Bonjour, 
Je vous remercie de prendre le temps de répondre à mes questions. En tout premier lieu, j’ai énormément apprécié le roman Funérailles Molles, tant sur le fond que sur la forme. Ce roman aborde un sujet très méconnu en France, d’une manière très originale. 

Fang Fang (©️Li Xiaoliang)

Katatsumuri no Yume : Qu’est-ce qui vous a inspiré ce récit ? 
Fang Fang : Tout d’abord, ce récit est inspiré de l’histoire de la mère d’un ami. Sur l’édition chinoise, il y a une postface où c’est expliqué. La mère de cet ami souffrait d’alzheimer et elle répétait tout le temps “Je ne veux pas de funérailles molles”, soit être directement enterrée sans cercueil dans la terre. Après son décès, son fils a opté pour une incinération, respectant ainsi la volonté de sa mère. 
En chinois, les deux mots “funérailles molles” ont beaucoup de connotations. J’ai été très touchée par ces deux mots, ça a déclenché en moi une série de réflexions et j’ai décidé d’écrire un roman sur l’histoire de la mère de mon ami. 
La mère de cet ami est bien une victime de la réforme agraire. C’est une rescapée qui est devenue servante. C’est un fil conducteur et j’y ai ajouté des faits historiques glanés, sans liens directs avec cette femme. 

KNY : Combien de temps vous a pris la rédaction d’un tel récit ? 
FF : Ça prend beaucoup de temps. Ce fil conducteur m’a beaucoup inspiré. Cet ami, qui était très riche, a acheté une maison pour sa mère. Mais rapidement, cette dernière a eu peur et demandait régulièrement si la maison allait être confisquée ou si des personnes allaient venir les brimer. 
Je suis allée dans l’Est du Sichuan pour faire des recherches avec des chercheurs et des architectes. Ainsi, le bâtiment “Le Grand Puit” existe toujours aujourd’hui. J’ai ainsi fait beaucoup de recherches. En tout, il m’a fallu deux ans de la première mention par la mère de mon ami jusqu’au manuscrit final. Pendant ce temps, j’ai voyagé à plusieurs reprises, j’ai vu beaucoup de maisons anciennes. Dans ces lieux, on a tout de suite une sensation profonde quand on voit ces anciens bâtiments en ruines.  

KNY : Il y a de nombreux personnages et des allers-retours dans le temps, comment avez-vous réussi à équilibrer le récit pour en garder la cohérence ? 
FF : J’écris depuis 1982, je ne vois pas la difficulté, cela me vient naturellement. Pour structurer le récit, j’ai suivi deux lignes temporelles, celle de Qinglin et celle de sa mère. J’ai entrelacé les deux lignes temporelles. Pour parvenir à ce rythme, j’ai beaucoup réfléchi et exercé. Pour moi, ce qui importe lorsque l’on fait un long roman, c’est la structure. C’est comme construire une maison. Il faut utiliser les matériaux bruts pour la structure. Ce qui rend plus solide un long roman, c’est sa structure, l’art de la langue ne suffit pas. Dans ce roman, j’utilise les deux lignes pour faire la structure. 

KNY : Vous attendiez-vous à une telle réception et un tel enthousiasme de la part des lecteurs ? Pensez-vous que votre roman va inspirer des lecteurs à rechercher leur passé familial ou à s’intéresser aux vieilles demeures abandonnées des villages ?
FF : Je n’avais aucune attente au moment de la rédaction, j'exprime juste ce que je ressentais.  Si j’avais un lecteur idéal qui se lancerait dans des recherches sur l’histoire, je serai contente. En Chine, on dit que quand on fait une oeuvre, on cherche quelqu’un qui nous ressemble. Je serai très touchée si quelqu’un me comprend. 

KNY : Funérailles Molles est un livre basé sur la mémoire et l’oubli d’un terrible passé. Mais dans le roman, vous montrez que la jeune génération se désintéresse totalement de l’histoire de son pays, quelles en sont les raisons ? 
FF : Ce n’est pas un phénomène unique à la Chine. Les jeunes se désintéressent à cause des traumatismes de l’Histoire. Il y a l’abondance d’informations et de biens. Les jeunes générations ignorent le passé et ne s'intéressent qu’au futur. Qinglin n’appartient pas à cette génération. Il veut savoir puis, devant la cruauté de l’Histoire, il décide d’oublier.    

KNY : En France, on a régulièrement des débats sur le devoir de mémoire. Le même type de préoccupations pourrait il émerger en Chine à court ou moyen terme ? 
FF : C’est le même phénomène en Chine. Mais il y a plusieurs communautés en question : ceux qui ne veulent pas savoir, ceux qui ne savent pas à cause de la censure, ceux qui veulent oublier et ceux qui veulent savoir. 

KNY : L’ouvrage présente de nombreux types de familles, est-ce un reflet de la famille chinoise débarrassé des clichés ? 
FF : Les relations décrites dans le roman Funérailles molles sont un reflet des relations familiales dans la Chine actuelle. La relation familiale est très présente en Chine, mais il faut prendre en compte les différentes situations. Ding Zitao et le docteur Wu ne forment pas une famille très commune en Chine. 

KNY : Aujourd’hui, en France, l’Histoire tient une place de moins en moins importante dans les enseignements scolaires, et beaucoup s’en alarment. Comment se passe l’enseignement de l’Histoire en Chine ? 
FF : Mon enfant étant déjà élevé, je n’ai pas fait de recherches sur la situation actuelle de l’enseignement de l’histoire en Chine. Ce que je sais sur le métier d’historien, c’est qu’il y a actuellement beaucoup de recherches et de publications sur l’histoire de la Chine. Le public est très enthousiaste et les ouvrages concernant l’histoire intéressent les maisons d’édition chinoises. Quand on fait de la recherche historique en Chine et en Asie en général, il y a beaucoup de matières, ce qui finalement pose quelques soucis aux jeunes étudiants en histoire. Il y a également beaucoup de séries d’histoire actuellement à la télévision, ça touche le jeune public et ça les inspire à faire des recherches historiques.  

KNY : Il est dit que de nombreux lecteurs ont témoigné suite à cette lecture, où peut-on lire ces témoignages ? 
FF : Comme Funérailles Molles est censuré en Chine en ce moment, mais qu’il a déjà été beaucoup lu, nombreux sont les lecteurs qui m’ont écrit “c’est moi, je me reconnais dans vos personnages” ou bien “c’est tout à fait le comportement de ma mère”. C’est un de mes livres qui m’a valu le plus de commentaires positifs. La réforme agraire a touché de nombreuses personnes, aussi bien dans les campagnes que dans les villes plus rurales et elle a changé le destin de nombreux individus.  
Je considère ces faits historiques comme ceux qui ont le plus influencé le développement de la Chine. En tant qu’écrivain, c’est mon devoir de faire connaître ces histoires. 

KNY : Ce qui m’a le plus choqué, c’est le sort réservé aux servantes. Elles sont traitées comme des biens et non comme des personnes, alors même que les paysans revendiquaient leur liberté. Elles sont distribuées sans que l’on leur demande leur consentement. N’y a t’il pas quelque chose de contradictoire dans ces faits ?
FF : Je comprends aussi votre étonnement. Le personnage de Ding Zitao est un personnage blessé. Après son amnésie, elle a toujours peur et elle s’échappe de ses peurs dans son travail de servante. Plus elle a de réminiscences, plus elle a peur d’elle-même car elle se rend compte de ses actes. D’autre part, Ding Zitao travaille comme servante car dans ce milieu clos, elle se sent protégée. 

KNY : Avez vous un message pour les lecteurs français ? 
FF : Je vois de l’espoir et si des lecteurs français s'intéressent de plus en plus à l’histoire de la Chine, ça me fait plaisir. Si les lecteurs français veulent se renseigner, c’est à la génération de Qinglin et de son ami architecte qu’il faut s’adresser, ils seront plus ouverts. La génération de Ding Zitao a vécu des moments inoubliables mais malgré tout, leur vie continue. Je garde une attitude modeste et j’accepte que les personnes préfèrent oublier. J’ajoute que mémoriser le passé est bon pour le futur. 

Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé et pour vos réponses. 

Pour aller plus loin, voici un article de la traductrice du roman Brigitte Duzan sur le site Chinese short stories

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