Salammbô Fureur ! Passion ! Éléphants ! L'exposition événement du bicentenaire de la naissance de Flaubert au Musée des Beaux-Arts de Rouen jusqu'au 19 septembre 2021

Si l’on entend beaucoup parler de Napoléon Ier en cette année du bicentenaire de sa mort, il ne faut pas oublier qu’il s’agit également du bicentenaire de la naissance de Flaubert, auteur sulfureux qui aura marqué autant son temps que les esprits. C’est dans cette perspective que la ville de Rouen, où est né Flaubert, consacre une belle programmation au romancier, à commencer par une exposition grandiose au Musée des Beaux-Arts de la ville sur son chef-d'œuvre Salammbô !

Ce sont ainsi près de 350 œuvres artistiques, littéraires et archéologiques en lien avec l’illustre héroïne qui sont réunies pour la première fois grâce au concours de grandes institutions comme la BNF, le Mucem ou encore le Musée national du Bardo en Tunisie.

La figure de Salammbô : une inspirante tentatrice

Échaudé par les scandales et le procès intenté suite à la publication de Madame Bovary, Flaubert décide de changer de registre et de proposer une fresque antiquisante flamboyante. Il se plonge alors dans les sources antiques et archéologiques (encore lacunaires) et décide de centrer son intrigue autour de Salammbô, vierge consacrée au culte de Tanit, fille (imaginaire) du général Hamilcar Barca et grande sœur du fameux Hannibal Barca.

Salammbô, élevée à l’écart du monde dans une somptueuse demeure de Mégara, banlieue chic de Carthage, est une jeune fille à la beauté éblouissante qui exhale le parfum d’une sensualité à peine éclose. Elle qui, élevée par les prêtres, ne sait rien de la vie et des hommes, se retrouve prise dans une intrigue amoureuse tumultueuse sur fond de guerre civile. Salammbô oscille ainsi entre la figure de jeune fille innocente manipulée par ses proches à des fins politiciennes et la tentatrice sculpturale qui met tous les hommes à ses pieds et apprend à jouer de ses charmes.

C’est ce mélange de deux modèles féminins auréolés des charmes de l’orient antique qui fascine les lecteurs tant l'écriture est évocatrice. Chaque passage semble être un tableau qui s’anime sous les yeux du lecteur pour le faire voyager dans le temps et dans l'espace, loin des vicissitudes et de l’hypocrisie de la vie bourgeoise de l’époque. Alors que tous attendent le nouvel ouvrage du sulfureux Flaubert, c'est finalement une véritable frénésie qui s’empare des lecteurs de tous âges.

Si de son vivant Flaubert a toujours refusé de voir Salammbô adapté autrement qu’en opéra, dès son décès les artistes s’emparent du sujet avec une délectation peu commune. Peintures, sculptures, gravures foisonnent avec des fortunes diverses. Sous le bouclier de l’histoire et les voiles vaporeux de Tanit, c’est tout un ensemble de fantasmes qui enflamment les esprits et font de Salammbô une œuvre iconique et intemporelle.

Salammbô, une œuvre toujours d’actualité

Loin du courant orientaliste jouant sur les clichés aujourd’hui éculés, Salammbô est entrée dans l’imaginaire collectif des deux côtés de la Méditerranée. Après plus d’un siècle et demi, l'œuvre est toujours plébiscitée en France et dépasse le cadre de la littérature classique. Ainsi, un opéra Salammbô est créé le 16 mai 1998 à l’Opéra Bastille. Philippe Druillet consacre, dans les années 1980, sept ans à transposer l’univers flamboyant de la carthaginoise dans un space-opéra foisonnant à retrouver aux éditions Glénat, un jeu vidéo lui est également consacré en 2003 par le studio Cryo.

Cependant, la renommée du roman et de son héroïne dépasse les frontières et incarne des réalités très diverses. Ainsi, le nom peut être associé au stupre dans le kilomètre du péché (Reeperbahn) à Hambourg mais revêtir une fierté culturelle en Tunisie où la glorieuse héroïne est toujours bien présente dans la vie quotidienne des habitants de la ville de Salambô située non loin du site archéologique de Carthage.

L’ombre de Salammbô plane sur l'archéologie carthaginoise

Si à l’époque de la rédaction de Salammbô Gustave Flaubert ne disposait finalement que de peu de sources archéologiques fiables, notons qu’il n’a pas hésité à se rendre sur le site archéologique alors que la période était politiquement et militairement troublée dans la région. Sur place, il a pu découvrir une partie des ruines comme l’aqueduc romain (donc postérieur) et reste durablement impressionné par les paysages et les couleurs de la ville. Il note scrupuleusement ses impressions et de retour en France, il modifie considérablement le début de son roman. Pourtant, s’il s’appuie sur des sources historiques et des vestiges archéologiques, Flaubert ne veut pas faire de Salammbô un roman historique.

Cependant, Salammbô a eu un effet imprévu. Non seulement la réussite du roman a incité les archéologues à se pencher sur Carthage, la fameuse rivale de Rome, mais chaque nouvelle découverte a été interprétée sous le prisme de la jeune héroïne, poussant parfois à des interprétations aujourd’hui remises, au moins partiellement, en cause. Ainsi, les ressemblances et les dissemblances d’avec le roman sont scrutées, d’autant que les découvertes archéologiques ont parfois des retombées politiques.

L’exposition Salammbô Fureur ! Passion ! Éléphants !, à la fois riche et variée, offre un panorama éclectique à ses visiteurs. Servie par une scénographie bien pensée malgré quelques rares reflets, chaque œuvre est mise en valeur et trouve sa place dans un ensemble de près de 350 pièces. Il est à noter que lors de son passage au Mucem ou au Bardo, certaines œuvres seront différentes, soit pour des questions de conservation préventive, soit pour des raisons de transport rendues plus difficiles par la crise sanitaire actuelle. Quoi qu’il en soit, nul ne sort de cette exposition totalement indemne. Et si l’exposition est parfaitement accessible au grand public, certaines rares œuvres évocatrices pourront soulever quelques questions chez les jeunes enfants.

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