachent pas une triste réalité : l’Europe, qui se remet à peine de la Grande Guerre, traverse en cette année 1929 une crise économique et sociale sans précédent qui accélère l’arrivée au pouvoir des régimes fascistes, notamment de Mussolini en Italie. Alors que le vert kaki et les chemises brunes menacent de tout recouvrir, le porc rouge refuse toujours de rentrer dans le rang.
En effet, Porco, seul survivant d’un groupe de pilotes ayant combattu pendant la Première Guerre Mondiale, souffre non seulement du syndrome du survivant mais refuse aujourd’hui de tuer. Les horreurs qu’il a traversées lui ont fait perdre foi en l’humanité jusqu’à devenir un cochon anthropomorphe

Porco Rosso est donc, au même titre que les pirates de l’air qu’il combat régulièrement, un marginal qui refuse de suivre le régime et, pour ça, sa vie est menacée par l’armée et la police secrète. Le terme rosso désignant le rouge vif de son avion peut également être perçu comme indiquant qu’il serait un sympathisant communiste, donc d’autant plus opposé au Duce.

L’on retrouve ici le pacifisme cher à Miyazaki, d’autant plus que la réalisation du film est concomitante avec le début de la guerre en ex-Yougoslavie et avec la chute du bloc soviétique, deux événements qui ont profondément marqué le réalisateur, d’un côté par la violence d’une guerre fratricide et de l’autre, par la chute du communisme. En effet, dans sa jeunesse Miyazaki appréciait les idées de Marx mais n’a jamais adhéré aux modèles chinois et soviétiques du communisme qu’il juge dévoyés.
A l’aune de ces informations, l’on comprend mieux la présence lancinante de la chanson Le temps des Cerises interprétée en Français dans le texte dès la scène d’exposition et toujours présente en fond sonore juste avant le générique de fin. Cette chanson d’amour écrite par Jean Baptiste Clément en 1866 a pris une nouvelle tournure après la Commune en 1871 comme l’échec glorieux d’une révolution et fait aujourd’hui partie des chansons associées au répertoire communiste. Le Temps des cerises porte les deux thématiques fortes du film, l'antifascisme et la nostalgie de l’amour.

Femmes et espérances

C’est la belle Gina qui chante Le temps des cerises dès la scène d’ouverture. Cette femme charismatique qui a déjà perdu trois époux aviateurs offre au bar de son hôtel un harvre de paix où pirates, chasseurs de primes et avanturiers peuvent se reposer. Ici point question de politique, c’est encore l’âge d’or de l’aviation qui règne dans une atmosphère de douce nostalgie. Gina, qui papillonne entre les tables, est la seule à encore appeler Porco par son nom d’humain Marco. Eux qui se connaissent depuis l’enfance ont une tendre affection l’un pour l’autre, mais sans jamais oser se l’avouer.

Autre femme d’importance dans le film, Fio la mécanicienne. Elle représente l’espérance et l’impétuosité de la jeunesse qui font maintenant tant défaut à Porco. Elle est comme un tourbillon lumineux qui parvient à s’imposer dans un monde masculin particulièrement machiste. C’est particulièrement vrai face à Porco lors de leur première rencontre, mais rapidement elle parvient à l’éblouir. Fio est assurément le personnage le plus pur de l’histoire. Du haut de ses 17 ans, elle n’a connu ni les affres de la guerre ni ceux d’un amour perdu.

Dans le même ordre d’idée, suite à la crise de 1929 et à l'envoi des hommes sur divers fronts, les femmes assurent des travaux aussi physiques que la menuiserie ou la soudure au sein de l’atelier de Piccolo pour reconstruire l’hydravion de Porco. Courageuses, minutieuses et pleines de joie de vivre, elles créent une ambiance réconfortante et familiale dans ces temps difficiles.

Références variées

Comme toujours, Miyazaki a disséminé de-ci de-là des références. Certaines voyantes comme le nouveau moteur marqué d’un grand ghibli ou encore les diverses marques présentes dans le film (Fiat, Shell) renforçant le sentiment de réalisme.
Mais, comme toujours, ce sont les références moins visibles qui sont les plus intéressantes. Ainsi, Marco Pagot, le nom humain du protagoniste et Gina sont les noms des enfants de Nino Pagot, un animateur italien avec lequel Miyazaki a travaillé sur la série d'animation de Sherlock Holmes.
Certains cinéphiles ont également vu dans Porco Rosso des similitudes avec le film Seuls les anges ont des ailes d’Howard Hawks datant de 1939. Film qui narre les aventures amoureuses contrariées et les rivalités entre pilotes dans une petite compagnie d'aéropostale des Andes.

Si Porco Rosso est au premier abord un film léger et accessible aux enfants, il aborde des thématiques plus profondes qui font mouche chez les adultes. Seul film du réalisateur distingué à Annecy en 1993, il aborde des sujets qui vont mûrir de longues années avant d’aboutir au film Le vent se lève.

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