Interview Japan expo 2018 de Kalon et Madd Art pour Versus Fighting Story
21 juil. 2018Bonjour Kalon, Bonjour Madd, merci d’accepter de répondre à nos questions au sujet du manga français Versus Fighting Story qui sort aux éditions Glénat.
Katatsumuri no Yume : Le e-sport est un sujet vraiment novateur et il me semble, jamais vu, même au Japon. Pourquoi ce sujet ?
Madd : Izu, le scénariste est fan de jeux vidéo depuis qu’il est tout jeune (Kalon confirme), notamment de jeux de combats. Il a beaucoup fréquenté les salles d'arcades et il connaît plusieurs joueurs d’e-sport. Il est dans le milieu de l’e-sport depuis un petit moment, du coup il doit y avoir bien réfléchi, et comme ça fait aussi un moment qu’il est dans le milieu du manga, ces deux univers ont fini par fusionner.
Kalon : C’est exactement ça, il a voulu mixer ses deux passions : les jeux de baston et le manga.
KNY : Pourquoi choisir les jeux de combats et pas les jeux du type League Of Legend (LoL pour les intimes) ?
Kalon : On est sous licence Street Fighter de chez Capcom. Street Fighter est le premier jeu à avoir lancé le e-sport. Avant les tournois de Street Fighter, le e-sport n’existait pas. Izu est un fan absolu de Street Fighter, il pourrait te faire toute l’historique avec les dates de sortie de chaque opus. Il avait tellement d’anecdotes qu’il était obligé de faire quelque chose. En plus, Street Fighter c’est fédérateur, même ceux qui ne connaissent pas l’univers du jeu vidéo, tout le monde a plus ou moins entendu parler de Street Fighter, il y a eu des adaptations au cinéma, etc.
KNY : Comment ça se passe le travail à trois ? Comment échangez-vous ? Est-ce que vous pouvez apporter vos idées ?
Madd : C’est un échange permanent, le scénariste qui scripte son scénario page par page, il me l’envoie en textuel. Je fais l’agencement des cases et les dessins préliminaires et ensuite je les envoie à Kalon qui fait le véritable dessin et termine les planches. C’est des va et viens car des fois, il faut retoucher le storyboard ou bien il y a des petites embrouilles sur le scénario.
KNY : Comment avez vous trouvé cette manière de représenter l’intensité du e-sport en manga. Passer de quelque chose de très rapide à un dessin statique ?
Kalon : Ça s’y prête bien en fait, dans le shonen et le manga. Dans le manga, on peut accélérer le temps ou le ralentir. On s’est posé la question assez longtemps de savoir comment représenter le fight dans le manga. Est-ce qu’il fallait représenter les personnages dans le jeu, redessiner les personnages. Finalement on a décidé d’être le plus fidèle possible. Donc, on a inséré des Screenshots de phases d’action redessinés. C’est ce qui nous a semblé le plus pertinent.
KNY : Comment s’est formé votre équipe à tous les trois avec Izu ?
Kalon : Guillaume Izu avait déjà entamé ce projet avec un autre dessinateur, un ami commun il y a dix ans, mais il n’était pas sous License. Du coup, il a fallu inventer tout un jeu, ce qui était compliqué, et en plus, le e-sport on en parlait pas il y a 10 ans, c’était très underground. Il y a deux ans, il a reposter des planches sur Facebook en disant qu’il aimerait bien reproposer le projet et, comme on se connait depuis très longtemps, moi je lui ai dit honnêtement si tu veux retenter, je veux bien faire un test, mais comme je travaille à côté et qu’il faut une production assez importante, il faut quelqu’un pour faire le storyboard. Donc Izu est parti à la recherche d’un très bon storyboarder, et la suite c’est Madd qui la raconte.
Madd : ça faisait un petit moment qu’on se suivait mutuellement. Il présente une émission sur J-One, du coup je le connaissait aussi par ce biais. Le milieu du manga est un assez petit milieu [en France] et, comme lui il suivait aussi un peu mon travail, du coup, il m’a proposé de faire les storyboard dessus et j’ai été tout de suite partant. J’aime bien faire les storyboards, ça m'entraîne à la narration et, justement, l’enjeu de créer du dynamisme avec un jeu vidéo, j’ai foncé !
KNY : Comment travaillez-vous chacun ? A l’ordinateur ? A la main ?
Madd : Je n’utilise que l’ordinateur, j’ai une tablette graphique et, si habituellement j’aime travailler à la main, là pour du storyboard, je privilégie l’efficacité et moins le côté artistique et les finitions. Et Kalon peut récupérer les fichiers numériques et peut directement travailler dessus.
Kalon : Le numérique c’est super efficace, j’ai découvert ça il y a quelques années. Maintenant, le matériel est très bon. Avant, il y avait un petit temps de latence et c’était parfois hasardeux, mais maintenant c’est très bien, ils ont fait beaucoup de progrès. L’autre avantage, c’est que l’on peut être nomade. C’est aussi un gain de temps, je n’ai plus à scanner les pages, les noirs sont vraiment noirs, les blancs sont vraiment blancs et sur le traditionnel, quand on se loupe c’est punitif, alors que là on gomme vite fait et c’est plus rapide. Personnellement, je trouve que c’est un peu dur pour les yeux, 8-10h sur tablette, il faut investir dans des filtres anti-reflets et anti-lumière bleue. Finalement, revenir au crayon ça m’a un peu perturbé lors des premières dédicaces, puis on y reprend goût. Donc on verra pour la suite.
KNY : Vous, en tant que dessinateurs, qu’est ce qui vous intéresse dans la culture japonaise ?
Madd : Ce qui m'intéresse dans la culture japonaise, comme dans n’importe quelle autre culture, c’est le dépaysement, les habitudes qui sont pour le Japon assez similaires et pourtant différentes de la notre, c’est le manga, la nourriture, c’est plein de choses. Je ne suis jamais allé au Japon, mais je pense que j’irai un jour parce que ça m'intéresse.
Kalon : Je ne suis jamais allée au Japon, mais pareil, c’est la culture. Dans le manga, c’est un format, une narration qui étaient assez inédits en France. On avait l’habitude des bandes dessinées cartonnées en 46 pages centrées sur une histoire, alors que dans le manga, on a le temps de s’attacher à des personnages et très vite ça s’apparentait aux séries télé, c’est un peu comme la différence entre un film et une série. On peut faire plein de choses, on est très libre au delà de la culture. Le format manga me convient bien. Après, ils sont fascinants, ils sont tout et leur contraire, il peuvent être hyper cérémonieux et d’un autre côté complètement barrés en même temps. Pour nous, c’est un peu étrange quand même.
KNY : Actuellement, on voit l'émergence du manga français et son succès en librairie, comment s’approprier les codes du manga japonais pour finalement les réinterpréter et les inclure dans les mangas français ?
Madd : Il faut d’abord comprendre les codes pour savoir ce qui est bon à prendre ou pas et, le plus important, c’est de se les réapproprier, pas simplement de les copier, essayer de faire comme font les japonais. On a aussi une culture qui est très importante, avec la BD franco-belge en terme de dessin, il y a un foisonnement d’œuvres. Du coup, le plus intéressant est de marier ces deux cultures et d’en tirer quelque chose d’un peu supérieur à la production actuelle. On essaye de prendre le meilleur des deux côtés. Ce n’est pas toujours réussi, mais au moins on essaye. C’est vraiment ce qui est intéressant pour moi, prendre une culture lointaine se la réapproprier pour en faire quelque chose de nouveau et expérimenter.
KNY : Pouvez-vous me donner chacun votre top 5 manga ou auteur ?
Madd : Manga c’est hyper classique : Akira en premier, 20th century boy en second, Gunnm en 3e, en 4e One Punch Man parce que c’est le titre que je lis en ce moment et que je l’aime beaucoup parce qu’il déconstruit les codes du shonen et en 5e Noritaka, le roi de la baston.
Kalon : C’est un bon classement, j’aime bien. Ma référence c’est City Hunter de Tsukasa Hujo. Graphiquement ça m’a tout de suite parlé. Ensuite j’ai eu une période Racaille Blues (ろくでなしBLUES, Rokudenashi Blues) de Masanori Morita. Ce n’est pas hyper connu, mais j’appréciais qu’il y ait beaucoup de personnages et tous différents. Tu voyais le menton et tu savais à quel personnage il appartenait, c’était assez fort ; après c’était surtout de la baston. Je les lisais en japonais, je ne comprenais rien, mais c’était bien. Après, j’ai découvert Naoki Urasawa avec Monster, 20th Century Boy, Marini en BD franco-belge qui lui-même a été très inspiré par Akira d’Otomo, quand tu regardes ses premières BD, c’est vraiment influencé. Puis après, il a mûri et il a trouvé son style. Pour les gestions d’ambiance, il y a toute la production du studio Ghibli qui ont bercé mon adolescence. Il y a aussi Tanigushi.
KNY : De plus en plus de jeunes français rêvent de devenir mangaka, est-ce que vous avez des conseils ?
Madd : Pour les jeunes, l’important c’est de dessiner et de ne pas se cantonner au manga. Je pense que, pour bien définir son style, il faut d’abord partir sur de bonnes bases et je pense que le dessin scolaire académique permet déjà de passer certaines étapes. Avant de penser aux écoles, rencontrer des auteurs, se renseigner sur leur parcours, sur quelles écoles ils ont fait, est-ce qu’ils arrivent à travailler, quelles sont leurs conditions de travail ? Essayer de se renseigner au maximum, communiquer. Une fois qu’ils ont l’âge de choisir, essayer mais s’armer de patience parce que le métier de mangaka ou de dessinateur ça peut être super compliqué, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas le faire.
Kalon : Ne pas faire ce que j’ai fait, vraiment aller vers le dessin académique parce que c’est là qu’il y a toutes les bases, mine de rien, tester le plus large possible, ne pas se cantonner à un seul style. La pratique, la pratique, la pratique ! Et essayer d’analyser non seulement ce que l’on fait soi, mais aussi ce que font les autres. Comment il a réussi à faire passer une émotion, quelle technique il a utilisé, avec internet on peut “s’auto-publier” pour avoir des retours, ça peut être intéressant, ne rien lâcher parce que on peut avoir du talent mais c’est aussi une question de chance et des rencontres, c’est pour ça que Madd a raison, qu’il faut aller à la rencontre des gens, une fois que tu as du réseau tu peux te dire, tiens il y a un tel qui dessine pas mal, ça marche comme ça. Surtout ne pas rester dans sa chambre dans sa bulle, parce que, de toute façon, ça ne va pas toquer à la porte. Mais ce n’est pas propre au métier de mangaka, c’est pour tout.
Madd : et surtout rester ouvert à la critique, c’est super important de ne pas rester sur ce que l’on sait faire et de toujours repousser ses limites, sortir de sa zone de confort et puis, quand on va voir les gens avec ses dessins, il faut s’attendre à ce qu’ils soient honnêtes et qu’ils disent ce qui ne va pas, ça arrive à n’importe quel stade, moi-même, je connais des personnes qui me disent ce qui va ou pas sur mes dessins. C’est bien d’avoir un blog où montrer ses dessins, mais surtout, il faut être ouvert à la critique.
KNY : Est-ce que vous avez un message à faire passer à vos lecteurs, ou aux miens,concernant Versus Fighting Story ?
Madd : Lecteur, lit notre manga parce que dedans il y a plein de dessins sur les pages et du texte et que ça fait une histoire, ça passe le temps et c’est cool.
Kalon : C’est fun, c’est rigolo, c’est technique mais pas trop, il y a une bonne approche du e-sport, on y a mis du nôtre et je pense que ça se sent, en tout cas, c’est les retours que l’on a, et si vous voulez que ça continue, il faut en parler.
Merci beaucoup pour cette interview pleine de bonne humeur.