Le tombeau des lucioles, le vrai visage de la guerre
03 juil. 2021Le Tombeau des lucioles, chef-d'œuvre incontesté et incontestable d’Isao Takahata, n'a pas pris une ride depuis sa sortie en 1988. Ce film de guerre à hauteur d’enfant est à ce point poignant que sa simple évocation suffit parfois à faire monter les larmes.
1945, alors que la Seconde Guerre Mondiale s’éternise sur le front du Pacifique, les bombardements se multiplient sur les villes japonaises, en particulier si elles ont un lien avec l’industrie ou l’armée. C’est ainsi que Kobe est incendiée laissant de nombreux enfants orphelins. Seita, 14 ans, et sa petite sœur Setsuko, 4 ans, ont perdu leur mère dans l’incendie de la ville et sont sans nouvelles de leur père, officier supérieur de la Marine impériale japonaise. Ils sont donc envoyés chez une tante éloignée qui bien vite les méprise et les prive de soins et de nourriture, les considérant comme un fardeau pour sa famille. Les deux enfants s’enfuient alors dans un ancien abri. Là, ils vivent des jours heureux au milieu des lucioles. Mais bientôt la malnutrition affecte la petite fille.
A tous les enfants du monde
Adapté d’une nouvelle semi-autobiographique d’Akiyuki Nosaka qui a, lui aussi, perdu sa petite sœur à la toute fin de la 2nd Guerre Mondiale, ce film particulièrement poignant, à la manière néoréaliste de Rossellini, montre une partie des épreuves auxquelles sont exposés les enfants pendant les guerres, en particulier quand ils sont orphelins. Ainsi, encore de nos jours, les guerres en Syrie, au Soudan, aux Philippines et tellement d’autres hélas qui ne semblent pas prêtes à s'arrêter et dont on n’entend presque jamais parler, voient beaucoup d’enfants mourir faute de nourriture et d’accès aux soins malgré les efforts de l’aide humanitaire. En 1945, le Japon est isolé et presque détruit. Les hommes sont au combat et les femmes et les vieillards tentent de cultiver les terres dans un pays qui manque de tout, en particulier d’essence et d’engrais. Le prix des denrées alimentaires flambe de semaine en semaine et nul ne vient au secours de la population tant le reste du monde est également exsangue.
Seita est un jeune adolescent de 14 ans dont on devine qu’il a vécu dans une certaine insouciance avant la guerre avec sa mère et sa petite sœur née au début du conflit, quand le Japon espérait encore pouvoir gagner la guerre du Pacifique. Suite à la perte de leur mère, Seita fait tout son possible pour égayer la vie de sa petite sœur qu’il adore, ce que leur tante n’hésite pas à lui reprocher. Il tente de la rassurer et de la distraire, mais il est évident que, malgré son très jeune âge, la petite Setsuko se rend compte de bien des choses. Pourtant, elle parvient à s’amuser et s’émerveiller de petits riens, rendant des instants de joie au film.
Au travers de ses deux protagonistes principaux, Le Tombeau des lucioles est un film à la portée universelle, ce qui explique son succès plus de 30 ans après sa sortie.
La guerre sans fard
Ce qui a beaucoup surpris en 1988 lors de sa sortie au cinéma, ce sont les propos particulièrement durs du film. Non seulement il s’agit d’un film d’animation clairement destiné à un public adolescent et adulte, mais là encore, il ne ménage pas le spectateur et regarde en face la mort lente et douloureuse de jeunes enfants sous le regard indifférent de ceux qui les entourent.
Ainsi, Le Tombeau des lucioles tend un miroir aux spectateurs. Car le réalisateur ne juge moralement à aucun moment les adultes et leurs actions qui de nos jours semblent scandaleuses. Takahata semble plutôt poser en creux la question de ce que nous ferions à la place des adultes dans un pays fanatisé et proche de l'effondrement, dans un pays où le pauvre est marginalisé et rejeté ? Après tant d’années de guerres, d’horreurs et de privations, car le Japon mène des guerres d’extensions impérialistes depuis le début du XXe siècle, reste-t-il des larmes à verser et une humanité à sauver. La réponse est assurément oui. Ainsi, le policier montre de l’empathie pour le jeune Seita. La guerre fait ressortir ce qu’il y a de plus mauvais en chacun de nous et assèche les cœurs et les yeux. Nous, spectateurs qui vivons dans un monde en paix, nous versons un torrent de larmes bien méritées devant ce film, nous donnons parfois à des associations humanitaires, mais avons-nous un rejet massif et total des guerres ? Les guerres sont rarement décidées par les peuples, mais ce sont eux qui en payent le prix. Un passage du film montre des jeunes filles de bonne famille riant et écoutant de la musique après une alerte aux bombardements. La guerre ne les atteint pas réellement et ne les prive de rien. Elles ne se préoccupent pas de ces deux orphelins qui survivent non loin, ils ne vivent tout simplement pas dans le même monde.
Un film de guerre dénué de bellicisme
Le Tombeau des lucioles est assurément un film de guerre. Mais ici, point d'héroïsme viril et de patriotisme exacerbé, l’on ne voit pas une seule bataille, mais des bombardements à haute altitude. C’est une guerre impersonnelle où l'ennemi reste d’une certaine manière abstrait pour les protagonistes. Ce film réalisé à hauteur d’enfant n’émet aucune propagande ni jugement. La guerre est montrée pour ce qu’elle est, la mort injuste des innocents. Seita se bat de toutes ses forces non pas pour son pays ni pour l’empereur, mais pour ce qui lui est vraiment cher : Setsuko, sa petite sœur. Sa tante le considère donc comme lâche et égoïste. C’est cette innocence universelle qui marque au fer rouge l’âme du spectateur.
Au moment de sa sortie, il a parfois été reproché au film de ne se concentrer que sur les souffrances du Japon et de ne jamais parler des très nombreuses victimes civiles asiatiques tuées ou asservies dans l’Empire colonial japonais. C’est effectivement le cas, mais le film est tiré, comme nous l’avons déjà vu, d’un roman semi-autobiographique racontant la jeunesse de l’auteur japonais. Il n’avait pour sa part probablement pas idée de ce qui se passait en Chine, en Corée et dans les autres pays où l’armée impériale était positionnée. Peut-on reprocher à un enfant de 14 ans de ne se préoccuper que de son quotidien et de ses proches ? L’auteur et le réalisateur parlent de ce qu’ils connaissent et ont ressenti enfant. Takahata et sa petite sœur ont été séparés pendant deux jours de leurs parents pendant un bombardement à Okayama et, même si sa situation s’est bien terminée, la terreur qu’il a ressenti à ce moment-là était bien réelle. Je suis entièrement d’accord sur la nécessité de montrer ce qui s’est passé pendant les guerres coloniales japonaises, surtout dans le contexte négationniste actuel.
J’ai vu le film pour la première fois alors que j’étais adolescente. J’ignorais tout de Takahata ou de l’aura de ce film mais, près de 15 ans plus tard, je peux affirmer qu’il reste l’un des fils les plus impressionnants que j’ai vu à tous les niveaux. Il a si profondément marqué ma mémoire qu'aujourd'hui encore sa simple évocation provoque une réaction viscérale de tristesse et d’impuissance. L'histoire est infiniment triste mais ne sombre jamais dans le pathos. La narration reste digne et toute en retenue, ce qui est d’autant plus touchant.
Le Tombeau des lucioles, même s’il montre des faits qui se sont produits il y a plus de 75 ans, par sa réalisation quasiment documentaire et ses jeunes protagonistes d’une grande justesse est et restera d’actualité tant que les guerres existeront et que les enfants en souffriront.